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Rabelais, de La Fontaine, de Molière, de Voltaire, de Beaumarchais, de Béranger et de bien d'autres dans la littérature française. Comparons cet esprit à celui du "Voyage de Charlemagne à Jérusalem," à la "gaberie" des chansons de geste.

Un trait caractéristique des poèmes en langue d'oïl c'est la "gaberie." Chacun se vante à qui mieux mieux; rois et chevaliers sont capables, Voyage de d'après eux, d'entasser Pélion sur Ossa, Charlemagne comme les Titans dans la guerre des à Jérusalem. dieux. La femme de Charlemagne lui a dit que le roi Hugues le Fort, de Constantinople, est plus grand et plus fort que lui. L'empereur se rend à Constantinople avec ses paladins. Le roi les reçoit bien et leur donne une belle chambre pour passer la nuit. Avant de se coucher Charles veut "gaber." Il dit que d'un coup de son épée, Joyeuse, il peut fendre. en deux un adversaire et son cheval, malgré le casque et l'armure du chevalier, et que son épée restera enfoncée si profondément dans la terre que nul homme ne pourra l'en retirer.

Roland "gabe" et dit que s'il souffle dans son olifant, un tel vent s'élèvera que toute la ville s'écroulera et que même la barbe du roi Hugues sera arrachée par la violence du vent.

Le comte Bérenger dit qu'il prendra les épées de tous les chevaliers, qu'il les enfoncera dans la terre en laissant les pointes dehors et qu'il se jettera dessus du haut d'une tour, sans que les épées puissent entamer sa peau; au contraire, c'est l'acier qui sera ébréché.

Cette "gaberie" continue pendant des heures, l'archevêque Turpin, Olivier, Ogier le Danois, tous peu

vent faire des prodiges qui épouvantent un espion du roi de Constantinople. Dieu permet que les "gaberies" s'accomplissent et le roi est amené à la cour de Charles, où l'impératrice est forcée de reconnaître que l'empereur a toute la tête de plus que Hugues le Fort.

CHAPITRE V

LA POÉSIE ALLÉGORIQUE ET DIDACTIQUE ET LA POÉSIE LYRIQUE

COMME nous l'avons vu en parlant des moralités, l'allégorie était populaire au moyen âge. Le poème allégorique le plus intéressant de cette époque est le célèbre "Roman de la Rose."

Roman de la Rose.

L'Art d'Aimer d'Ovide avait été souvent traduit et imité et les poèmes sur l'amour étaient fréquents, quand, vers 1237, Guillaume de Lorris composa la première partie du "Roman de la Rose." L'auteur avait vingt-cinq ans et écrivit une œuvre charmante et poétique. Il est bien de son siècle et sa morale n'est guère sévère, mais l'on ne trouve rien de grossier dans son œuvre. Il se sert du songe comme cadre du sujet et réussit, malgré la monotonie ordinaire des compositions allégoriques, à produire un ouvrage qui eut tant de succès que, quarante ans après sa mort, Jean de Meun continua le poème resté inachevé. Guillaume de Lorris avait écrit 4670 vers, Jean de Meun compléta l'ouvrage, qui eut alors 22,817 vers.

Voici une courte analyse du "Roman de la Rose: "

Un jeune homme pénètre dans un jardin entouré de hauts murs sur lesquels sont peintes des figures représentant l'Avarice, l'Envie, la Vieillesse et autres personnages peu agréables. Il voit dans le jardin une magnifique rose, et Amour lui ayant percé le cœur d'une flèche, il veut s'emparer de la rose. Bel Accueil veut l'aider, Raison tâche de le dissuader et Ami l'encourage. Ses ennemis, Danger, Malebouche, Honte, et Peur s'opposent à l'Amant et à Bel Accueil, et malgré l'intercession de Franchise et de Pitié, Jalousie fait enfermer Bel Accueil dans une tour, et l'Amant est au désespoir. C'est ici que finit le gracieux poème de Guillaume de Lorris qui disait:

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"Ci est le Romant de la Rose

Où l'art d'amors est tote enclose."

