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ne les lui donnez? comment a il tant de mains pour vous frapper, s'il ne les prend de vous? Les pieds dont il foule vos citez, d'où les a il, s'ils ne sont des vostres ? Comment a il aucun pouvoir sur vous, que par vous aultres mesmes?" Que faut-il faire de ce roi? "Je ne veulx pas que vous le poulsiez, ny le bransliez; mais seulement ne le soubstenez plus; et vous le verrez, comme un grand colosse à qui on a derobbé la base, de son poids mesme fondre en bas et se rompre." Voilà des paroles bien hardies, écrites sous Henri II par un jeune homme de dix-huit ans!

François Hotman, en 1573, place aussi la nation, représentée par les États-Généraux, au-dessus du roi; le noble L'Hospital, le patriote La Noue réclament la justice pour tous, veulent que tous les Français ne pensent qu'à la France, et lorsque Henri III a été assassiné et que la France est dans l'anarchie, l'éloquent du Vair plaide la cause de la loi Salique et de Henri de Navarre contre la Ligue, les Seize et Philippe II. Le royaume était perdu si Henri n'était pas reconnu, il fallait cet esprit si fin, cette main si ferme pour ramener l'ordre et la prospérité, c'est ce que comprirent tous les hommes sensés, quelle que fût leur religion, c'est ce que comprirent surtout les auteurs de la "Satire Ménippée."

En 1594 six patriotes de talent, six bourgeois de Paris, publièrent la "Satire Ménippée," ainsi nommée, parce que, à l'imitation du phi- La “Satire losophe grec Ménippe, la prose est mêlée Ménippée." de vers dans leur œuvre. Les auteurs de la Ménippée sont Jacques Gillot, Pierre Le Roy, Jean Passerat, Florent Chrestien, Pierre Pithou et Gilles Durant.

On dit que Le Roy conçut le plan de l'ouvrage et que ce fut chez Gillot que se réunissaient les six amis. Leur but était de tuer Mayenne et la Ligue par le ridicule et de faire voir aux Français ce que pourrait faire pour eux Henri de Bourbon. Le prologue, écrit par Pierre Le Roy, nous présente deux charlatans, un Espagnol et un Lorrain, qui vendent le fameux catholicon d'Espagne, drogue merveilleuse; puis viennent les Ligueurs, en procession. On nous décrit alors la salle des États, et nous allons assister, dans la seconde partie, aux délibérations des députés. Mayenne, le légat du pape, le cardinal de Pelevé, le député de la noblesse, le recteur de l'Université, prononcent des harangues bouffonnes, chacun ne pensant qu'à son propre intérêt, mais M. d'Aubray, député du tiers état, que fait parler Pithou, prononce une harangue sérieuse, vigoureuse et pleine de bon sens, où il passe en revue l'histoire de France, montre les maux qu'endura le royaume pendant les guerres des Bourguignons et des Armagnacs et pendant la Ligue du Bien Public, dévoile les projets égoïstes des Espagnols et de la Ligue et plaide la cause de Henri IV. N'oublions pas de mentionner aussi la charmante satire de Durand, "Regret Funèbre à Mademoiselle ma commère sur le Trépas de son Âne." La "Satire Ménippée" est un admirable pamphlet et une œuvre patriotique qui fit plus pour la cause du Béarnais que la bataille d'Ivry.

Nous pouvons étudier l'histoire du XVIe siècle dans les nombreux mémoires de l'époque. La Noue, le loyal huguenot au Bras-de-Fer, raconte ses campagnes avec impartialité, et Montluc, le catholique, parle avec franchise de sa vie

Mémoires.

militaire. Le récit de ses actes de barbarie comme gouverneur de Guyenne ne peut nous indigner, quand nous considérons que l'auteur croyait faire son devoir en faisant respecter par tous les moyens l'autorité du roi. Henri IV a appelé les mémoires de Montluc la bible du soldat.

Agrippa d'Aubigné écrit aussi des mémoires et une histoire de son temps, et Brantôme, dont la vie aventureuse se passe dans tous les pays de l'Europe, raconte ce qu'il a vu. Il dit les choses telles qu'elles sont et ne s'indigne nullement de l'immoralité de ses héros. Ses" Vies des hommes illustres et des grands capitaines" sont intéressantes, et ses "Vies des dames. illustres" et des "dames galantes" sont curieuses et. donnent une triste idée des mœurs du temps.

