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la littérature, citons encore la "Vie de Saint-Léger," la "Vie de Saint-Alexis," la "Passion du Christ" et "Gormund et Isembard." Ces ouvrages ne concernent pas exactement l'histoire de la littérature, mais il n'y a pas de doute que pour comprendre la littérature du moyen âge, il faut étudier le vieux français, et pour arriver à bien se rendre compte de la langue de la "Chanson de Roland," il faut d'abord étudier d'une manière critique les premiers monuments du français. Le principal attrait de l'étude du vieux français est d'arriver à comprendre, non seulement les œuvres littéraires du moyen âge, mais les coutumes et les institutions d'une des époques les plus curieuses et les plus intéressantes de l'histoire de l'humanité.

Mille ans séparent le Serment de Strasbourg des œuvres de Lamartine et de Victor Hugo, mais la langue du IXe siècle et celle du XIXe siècle est la même langue que parlaient les soldats romains lors de la conquête de César. C'est la langue latine rustique, modifiée par les siècles, qui a servi d'interprète aux hommes de génie qui, depuis mille ans, ont illustré la France et l'esprit humain.

CHAPITRE II
L'ÉPOPÉE

"L'ÉPOPÉE française," dit M. Gaston Paris, "est le produit de la fusion de l'esprit germanique, dans une forme romane, avec la nouvelle Origine de civilisation chrétienne et surtout fran- l'épopée. çaise." "Élle peut être définie une histoire poétique

fondée sur une poésie nationale antérieure,” ajoute l'éminent professeur. Ces remarques si précises s'appliquent en réalité aux épopées dites chansons de geste, dont le sujet est tout français, mais il est plus commode de classer parmi les épopées les ouvrages du cycle breton et du cycle de l'antiquité et de dire avec Jean Bodel,

"Ne sont que trois matières...

De France, de Bretagne et de Rome la grant."

Le mot geste signifie actions, histoire et aussi famille ou cycle des héros dont on raconte l'histoire, Le cycle ainsi le cycle français se divise en trois français. parties, nommées, cycles ou gestes du Roi, de Garin de Monglane, ou de Guillaume, et de Doon de Mayence. Jetons un coup d'œil sur le cycle du roi. Nous sommes au XIe siècle, le seigneur féodal est presque tout-puissant, la bourgeoisie n'existe pas encore, et le serf est taillable et corvéable à merci. Il n'y a en France que deux puissances, le baron et le roi, et celui-ci n'a pas encore réussi, en s'appuyant sur le peuple, à dominer celui-là. Le baron est dans son castel perché sur le roc et n'a pour toute société, lorsqu'il revient de ses expéditions guerrières, que sa femme et ses enfants. Le temps paraît long au rude guerrier, et c'est avec joie qu'il accueille le jongleur, le trouvère, qui vient lui chanter les exploits d'un Olivier et d'un Roland. Le seigneur féodal est quelquefois lui-même un trouvère, aussi comprenons-nous que dans ces poèmes chantés chez le baron, et parfois par lui-même, le beau rôle soit à la féodalité. Le cycle français exprime en général le triomphe du seigneur féodal et ce n'est que rarement que le roi est

placé au premier rang. Quelquefois, en se rappelant les exploits de Charles Martel, de Pépin et de Charlemagne, le trouvère s'incline devant le roi, mais le plus souvent on a confondu avec l'empereur à la barbe chenue ses faibles descendants ou les premiers Capétiens. La chanson de geste du cycle français parle de combats contre les Sarrasins et des hauts faits fabuleux des guerriers; le ton en est essentiellement belliqueux, et la femme et l'amour n'y jouent qu'un faible rôle. Les couplets ou laisses sont réglés par l'assonance et sont souvent d'une longueur excessive, ce qui cause, dans un grand nombre de poèmes, quelque peu de monotonie. La langue, cependant, est généralement forte et sonore, et la naïveté de ces épopées du moyen âge est parfois charmante. Ces ouvrages nous représentent une société qui nous rappelle celle du temps d'Homère, et la simplicité, la loyauté, la bravoure téméraire des héros des chansons de geste nous intéressent tout autant que ces mêmes traits chez les héros de l'Iliade.

Prenons comme type de l'épopée du moyen âge la "Chanson de Roland."

