Page images
PDF
EPUB

TROISIÈME PARTIE

LE DIX-SEPTIÈME SIÈCLE

CHAPITRE I

LOUIS XIV, L'HÔTEL DE RAMBOUILLET, L'ACADÉMIE
FRANÇAISE

LORSQUE le dernier des Valois tomba en 1589 sous le couteau de Jacques Clément, le Béarnais saisit la couronne d'une main ferme et sut la con

Louis XIV.

server, malgré l'opposition des Ligueurs et des Espagnols. On ne saurait trop appeler l'attention sur le caractère de Henri IV, cet homme si énergique, d'un si grand génie et en même temps si fin. "Il vient, dit-il, se mettre en tutelle entre les mains de ses notables, envie qui ne prend guère aux rois, aux barbes grises et aux victorieux," et quand Gabrielle lui en fait le reproche, il ajoute en souriant que c'est l'épée au côté qu'il l'entend. Il rétablit l'ordre, à l'aide de Sully, il donne à son peuple la liberté religieuse, et la France tranquille et prospère, prépare un grand siècle littéraire. A la mort de Henri IV les troubles recommencent, sous Marie de Médicis, mais bientôt Armand Duplessis entre au conseil, devient

premier ministre et reprend la politique du Béarnais. Il abaisse la maison d'Autriche, anéantit le pouvoir politique des protestants, brise l'orgueil des seigneurs et rend son roi absolu et puissant. Le despotisme établi par Richelieu est ébranlé par la Fronde, mais l'astuce de Mazarin le maintient, et lorsque Louis XIV, à vingt-trois ans, prend les rênes du gouvernement, sa volonté sera la loi et il sera la personnification de la patrie. Le culte du roi est du patriotisme, puisque le roi représente le pays. Louis XIV a un esprit juste, de la dignité dans les manières, il exercera une grande influence sur son siècle, et la littérature de cette époque sera noble, décente et régulière. Au XVIe siècle il y a confusion dans les idées et dans la langue, au XVIIe siècle la langue est parfaite, on a le culte de la forme et l'on développera les idées émises dans la seconde moitié du xvre siècle. Sous Marie de Médicis l'Italie influe sur la littérature française avec un Marino; sous Anne d'Autriche l'espagnol exerce une grande influence; sous Louis XIV on n'imite plus les nations voisines, on paraît imiter l'antiquité, mais l'esprit français est bien établi, et les grandes œuvres auront le cachet de cet esprit si concis, si ferme, si lucide. Au commencement du siècle les écrivains se placent sous le patronage d'un homme riche et puissant, sont attachés à sa maison, sont ses domestiques et reçoivent de lui des gratifications. Richelieu fait donner des pensions par l'État, par le roi; Louis XIV continue ce système et l'homme de lettres devient plus indépendant. Il faut, cependant, qu'il soit courtisan, s'il veut conserver les bonnes grâces du maître, et cette protection perpétuelle, cette absorption de tous les

talents par la gloire du roi, stérilisera la veine littéraire à la fin du règne.

Quelle chose magnifique et étrange, la cour de Louis XIV! Les palais de ses ancêtres n'ont pas suffi au grand roi, il fait construire ce merveilleux Versailles. Il a autour de lui Mansard pour bâtir ses palais, Lebrun pour les remplir d'admirables peintures, et Lenôtre pour dessiner ses jardins; Lulli composera pour lui de doux opéras, dont Quinault écrira les paroles; Molière jouera ses chefs-d'œuvre pour lui plaire; Racine composera ses tragédies d'un goût si pur et sera le rival de Corneille vieilli; Bossuet fera entendre ses grandes paroles et écrira pour le fils du roi son "Discours sur l'Histoire Universelle," tandis que Fénelon écrira "Télémaque" pour le petitfils de Louis; Mme de Sévigné observera ce qui se passe chez le roi et écrira ses impressions à sa fille; Condé, Turenne, Vauban seront prêts à gagner des batailles quand Louis l'ordonnera, et Colbert et Louvois dirigeront les affaires avec lui; des femmes belles et spirituelles, des hommes élégants et braves, des écrivains éminents dans tous les genres, voilà ce qui constitue la cour de Versailles. Les seigneurs ont quitté leurs châteaux, ils ne peuvent vivre hors de la présence du roi; c'est à qui voudra assister à ses levers, à ses couchers; appuyé sur sa grande canne, il descend majestueux les escaliers de son palais; sa cour s'incline sur son passage; elle s'incline devant son trône vide, devant son lit, elle lui érige des statues, elle en fait un demi-dieu. Si Louis XIV ne sut pas toujours résister à son orgueil, s'il jeta la France dans de grands maux, s'il fut parfois injuste envers ses meilleurs serviteurs, il ne faut pas trop le blâmer, car

