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Du Bartas.

d'Albret, elle-même, donne à du Bartas Judith pour sujet d'un poème, et calvinistes et protestants admirent la "Semaine," où sont décrites les merveilles de la création. Ce poème biblique eut une immense popularité et inspira Milton, Byron, et Thomas Moore. Goethe aussi l'admira, et l'œuvre est en quelque sorte digne de l'admiration qu'elle excita; elle a de la grandeur, mais elle est mal écrite, et les belles idées, sans le style, courent grand risque d'être oubliées. Calviniste comme du Bartas, d'Aubigné a produit une œuvre inégale, mais forte, énergique, les "Tragiques." On sent la colère, la haine, le fanatisme, le patriotisme, dans ce tableau sanglant des terribles guerres de religion du XVIe siècle.

Desportes est peut-être le plus élégant des disciples de Ronsard. Favori des rois, il est poète courtisan, et met au service de ses maîtres sa

Desportes

et Bertaut.

plume gracieuse, correcte, éloquente parfois. Son ami Bertaut a un talent du même genre, et grâce à Boileau, Desportes et Bertaut seront toujours nommés ensemble:

"Ce poète orgueilleux [Ronsard] trébuché de si haut,
Rendit plus retenus Desportes et Bertaut."

Jean Vau.

Jean Vauquelin de la Fresnay écrivit les "Foresteries," les "Idylles," où il entre un peu de mièvrerie, des "Satires," où il s'inspire d'Horace et quelin de parle du devoir avec conviction, des sonla Fresnay. nets, souvent sérieux et patriotiques, enfin un" Art Poétique." Déjà Sibilet avait écrit, du temps de Marot, un art poétique qui résume, pour ainsi dire, les préceptes de l'école de Marot. Sibilet fut vite

oublié, dès que parut Ronsard, et Boileau fit oublier Vauquelin, dont l'œuvre, quoique trop diffuse, ne manque pas de mérite, au point de vue du goût.

Houx.

Mentionnons encore Jean Le Houx, dont les Vaux de Vire font avec entrain l'éloge de la dive bouteille, et nous rappellent le foulon du Jean Le moyen âge, Olivier Basselin; nommons Pibrac, auteur de quatrains moraux estimés, et terminons la liste des poètes du XVIe siècle par Régnier.

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Régnier.

Mathurin Régnier naquit à Chartres en 1573. Il était neveu de Desportes et fut destiné à la prêtrise. Il suivit le cardinal de Joyeuse à Rome, puis fut de l'ambassade à la même ville du comte de Béthune. Il obtint le canonicat de Chartres en 1609 et mourut en 1613, épuisé par la vie déréglée qu'il avait menée. Les satires de Régnier sont écrites avec vigueur et témoignent d'une parfaite connaissance du cœur humain. Le style est parfois incorrect, mais les portraits sont frappants de vérité. On admire surtout la treizième satire, Macette," où le poète décrit le rôle honteux de la fausse dévote qui corrompt la jeunesse. Macette nous rappelle Faux-Semblant et Tartuffe. Régnier est bien du XVIe siècle, quoique contemporain de Malherbe. Il défend avec éloquence l'école de Ronsard et l'on peut le considérer le dernier disciple de la Pléiade. Si la débauche ne l'eût emporté si tôt il eût pu être un poète de génie; s'il n'a pas l'élégance de Boileau il a plus de force que le législateur du Parnasse. Comme Boileau, Régnier imite Horace, Juvénal, et aussi les satiriques italiens, mais il imite à la manière de Corneille prenant le Cid de Guillem

de Castro; son œuvre est bien à lui. Les épîtres, les élégies de Régnier sont gracieuses, et ce poète clôt dignement le XVIe siècle. Avec lui disparaît l'influence directe de la Pléiade, et Malherbe ouvre une nouvelle voie à la poésie française.