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La Chanson

En 778 Charlemagne revint de son de Roland.” expédition d'Espagne et son arrière-garde fut attaquée et détruite dans la vallée de Roncevaux par les Basques. Eginhard mentionne parmi ceux qui furent tués, Hrodland, comte de la marche de Bretagne. L'imagination populaire s'empara de cet événement et on en fit la fameuse "Chanson de Roland." Les Basques devinrent des Sarrasins païens, et le désastre de Roncevaux servit à animer l'esprit religieux aussi bien que l'esprit patriotique des Français.

Marsile, roi de Saragosse, voyant qu'il ne peut

résister à Charlemagne, lui envoie des ambassadeurs pour traiter de la paix. Roland fait choisir Ganelon, son parátre, le mari de sa mère, pour porter la réponse. Ganelon est jaloux de la gloire du paladin et complote sa mort avec Marsile. Roland commandera l'arrière-garde et les Sarrasins l'attaqueront avec toute leur armée et l'écraseront, avant que l'empereur puisse venir à son secours. Selon le complot, Roland est assailli à Roncevaux par une grande armée. Olivier, le frère d'Alde, la fiancée de Roland, voyant l'immense armée des ennemis, veut que Roland sonne son cor, son olifant, pour appeler Charlemagne. Le fier guerrier refuse, de crainte que sa famille n'en soit honnie, et le combat commence. Ils font tous des prodiges de valeur, mais ils vont être accablés sous le nombre, et l'archevêque Turpin prie Roland de sonner du cor pour que Charlemagne puisse venir les venger et que leurs corps soient mis en terre sainte. Roland sonne son olifant d'une si puissante haleine que Charlemagne l'entend et revient sur ses pas. Mais hélas, il a beau chevaucher au grand galop, il arrivera trop tard. On entend en France du tonnerre et du vent, il grêle, les maisons tombent, la terre se fend. On croit que c'est la fin du monde, mais non, "c'est le grand deuil pour la mort de

Roland."

Les Français à Roncevaux sont tous tués excepté Olivier, Roland et l'archevêque Turpin. Olivier meurt le premier, ensuite l'archevêque, après avoir béni les corps des pairs et leur avoir donné rendezvous en paradis. Roland, qui s'est rompu la tempe en sonnant son olifant, sent qu'il va mourir. Les Sarrasins sont défaits et le paladin est seul. Il veut,

cependant, empêcher que sa fidèle épée, sa Durendal, ne tombe entre les mains des infidèles. Il veut la briser sur un rocher, mais le roc se fend, l'acier grince, cruist, mais ne se rompt pas. Le preux chevalier se prépare à la mort, il tourne son visage du côté de l'Espagne, met Durendal et son olifant sous sa tête, se confesse de ses péchés et offre son gant droit à Dieu. L'archange Gabriel le prend et les anges emportent l'âme du comte en paradis. Charlemagne arrive à Roncevaux, recueille les corps des paladins, et demande à Dieu d'allonger la journée pour qu'il puisse vaincre l'émir sarrasin, Baligant. Dieu lui accorde sa demande, il détruit l'armée païenne et retourne bien triste à Aix-la-Chapelle. Là, il annonce à la belle Alde la mort de Roland et celle-ci tombe morte aux pieds de l'empereur. Ganelon est écartelé, la veuve de Marsile reçoit le baptême, et Dieu envoie Saint Gabriel dire à Charlemagne de recommencer la guerre contre les païens. "L'Empereur voudrait bien. n'y pas aller: Dieu '! s'écrie-t-il, que ma vie est peineuse!' Il pleure de ses yeux, il tire sa barbe blanche. . . .” La "Chanson de Roland" est réellement une belle œuvre, et l'on s'intéresse grandement à ces preux chevaliers qui meurent pour que "la douce France ne soit pas honnie." On ne sait qui a écrit ce beau poème, car Turold, dont le nom paraît à la fin de l'œuvre, est probablement un copiste. M. Gaston Paris dit: "Le Roland soulève encore d'innombrables questions, que la critique n'arrivera sans doute jamais à résoudre toutes. La patrie et la date de la rédaction dont nous avons conservé les textes indiqués plus haut ne sont pas encore fixées sans contestation. Le plus probable est qu'elle

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