il fut absolu, et le despotisme anéantit les plus belles qualités. Ne blâmons pas non plus ces hommes qui l'adorèrent presque, et ne les accusons pas de servilité, car, comme nous l'avons déjà dit, ils faisaient acte de patriotisme en louant le roi, qui était la personnification de la patrie. Disons aussi que Louis XIV mérita, jusqu'à un certain point, l'hommage qu'on lui rendait. Il commit bien des fautes, mais on peut beaucoup pardonner à l'homme dont le bon goût réagit sur son siècle, à l'homme qui protégea Molière et permit de jouer "Tartuffe." Laissons donc au XVIIe siècle le nom de Siècle de Louis XIV.

MALHERBE ET BALZAC.

Nous avons nommé Régnier parmi les auteurs du XVIe siècle, quoiqu'il fût plus jeune que Malherbe ; c'est que celui-ci posséda cet esprit d'ordre, cet amour de la forme qui caractérisèrent le XVIIe siècle, et dont il fut en partie l'inspirateur. Né à Caen

Malherbe.

en 1555 Malherbe alla en Provence en 1581

et y vécut vingt ans. Ses premiers vers furent médiocres, mais son génie se révéla dans sa belle ode à Du Perrier sur la mort de sa fille. Henri IV l'attira à Paris et, pendant plus de vingt ans, il se consacra à la tâche de réformer la poésie française. Pour arriver à son but il lui fallut d'abord attaquer Ronsard, et ce n'était pas chose facile. Il se servit d'une langue simple et soumit le vers a des règles immuables qui le rendirent plus clair, plus concis, plus méthodique, plus uniformément harmonieux. Il voulait dégasconner la cour et prit pour maîtres du langage les "crocheteurs du Port au Foin," c'est-à-dire que la langue de Paris fut pour lui le modèle. Il travaillait

beaucoup ses vers et fut aussi sévère pour lui que pour les autres; on l'appellait à bon droit le "tyran des mots et des syllabes," et quoiqu'il ne fût pas réellement un grand poète, pas aussi grand que Ronsard, qu'il contribua à détrôner, il produisit quelques poèmes justement admirés et eut une grande influence sur ses successeurs. S'il ne fut pas autant réformateur de la langue poétique que le dit Boileau, son rôle fut important, et les services qu'il rendit à la versification peuvent être comparés à ceux que rendit Balzac à la prose.

Balzac.

Balzac naquit à Angoulême en 1597 et mourut en 1654. Il vécut principalement en province et ne venait que rarement à Paris, où nous aurons l'occasion de le rencontrer à l'Hôtel de Rambouillet. Il fut surtout célèbre pour ses lettres et donna le modèle de l'éloquence en prose, c'est-à-dire qu'il donna un soin extrême au style et sut le rendre noble et imposant. Ses œuvres nous paraissent aujourd'hui pédantesques et lourdes, mais elles furent utiles. Après Balzac il n'y eut pas autant de tâtonnement et le style devint plus stable. Les grands écrivains modifièrent, corrigèrent la langue de Balzac, mais elle servit de modèle à un grand nombre d'entre eux. Il manquait, cependant, à la prose française, au commencement du XVIIe siècle, la grâce et la légèreté, voyons dans quelle société nous trouverons ces deux qualités essentielles.

L'HÔTEL DE RAMBOUILLET.

Catherine de Vivonne, fille du marquis de Pisani, épousa à l'âge de douze ans, le 26 janvier 1600, Charles d'Angennes, qui fut plus tard marquis de Rambouillet.

« PreviousContinue »