Une des dames illustres du siècle de Brantôme écrit elle-même sa vie et tâche de s'exonérer des fautes qu'on lui attribue. Marguerite de Valois, femme de Henri IV, est savante, belle et bonne, mais la légèreté de sa conduite la fait répudier par son mari. Nous devons, cependant, savoir gré à la fille de Catherine d'avoir essayé de sauver quelques malheureux au massacre de la Saint-Barthélemy. Les belles actions de Henri IV sont racontées par Sully, qui aida le Béarnais à relever la France. Ses "Economies Royales" nous font connaître le caractère du grand ministre, loyal au roi, administrateur de génie, mais morose et dur envers ses contemporains qui admirent son génie mais ne l'aiment pas. En parlant de mémoires mentionnons les lettres et les harangues de Henri IV, où le roi parle avec tant de finesse parfois, mais aussi avec tant de bon sens et de fermeté.

La principale histoire du XVIe siècle est celle de

J. de Thou, écrite en latin "Historia mei Temporis." C'est l'œuvre d'un homme d'un grand caractère et d'un grand talent, un récit impartial et vrai des événements qui eurent lien en Europe de 1544 à 1607.

Vie de
Rabelais.

CHAPITRE IV

RABELAIS, AMYOT ET MONTAIGNE

LES quatre grands prosateurs du XVIe siècle sont Calvin, Rabelais, Amyot et Montaigne, tous entièrement différents les uns des autres, et possédant chacun sa propre originalité. Le plus extraordinaire des quatre, le plus étrange, le plus complexe est l'auteur de ce livre remarquable, "Gargantua et Pantagruel." La biographie de Rabelais a été grossie d'un grand nombre d'anecdotes absurdes où on le représente principalement sous les traits d'un bouffon très irrévérencieux envers toute chose religieuse. Voici en quelques mots quelle fut sa vie: François Rabelais naquit à Chinon en Touraine vers 1495, et l'on voit encore dans la rue de la Lamproie la maison où il vint au monde. Il étudia au couvent de la Baumette et eut pour condisciples les trois frères Du Bellay, Guillaume, le général, Jean, le cardinal, et Martin, l'évêque, et Geoffroy d'Estissac. Il est probable qu'il fut excellent élève et qu'il eut dès l'enfance ce goût de l'étude qui fit de lui un savant universel. Il sortit de collège pour passer au couvent des Cordeliers à Fontenay-leComte, ou il devint prêtre, et se consacra avec ardeur à l'étude des auteurs grecs et latins. On dit que les

ignorants Cordeliers lui enlevèrent ses livres, ainsi qu'à son camarade Pierre Amy et que le savant Budé lui écrivit pour le féliciter qu'on lui ait rendu ses chers amis, Homère, Aristote et Cicéron. En 1524 Rabelais quitta les Cordeliers et obtint du pape la permission d'entrer au couvent des Bénédictins, qu'il abandonna peu après sans autorisation. Il vécut près de six ans d'une vie indépendante, chez l'évêque Geoffroy d'Estissac ou en visite chez ses amis, les frères Du Bellay, et en 1530 il se rendit à Montpellier pour étudier la médecine. On montre encore à Montpellier la robe de médecin de Rabelais, robe miraculeuse, dont chaque étudiant coupait un morceau en quittant l'Université. De 1532 à 1534 Rabelais exerça la médecine à Lyon avant d'être reçu médecin et devint très populaire comme savant. Lyon était à cette époque un centre littéraire presque aussi célèbre que Paris, et Rabelais rencontra, diton, dans cette ville, Marot, le savant et malheureux Étienne Dolet, brûlé plus tard comme hérétique, et le spirituel conteur Despériers, dont les "Joyeux Devis" rivalisent de gaieté et de finesse avec 1'" Heptameron" de Marguerite et dont le "Cymbalum Mundi," œuvre sceptique, fut cause de son suicide. C'est à Lyon que Rabelais donna une nouvelle édition des "Chroniques gargantuines," ouvrage où l'on parlait des aventures d'un géant et qui lui donna l'idée d'écrire son "Pantagruel" en 1534. Il avait déjà publié une édition de Galien et d'Hippocrate et commença en 1533 son almanach, qu'il publia chaque année jusqu'en 1550. Voilà donc Rabelais écrivant des livres de science, un roman burlesque et faisant des prédictions astrologiques, malgré son

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