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CINQUIÈME PARTIE

LE DIX-NEUVIÈME SIÈCLE

DANS un abrégé de l'histoire générale de la littérature française on ne peut donner de détails sur les écrivains du XIXe siècle. Il faudrait consacrer tout un volume à ce siècle qui touche à sa fin et qui a produit tant de grandes œuvres. Nous nous contenterons de nommer les principaux écrivains et d'appeler l'attention sur les ouvrages les plus importants.

CHAPITRE I

LA LITTÉRATURE SOUS L'EMPIRE

EN terminant notre aperçu de la littérature du XVIIIe siècle nous avons mentionné le grand nom de Napoléon. Pendant quinze ans ce nom absorbe, pour ainsi dire, tous les autres, et l'ambition militaire, le despotisme de l'Empereur, amoindrit les esprits, enlève l'indépendance nécessaire à la production des œuvres de génie. On ne peut nier ce fait quand on

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voit que les plus grands écrivains sous l'Empire sont ceux qui font opposition à l'Empereur. Sous Louis XIV il n'y eut pas plus d'indépendance que sous Napoléon, mais comme nous l'avons déjà dit, le roi personnifiait la France, et le glorifier c'était du patriotisme. L'état de guerre continuel ne pouvait être favorable an développement littéraire. La tragédie languit sous la tradition classique, et Marie-Joseph Chénier, Népomucène Lemercier, Ray

La

nouard produisent de pâles imitations des tragédie.

chefs-d'œuvre de Corneille et de Racine.

Ducis tâche d'introduire sur la scène française les pièces énergiques de Shakespeare, mais il ne les comprend pas bien lui-même et les dénature.

La comédie est plus intéressante que la tragédie, et les œuvres d'Andrieux, de Picard, d'Étienne sont amusantes et parfois spirituelles. La

Joseph et

Xavier de
Maistre.

poésie est élégante, gracieuse même, mais La comédie et la poésie. comme celle du XVIIIe siècle, elle manque d'inspiration et on ne lit plus les vers de Fontanes, de Chênedollé, de Legouvé, et à peine ceux de Millevoye. Comme prosateurs nous avons Joubert (1754-1824), dont les "Pensées" et les "Maximes " sont profondes et exprimées dans un style ciselé; Joseph de Maistre (17541821), grand écrivain, rempli de préjugés et de passion, dont les ouvrages, "Considération sur la France," "le Pape," "les Soirées de Saint-Pétersbourg" sont parmi les plus célèbres de la littérature française. Il était né à Chambéri, mais ne voulut pas être Français, quoiqu'il admirât beaucoup ce pays sous le régime monarchique. Il était l'adversaire de la Révolution et le champion de l'église.

Peu d'hommes ont écrit avec plus de force que lui, tandis que son frère Xavier de Maistre (1763–1852) est célèbre par ses œuvres charmantes et simples, Voyage autour de ma chambre," "le Lépreux de la cité d'Aoste," "les Prisonniers du Caucase," et "la Jeune Sibérienne."

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Napoléon lui-même doit être placé parmi les grands écrivains. Ses "Proclamations" sont brûlantes et imagées, et ses "Mémoires," Napoléon. dictés à Sainte-Hélène, sont écrits avec une force et une concision remarquables. Quand il fait le récit de ses batailles on peut le comparer comme écrivain à César, mais il manque à ses œuvres cet accent de vérité qu'on admire dans les commentaires du grand capitaine des Romains.

Les deux noms les plus importants du commencement du XIXe siècle sont ceux de Mme de Staël et de Chateaubriand. Leurs ouvrages ont exercé une si grande influence que nous donnerons quelques détails sur la vie et les œuvres de ces deux écrivains célèbres. Nous nous étendrons principalement sur Mme de Staël, comme elle est, à l'exception de George Sand, la femme auteur la plus distinguée du XIXe siècle.

de Staël.

