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de Champagne et roi de Navarre. Ce fut lui qui vint en aide à la reine Blanche, lorsque, à la mort de Louis VIII, les seigneurs voulurent profiter de la régence d'une femme pour secouer le joug imposé par Philippe-Auguste. On prétend que ce fut l'amour de Thibaut pour la mère de Saint Louis qui inspira ses douces chansons; quoi qu'il en soit, le comte de Champagne est un gracieux chansonnier et l'on peut le comparer à ces autres princes poètes, Charles d'Orléans et Jacques Ier d'Écosse. Malgré l'ignorance de la plupart des seigneurs et des princes du moyen âge on doit reconnaître qu'il y en grand nombre qui cultivèrent les lettres. C'est à eux et à leur influence qu'on doit beaucoup d'ouvrages écrits en langue vulgaire, car les clercs se servirent du latin et dédaignèrent la langue du pays, que ce fût la langue d'oc ou la langue d'oïl. Charles d'Anjou fut poète, Charles V et son fils Louis d'Orléans furent des lettrés, ainsi que le bon roi René et même Louis XI, le madré compère.

Rustebeuf.

eut un assez

Bien différents de Thibaut de Champagne sont Jean Bodel et Adam de la Halle avec leurs congés, l'un mélancolique et l'autre satirique, et Rustebeuf. L'auteur du "Miracle de Théophile" et de tant de fableaux spirituels et mordants, atteint à la hauteur de la poésie lyrique, quand il parle de son sort de pauvre poète sans feu ni lieu dans "La Pauvreté Rustebeuf," "Le Mariage Rustebeuf," "La Mort Rustebeuf." Il est cependant, plutôt satirique et raille les personnes et les choses de son temps avec une vigueur que nous ne trouvons nulle part ailleurs avant Villon.

La poésie du XIVe et du XVe siècle est plus artifici

Poésie lyri

elle que celle du XIII, et la ballade, le chant royal, le triolet, ont une mesure plus variée et plus difficile que celle des rondeaux plus anciens et des pastourelles. Mentionnons que du xive et

du xve siècle.

les ballades de Guillaume de Machault et d'Eustache Deschamps, poètes champenois tous les deux et vivant dans la faveur des grands, ainsi que Froissart, le chroniqueur, dont les vers ne manquent pas de mérite. Un autre historien, qui fut aussi poète, fut Christine de Pisan, le second nom important de femme que nous rencontrions dans la littérature française. Alain Chartier, poète de la cour de Charles VII, dut être un chanteur bien harmonieux, puisque Marguerite d'Écosse, Dauphine de France, femme du prince qui fut plus tard Louis XI, trouvant un jour le poète endormi sur un banc, embrassa ses lèvres qui avaient prononcé tant de douces paroles.

Les deux meilleurs poètes du xve siècle furent Charles d'Orléans et Villon, un prince et un vagabond. Le nom du premier nous rappelle Charles une triste époque de l'histoire de France. d'Orléans. Après Crécy et Poitiers le royaume semblait perdu, mais malgré la Jacquerie, malgré Charles le Mauvais, malgré les Anglais, Charles le Sage avait réussi, avec 'l'aide de Du Guesclin, à reconstituer le pays et il avait laissé à son fils un puissant héritage. Charles VI devient fou, les grands seigneurs se disputent le pouvoir, Jean de Bourgogne fait tuer Louis d'Orléans, frère du roi, les Armagnacs et les Bourguignons s'entredéchirent, l'Anglais pénètre encore dans le royaume, et en 1415 Henri V est vainqueur à Azincourt. Sur ce champ de bataille fatal la noblesse est

décimée et les plus grands seigneurs de France sont tués ou faits prisonniers. Parmi ceux-ci était Charles d'Orléans, père du roi Louis XII, dont la captivité devait durer vingt-cinq ans. Dans sa prison d'Angleterre le prince français devient poète. Il chante, mais non pas avec énergie; le prisonnier d'Azincourt n'a pas la voix mâle d'un Tyrtée, d'un Rouget de Lisle, excitant à la guerre, à la vengeance; il parle d'amour ou s'occupe du renouveau qui amène les oiseaux et les fleurs. Charles d'Orléans est le plus gracieux poète du moyen âge, Villon en est le plus énergique.