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Jean de Meun continue l'œuvre de Guillaume de Lorris où celui-ci l'a laissée, mais le poème d'amour devient un prétexte pour étaler toute l'érudition du temps, et dans de longs discours, les personnages allégoriques font des satires acerbes contre les femmes, le mariage et les différentes classes de la société. Amour et ses vassaux viennent au secours de l'Amant qui veut délivrer Bel Accueil, et grâce à Nature que l'on voit travaillant dans sa forge, et à son prêtre, Génius, Bel Accueil est délivré, Amant cueille sa rose et s'éveille. On ne peut guère nommer toutes les abstractions de l'œuvre de Jean de Meun, il faut cependant appeler l'attention sur Faux Semblant, cet ancêtre de Tartuffe, où l'auteur attaque avec hardiesse l'hypocrisie religieuse. Jean de Meun n'a pas la grâce de Guillaume de Lorris, mais il a plus de force, et son poème plaît, tout grossier qu'il est, car

il nous présente un aperçu des connaissances du temps et les popularise. La poésie de Guillaume de Lorris et la force satirique de Jean de Meun eurent un immense succès, et le "Roman de la Rose" fut populaire pendant plusieurs siècles. Chaucer le traduisit, Marot le rajeunit, et il fut attaqué et défendu avec ardeur.

Le "Roman de la Rose" est allégorique, mais il est aussi didactique. On se servait aussi pour enPoèmes di seigner la morale, les sciences ou la dactiques. théologie, des Lapidaires, des Bestiaires, des Volucraires, ouvrages où les pierres précieuses, les animaux, les oiseaux servent de prétexte à la morale. Il y avait aussi les Bibles, telles que celles de Guyot de Provins, les Dits, courts récits sur différents sujets, et les Débats, principalement religieux, comme le "Débat du Corps et de l'Âme” si souvent cité. La poésie didactique, cependant, n'est pas plus intéressante dans la littérature du moyen âge que dans celle des autres époques et nous passerons à la poésie lyrique.

Poésie

La littérature du Nord, aussi bien que celle du Midi, est riche en poètes lyriques. Nous avons un grand nombre de charmants petits poèmes lyrique. du XIIIe et du XIIe siècle, et peut-être du XI: chansons d'histoire ou chansons de toile, que chantaient les femmes en travaillant," Belle Idoine," "Belle Doette," anonymes," Belle Argentine," " Belle Isabel," par Audefroi le Bâtard, d'Arras, du XIII® siècle. Rien de plus gracieux, de plus dramatique, que les petites chansons d'histoire; motets; rotrouenges à refrain; serventois, composés par ou pour les gens au service des grands seigneurs; rondeaux, ballettes,

estampies, virelis ou virelais, qu'on chantait en dansant; pastourelles, où un chevalier rencontre toujours une bergère et lui adresse des paroles d'amour, genre lyrique le plus gracieux de tout le moyen âge, où l'amour est fin, délicat et tendre; chansons de croisade, dont la complainte attribuée à la dame de Fayel est le modèle du genre; enfin les lais, dont nous avons déjà parlé, et dont les plus célèbres sont ceux de Marie de France qui vivait à la cour de Henri II d'Angleterre.

que du xiiie

siècle.

L'influence de la poésie provençale, presque toute lyrique et consacrée à l'amour, fut grande sur les poètes du Nord, et ceux-ci prirent le Poésie lyrigenre des chanteurs du Sud et rivalisèrent avec eux en courtoisie. Le XIIIe siècle est l'époque la plus florissante de la poésie lyrique, c'est alors que nous voyons Quesne de Béthune, mort en 1224, qui se plaint que les Parisiens se moquaient de son langage picard et qui disait:

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'Ne cil ne sont bien appris ne cortois,

Qui m'ont repris, se j'ai dit mot d'artois."

Il écrivait pour Marie de Champagne, cette fille d'Éléonore d'Aquitaine, qui protégeait les lettres et qui inspirait aussi Chrétien de Troies. Mentionnons encore du commencement du XIIIe siècle ou de la fin du XII, le Châtelain de Couci, Gace Brulé, Colin Muset, Blondel de Nesle, à qui la légende attribue la délivrance du roi Richard, et Cœur de Lion lui-même, aussi bon ménestrel que vaillant guerrier. Tout bon poète que fut Richard d'Angleterre il y eut un autre roi trouvère plus

Thibaut de
Champagne.

célèbre que lui, c'est le chevaleresque Thibaut, comte

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