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La France a perdu son Orphée.
Muses, dans ces momens de deuil
Élevez le pompeux trophée

Que vous demande son cercueil :
Laissez, par de nouveaux prodiges,
D'éclatans et dignes vestiges

D'un jour marqué par vos regrets.
Ainsi le tombeau de Virgile

Est couvert du laurier fertile

Qui, par vos soins, ne meurt jamais.

D'une brillante et triste vie
Rousseau quitte aujourd'hui les fers,
Et loin du ciel de sa patrie
La mort termine ses revers.

D'où ses maux prirent-ils leur source?
Quelles épines dans sa course
Etouffaient les fleurs sous ses pas ?
Quels ennuis ! quelle vie errante !
Et quelle foule renaissante

D'adversaires et de combats!

Vous dont l'inimitié durable

L'accusa de ces chants affreux (1)

(1) Il fut condamné à un emprisonnement par le parlement de Faris, le 7 avril 1712, comme auteur de couplets impurs et satyriques. Après avoir cherché vainement à se justifier, il se retira à Bruxelles, ou il mourut le 17 mars 1741.

Odes.

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Qui méritaient, s'il fut coupable,
Un châtiment plus rigoureux;
Dans le sanctuaire suprême,

Grâce à vos soins, par Thémis même

Son honneur est encor terni;
J'abandonne son innocence ;
Que veut de plus votre vengeance?
Il fut malheureux et puni.

Jusques à quand, mortels farouches,
Vivrons-nous de haine et d'aigreur?
Prêterons-nous toujours nos bouches
Au langage de la fureur?
Implacable dans ma colère,
Je m'applaudis de la misère
De mon ennemi terrassé.

Il se relève, je succombe;

Et moi-même à ses pieds je tombe, Frappé du trait que j'ai lancé.

Songeons que l'imposture habite
Parmi le peuple et chez les grands ;
Qu'il n'est dignité ni mérite

A l'abri de ses traits errans ;
Que la calomnie écoutée

A la vertu persécutée

Porte souvent un coup mortel,

Et poursuit, sans que rien l'étonne,

Le monarque sous la couronne,
Et le pontife sur l'autel.

Du sein des ombres éternelles
S'élevant aux trônes des dieux,
L'Envie offusque de ses ailes
Tout éclat qui frappe ses yeux.
Quel ministre, quel capitaine,
Quel monarque vaincra sa haine,
Et les injustices du sort?

Le temps à peine les consomme ;
Et quoi que fasse le grand homme,
Il n'est grand homme qu'à sa mort.

Oui, la mort seule nous délivre
Des ennemis de nos vertus,
Et notre gloire ne peut vivre
Que lorsque nous ne vivons plus.
Le chantre d'Ulysse et d'Achille,
Sans protecteur et sans asile
Fut ignoré jusqu'au tombeau.
Il expire; le charme cesse,
Et tous les peuples de la Grèce
Entre eux disputent son berceau.

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Le Nil a vu sur ses rivages
De noirs habitans des déserts
Insulter, par leurs cris sauvages,
L'astre éclatant de l'univers.

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Crime impuissant! fureurs bizarres !
Tandis que ces monstres barbares
Poussaient d'insolentes clameurs,
Le dieu, poursuivant sa carrière,
Versait des torrens de lumière
Sur ces obscurs blasphémateurs.

Favoris, élèves dociles
De ce ministre d'Apollon,
Vous à qui ses conseils utiles
Ont ouvert le sacré vallon,
Accourez, troupe désolée,
Déposer sur son mausolée
Votre lyre qu'il inspirait.

La mort a frappé votre maître,

Et d'un souffle a fait disparaître
Le flambeau qui vous éclairait.

Et vous dont sa fière harmonie
Egala les superbes sons,
Qui reviviez dans ce génie
Formé par vos seules leçons;
Mânes d'Alcée et de Pindare,
Que votre suffrage répare
La rigueur de son sort fatal:
Dans la nuit du séjour funèbre
Consolez son ombre célèbre,
Et couronnez votre rival.

LEFRANC DE POMPIGNAN.

L'ÉMULATION.

DÉPOUILLONS ces respects serviles

Que l'on rend aux siècles passés ;
Les Homères et les Virgiles
Peuvent encore être effacés.
Croit-on la nature bizarre

Pour nous aujourd'hui plus avare
Que pour les Grecs et les Romains?
De nos aînés mère idolâtre,
N'est-elle plus que la marâtre
Du reste grossier des humains?

Non,

n'outrageons point la nature Par des reproches indiscrets,

Elle, qui, pour nous moins obscure,
Nous a confié ses secrets.
L'âme, en proie à l'incertitude,
Autrefois, malgré son étude,

Vivait dans un corps ignoré;

Mais le sang qu'enferment nos veines N'a plus de routes incertaines,

Et ce mystère est pénétré.

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