CHAPITRE III

LA PROSE

THÉOLOGIENS

LA Réforme devait exercer une grande influence sur la prose française; l'esprit de controverse suscita beaucoup d'écrits qui durent paraître en Calvin. français pour être compris par le plus grand nombre de lecteurs. Lorsque François Ier, après son entrevue avec Clément VII en 1533, usa de rigueur envers les luthériens et ne subit plus l'influence de sa gracieuse sœur, Marguerite, un jeune homme de vingt-six ans, Jean Calvin, adressa au roi en 1535 une lettre éloquente en faveur des opprimés. En 1536 Calvin publia son "Institutio religionis christianæ," qu'il traduisit en français quatre ans plus tard et qui devint le bréviaire de l'église réformée. L'Institution Chrétienne" est le premier livre de controverse religieuse écrit en français, et le style ferme, concis, énergique en a fait un des ouvrages les plus importants de la littérature française. Pour exprimer de nouvelles idées il fallut que Calvin créât un style nouveau. Dans son livre il pousse à l'extrême la doctrine de la prédestination, et ceci ne nous

étonne guère de la part de l'intolérant chef de la religion réformée en France. Né en 1509 à Noyon Calvin fut obligé de se réfugier à Bâle, puis à Ferrare près de Renée de France, protectrice des opprimés, comme Marguerite de Navarre. Il se rendit ensuite à Genève, en fut chassé peu de temps après, y retourna en 1540 et y gouverna avec despotisme jusqu'en 1564, année de sa mort. Le fanatisme de Calvin est aussi blâmable que celui de ses adversaires, et nous ne pouvons lui pardonner la mort de Michel Servet, qu'il fit brûler à Genève. Il fut, dit-on, de bonne foi, mais nous ne saurions trop regretter l'esprit d'intolérance qui anime presque tous les théologiens du XVI° siècle.

Théodore de Bèze, au temps de Calvin, et Duplessis-Mornay, à la fin du XVIe siècle, sont les plus habiles controversistes du côté des huguenots, et le cardinal Duperron et Saint François de Sales du côté des catholiques.

Nous venons de voir à Genève l'âpre et impérieux Calvin, dans la même ville, quarante ans plus tard, nous voyons le doux François de Sales. Saint Il naquit à Annecy en 1567, étudia François de d'abord le droit, puis se consacra à l'é- Sales. glise. Il fit de nombreuses conversions, fut nommé évêque de Genève en 1602 et mourut en 1622, vénéré de tous. Saint François de Sales est non seulement un des plus nobles caractères que nous présente l'histoire, mais il mérite d'occuper un rang élevé dans la littérature. Ses deux livres principaux, l'" Introduction à la vie dévote," et le "Traité de l'amour de Dieu," sont écrits avec fermeté, mais aussi avec élégance, et la mansuétude de l'auteur est exprimée

avec grâce et naturel. Les sermons de Saint François de Sales sont aussi admirables que ses livres de controverse. Saint François de Sales était contemporain de Henri IV et dut approuver l'Édit de Nantes, par lequel le grand roi de France, animé d'un esprit de tolérance extraordinaire pour son siècle, apaisa les querelles religieuses qui avaient déchiré si longtemps le royaume.

ÉCRIVAINS POLITIQUES ET HISTORIENS.

Sous François Ier et Henri II la monarchie est absolue, le pouvoir du roi est tel que le voulait Louis XI, sous Charles IX les terribles guerres de religion affaiblissent l'autorité royale qui tombe dans le mépris sous Henri III, et ne se relève que grâce à l'énergie du Béarnais. Parmi les écrivains de talent au XVIe siècle le seul qui soit en faveur du pouvoir absolu du roi est Jean Bodin qui croit que, de même que le père est maître dans sa famille, le roi doit P'être dans l'État. Bodin tâche de raisonner en philosophe, mais il oublie que le père ne doit gouverner sa famille qu'avec justice et amour; le roi aussi Étienne doit être restreint dans son autorité par de la les grandes lois de l'humanité. Après Boétie. tout, qu'est-ce que le roi ? demande dans le "Traité de la Servitude Volontaire" Étienne de La Boétie, qu'aimait tant Montaigne. "Celuy qui vous maistrise tant, n'a que deux yeulx, n'a que deux mains, n'a qu'un corps, et n'a aultre chose que ce qu'a le moindre homme du grand nombre infiny de vos villes; sinon qu'il a plus que vous touts, c'est l'avantage que vous lui faictes pour vous destruire. D'où a il prins tant d'yeulx, d'où il vous espie, si vous

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