Après le règne désastreux de Louis XV il eût fallu, pour éviter un cataclysme, que le chef de l'État eût un génie aussi ferme que celui Madame de Henri IV. Tel ne fut pas le malheureux Louis XVI; honnête et bon il était peu capable et il ne devait montrer de la fermeté que devant la mort. Les finances étaient dans un état déplorable et il fallut que le roi appelât à son aide un riche banquier genevois, Necker, homme de cœur, financier habile, mais ministre peu fait pour

une pareille époque de confusion. Necker avait une femme charmante, et dans ses salons se réunissait une societé d'élite. Là, on voyait tous les hommes de lettres de l'époque, les femmes spirituelles, les hommes élégants, et à côté de Mme Necker se trouvait sa fille, la jeune Germaine, née en 1766, qui écoutait attentivement la conversation si brillante de cette société raffinée du XVIIIe siècle. Mûrie de bonne heure à ce contact Germaine se met à écrire sur toutes sortes de sujets: romans, drames, tragédies, essais philosophiques, et quoique ces œuvres ne témoignent pas grand talent on y reconnaît déjà le caractère de l'auteur. Elle était bonne, dévouée à ceux qu'elle aimait, mais trop impulsive, trop imprudente dans ses paroles. Elle avait l'esprit étendu, beaucoup d'imagination, mais se laissait trop emporter par ses sentiments. Elle considérait qu'une femme ne devait chercher la gloire que pour se faire aimer et elle disait: "Une femme ne doit avoir rien à elle et trouver toute sa jouissance dans ce qu'elle aime." Elle trouvait que le suprême bonheur était l'amour dans le mariage, et on la mariait à un homme qui avait dix-sept ans de plus qu'elle, qu'elle n'aimait pas et qui l'épousait afin d'avoir de l'argent pour payer ses dettes et pour soutenir dignement son rôle d'ambassadeur.

à Paris.

Le baron de Staël-Holstein représentait le roi de Suède en France, et le salon de sa femme devint bientôt le plus populaire de Paris. Mme de Staël se fit des ennemis par la hardiesse Son salon de ses opinions exprimées trop librement, et groupa autour d'elle tous ceux qui voulaient la réforme de l'ancienne monarchie. Son salon fut un salon politique plutôt que littéraire et ses intimes

furent Narbonne, Talleyrand et Mathieu de Montmo

rency.

Elle triompha lorsque son père fut ministre une seconde fois en 1789 et elle accueillit les principes de la Révolution avec enthousiasme. Elle gouverna presque lorsque Narbonne fut ministre, et la reine lui fut hostile, mais elle n'était pas faite pour la politique. Elle comprenait parfaitement les idées de son siècle et les a exprimées avec une fidélité qui constitue un des grands mérites de ses œuvres, mais elle n'eut pas d'idées politiques vraiment neuves, et les événements précipités qui conduisirent la France aux massacres de Septembre la terrifièrent. Elle courut de grands dangers, mais réussit à se réfugier au château de son père à Coppet, sur le lac de Genève. Là, elle prit généreusement la défense de Marie-Antoinette, et écrivit ses "Réflexions sur le procès de la reine." En 1789 elle avait publié ses "Lettres sur Jean-Jacques," le premier ouvrage qui parut sous son nom de femme. Elle admire Rousseau et le juge avec finesse.

Benjamin
Constant.

C'est à Coppet, en 1794, qu'elle rencontra Benjamin Constant, avec qui elle fut liée pendant plus de dix ans et qu'elle aima beaucoup. Le sceptique, le cynique auteur de ce roman si désespérant, "Adolphe," s'attacha par vanité à une femme célèbre et la rendit malheureuse. Il était trop égoïste, avait le cœur trop sec pour apprécier le noble désintéressement dont fit toujours preuve Mme de Staël. Celle-ci était rentrée en France après le 9 Thermidor et était devenue franchement républicaine, mais comme elle voulait organiser une république selon ses idées à elle, le Directoire ne la

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