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Enfin l'heureuse Paix, de l'Amitié suivie,
A réuni les cœurs séparés par l'envie,

Et banni loin de nous la crainte et le danger.
Paisible dans son champ, le laboureur moissonne;
Et les dons de l'automne

Ne sont plus profanés par le fer étranger.

Mais ce calme si doux que le ciel vous renvoie, N'est point le calme oisif d'une indolente joie, Où s'endort la vertu des plus fameux guerriers. Le démon des combats siffle encor sur vos têtes; Et de justes conquêtes

Vous offrent à cueillir de plus nobles lauriers,

Il est temps de venger votre commune injure.
Eteignez dans le sang d'un ennemi parjure,
Du nom que vous portez l'opprobre injurieux;
Et sous leurs braves chefs assemblant vos cohortes,
Allez briser les portes

D'un empire usurpé sur vos faibles aïeux.

Vous n'êtes plus au temps de ces craintes serviles,
Qu'imprimaient dans le sein des peuples imbéciles
De cruels ravisseurs, à leur perte animés.
L'aigle de Jupiter, ministre de la foudre,
A cent fois mis en poudre

Ces géans orgueilleux contre le ciel armés.

Belgrade, assujettie à leur joug tyrannique,

Regrette encor ce jour où le fer germanique
Renversa leur croissant du haut de ses remparts;
Et de Sala nkemen les plaines infectées
Sont encore humectées

Du sang de leurs soldats sur la poussière épars.

Sous le fer abattus, consumés dans la flamme,
Leur monarque insensé, le désespoir dans l'âme,
Pour la dernière fois osa tenter le sort.
Déjà, de sa fureur barbares émissaires,
Ses nombreux janissaires

Portaient de toutes parts la terreur et la mort.

Arrêtez, troupe lâche et de pillage avide;
D'un Hercule naissant la valeur intrépide
Va bientôt démentir vos projets forcenés;
Et sur vos corps sanglans, se traçant un passage,
Faire l'apprentissage

Des triomphes fameux qui lui sont destinés.

Le Tibisque, effrayé de la digue profonde
De tant de bataillons entassés dans son onde,
De ses flots enchaînés interrompit le cours;

Et le fier (1) Ottoman sans drapeaux et sans suite,
Précipitant sa fuite,

Borna toute sa gloire au salut de ses jours.

(1) Mustapha II.

C'en est assez, dit-il; retournons sur nos traces:
Faibles et vils troupeaux, après tant de disgraces,
N'irritons plus en vain de superbes lions:

Un prince nous poursuit, dont le fatal génie
Dans cette ignominie

De notre antique gloire éteint tous les rayons.

Par une prompte paix, tant de fois profanée,
Conjurons la Victoire à le suivre obstinée ;
Prévenons du destin les revers éclatans;
Et sur d'autres climats détournons les tempêtes,
Qui, déjà toutes prêtes,
Menacent d'écraser l'empire des sultans.

J.-B. ROUSSEAU.

LA GUERRE.

CLIMATS chéris du ciel, Europe, scène immense,

Des plaisirs, des talens, des vertus et des arts,
Humains trop fortunés, sur qui le soleil lance
Ses plus tendres regards:

Vous avez mesuré les mers et les étoiles,
Créé le double empire et des lois et des mœurs;
La vérité pour vous déchira tous ses voiles,
Et vous l'ornez de fleurs.

Qu'ai-je dit? Quel transport et quel rayon m'éclaire ? Céleste Vérité, je te vois, je t'entends:

Ecoutez, et tremblez; la Vérité sévère

Va parler dans mes chants.

Peuples, quel noir poison vient embraser vos âmes ?
Où courez-vous ainsi par la haine animés?
Pourquoi ce fer cruel, et ces rapides flammes,
Dont vos bras sont armés?

L'Europe, abandonnée au démon des batailles,
Verse des pleurs, soupire et vous implore en vain.
Enfans dénaturés, vous percez ses entrailies
Et déchirez son sein.

Sous le titre imposteur d'amour de la patrie,
Le crime s'arme et vole; et les pénibles fruits
De dix ans de travaux, de vertu, d'industrie,
A l'instant sont détruits.

J'entends de toutes parts éclater les orages;
Les champs sont inondés de cent mille assassins
Payés pour le massacre, instruits pour

La foudre est dans leurs mains.

les

ravages;

Le laboureur pleurant déserte les campagnes;
Le citoyen paisible est forcé dans ses murs;
Les antres, les forêts, les sommets des montagnes
N'ont point d'asiles sûrs.

Gémissant d'avoir vu trop long-temps la lumière, Le vieillard chancelant tombe en son sang plongé: Sur le sein profané de sa tremblante mère

L'enfant est égorgé.

Par-tout le fer poursuit, par-tout le feu dévore:
Ils laissent à leur suite, en ces champs malheureux,
La faim, le désespoir, plus terribles encore
Que le fer et les feux.

Le jour fatal se lève, et la trompette sonne;
Je les vois, à l'envi, ces farouches soldats,
S'élancer, s'approcher : l'airain éclate, tonne
Et vomit le trépas.

Un instant voit leur rage et leur vie abrégée;
Poursuivis, renversés, le couteau dans le flanc,
Ils mordent la poussière; et la terre est vengée;
La terre boit leur sang.

Dirai-je de leurs maux la source trop féconde?
Eh! sans doute; en ces lieux, sous le meilleur des rois,
La fière Vérité, pour le bonheur du monde,

Peut élever sa voix.

C'est vous que j'interroge, idoles de la terre,
Vainqueurs des nations, ou plutôt leurs bourreaux,
Tyrans ambitieux, qui d'une injuste guerre
Allumez les flambeaux.

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