Le XVe siècle, auquel appartenait Villon, est en réalité une époque de transition entre le moyen âge

Villon.

et la Renaissance, et l'on peut considérer Louis XI le premier roi de la France moderne, mais de tous les contemporains de ce monarque, Villon et Comines sont les seuls qui appartiennent plutôt à la nouvelle époque qu'à l'ancienne, et il vaut mieux les classer parmi les écrivains du moyen âge. D'ailleurs, le siècle de Louis XI n'était pas encore pénétré de l'esprit de l'antiquité, qui amena vraiment la Renaissance, et le xvre siècle est l'époque qui sut s'inspirer des chefs-d'œuvre grecs et latins. François Villon naquit à Paris en 1431 et mourut vers 1484. Il eut une vie accidentée et y fait allusion dans ses récits. Il eut à s'enfuir plusieurs fois de Paris pour échapper à la justice et fut même condamné à être pendu pour vol. On raconte qu'il dut sa grâce à l'intercession de Charles d'Orléans et que Louis XI le libéra de prison à Meung, où l'avait mis l'évêque d'Orléans. Le poète vagabond, qui savait si bien critiquer les gens de tout état, devait plaire au

roi le moins chevaleresque qu'il y eût jamais. Rien, avant Rabelais, n'égale la verve satirique et la force du "Petit" et du "Grand Testament et la grâce et la philosophie mélancolique de la "Ballade des Dames du Temps Jadis."

CHAPITRE VI

L'HISTOIRE ET ŒUVRES DIVERSES EN PROSE

L'USAGE universel du latin au moyen âge par les savants fit beaucoup de tort à la prose française, et celle-ci ne se développa que fort tard. L'histoire et tous les genres sérieux furent écrits en latin et il fallut l'intérêt que prenait le peuple aux croisades pour que les relations de ces grands événements fussent écrites en français. Il y eut des lettres en cette langue, telles que celle de Jean Sarrazin au XIIIe siècle, et les histoires remarquables de Villehardouin et de Joinville. Les trois premières croisades n'eurent pas d'historiens célèbres, c'est la quatrième qui sert de sujet à Villehardouin. La croi- Villeharsade contre Constantinople est une des douin. expéditions les plus curieuses de l'histoire; partis pour combattre les musulmans, les Occidentaux arrivés à Venise, prirent la route de Constantinople et firent la conquête de la grande ville des empereurs d'Orient. Le renversement de l'empire grec par les Latins, un comte de Flandre sur le trône d'Alexis Comnène, ces événements frappèrent vivement l'imagination et inspirèrent le maréchal de Champagne, Geoffroi de Villehardouin. Né vers 1160, mort vers 1213, Villehardouin accompagna à la croisade le mar

quis de Montferrat et dicta dans un style vigoureux et simple le récit des événements auxquels il assista. Son histoire a été comparée à une épopée et, au point de vue du style, c'est l'ouvrage historique le plus énergique du moyen âge.

Champenois comme Villehardouin fut le sire de Joinville qui nous raconte la première croisade de Louis IX. Le compagnon du saint roi

Joinville.

naquit en 1224 et mourut en 1317, et c'est à la fin de sa longue vie qu'il offrit à Louis le Hutin le livre "des saintes paroles et des bons faits" de Louis le Saint. L'œuvre de Joinville est plus inégale que celle de Villehardouin et n'est pas aussi bien coordonnée. Le sénéchal de Champagne ne possède pas la vigueur du maréchal de Champagne, mais avec quelle naïveté, quelle vérité, il nous trace le portrait de cet homme admirable qui fut le roi Louis IX. Le récit a tout l'intérêt d'un roman et on lit avec un vif plaisir le livre de l'aimable biographe du meilleur des rois.

Le chroniqueur le plus intéressant après Joinville est Froissart, né à Valenciennes vers 1337, mort vers 1410. La langue de cette époque est plus

Froissart. facile à comprendre que celle de Ville

hardouin et même de Joinville, aussi les chroniques de Froissart sont plus connues que celles de ses devanciers. Le poète-historien va dans toutes les cours de l'Europe; il lit ses poèmes aux rois, aux grandes dames, aux seigneurs, mais en même temps il observe les événements, il recueille les anecdotes, il écoute les récits et il met sous les yeux du lecteur la vie réelle de l'Europe féodale. C'est en lisant Froissart que nous comprenons bien ce que c'était que la guerre de Cent

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