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écrivain se réfugia à Motiers, en Neuchâtel, appartenant alors au roi de Prusse. Le grand Frédéric ordonna de bien recevoir Rousseau, et celui-ci, devenu ami du maréchal Keith, jouit d'un moment de repos. Les personnes le plus distinguées vinrent le voir, parmi lesquelles nous voyons Gibbon, l'historien, et Boswell, le biographe modèle. A Motiers Rousseau écrivit sa célèbre lettre à l'archevêque de Paris, où il défend la profession de foi du Vicaire Savoyard. Il renonça aussi, à cette époque, à son titre de citoyen de Genève et écrivit ses "Lettres de la Montagne," où il attaque violemment le parti aristocratique de Genève. Ces ouvrages témoignent d'une vigueur étonnante de style et d'esprit, quand nous considérons que l'imagination de Rousseau était alors plus malade que jamais, et qu'il touchait à la folie. Il adopta le costume arménien et passa son temps à faire des lacets. Le peuple orthodoxe de Neuchâtel ne permit pas à l'auteur d'" Émile" de passer ses jours dans une occupation inoffensive. Ils lui firent subir toutes sortes de persécutions, qu'il exagéra, sans doute, et afin de sauver sa vie, à ce qu'il crut, il alla à l'île de Saint Pierre, dans le lac de Bienne. L'amour de la nature lui inspira dans cette île une admirable description du paysage pittoresque et sauvage. Il vivait content, mais un ordre de Berne le bannit encore. Où pouvait-il aller? Hume, le grand historien, lui offrit un refuge en Angleterre. Il accepta, alla à Wooton, dans le Derbyshire, se querella bientôt avec son protecteur et revint en France, où il ne fut pas inquiété. Il erra de Fleurus, près de Gisors, jusqu'à Trye, où il prit le nom de Renou; il alla ensuite à Grenoble, et en 1770, nous le

de Sophie est encore plus utopique que celle d'Émile, et la future femme de notre héros nous paraît assez étrange avec son amour pour Télémaque, amour qu'elle transférera à Émile comme étant le prototype du fils d'Ulysse. Ils sont fiancés, et nous pensons qu'ils vont bientôt se marier, mais ici encore le sage gouverneur intervient, et il envoie Émile voyager pendant trois ans, pour apprendre à conquérir ses passions et pour compléter son instruction. Il revient, cependant, toujours amoureux de sa Sophie; le mariage a lieu; les deux êtres privilégiés sont heureux, et l'ouvrage arrive à la fin. Nous devons regretter que Rousseau ait écrit une suite de "Émile," où de la manière la plus extraordinaire, il détruit sa propre théorie de l'éducation des femmes en rendant Sophie infidèle à son mari.

Dernières années de

وو

Nous avons laissé Rousseau à l'Hermitage, amoureux de Mme d'Houdetot et souffrant d'une maladie incurable. Nous le voyons ensuite à Montmorency, où l'amitié d'un grand Rousseau. seigneur, le maréchal de Luxembourg, le rend comparativement heureux. Bientôt ses malheurs vont recommencer. Quand l'" Émile parut ses amis lui firent savoir que le livre devait être condamné et brûlé. Rousseau s'échappa avant que le décret fût lancé, et se réfugia à Yverdun, dans le canton de Berne. Là, il apprit avec stupeur que sa ville natale, qu'il avait toujours aimée et dont il avait parlé si favorablement dans ses fameuses "Lettres à d'Alembert," avait ordonné de brûler le "Contrat Social" et l'" Émile," et défendu à l'auteur de pénétrer sur le territoire de la république. Berne suivit bientôt l'exemple de Genève, et le malheureux

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écrivain se réfugia à Motiers, en Neuchâtel, appartenant alors au roi de Prusse. Le grand Frédéric ordonna de bien recevoir Rousseau, et celui-ci, devenu ami du maréchal Keith, jouit d'un moment de repos. Les personnes le plus distinguées vinrent le voir, parmi lesquelles nous voyons Gibbon, l'historien, et Boswell, le biographe modèle. A Motiers Rousseau écrivit sa célèbre lettre à l'archevêque de Paris, où il défend la profession de foi du Vicaire Savoyard. I renonça aussi, à cette époque, à son titre de citoyen de Genève et écrivit ses "Lettres de la Montagne," où il attaque violemment le parti aristocratique de Genève. Ces ouvrages témoignent d'une vigueur étonnante de style et d'esprit, quand nous considérons que l'imagination de Rousseau était alors plus malade que jamais, et qu'il touchait à la folie. Il adopta le costume arménien et passa son temps à faire des lacets. Le peuple orthodoxe de Neuchâtel ne permit pas à l'auteur d'Émile" de passer ses jours dans une occupation inoffensive. Ils lui firent subir toutes sortes de persécutions, qu'il exagéra, sans doute, et afin de sauver sa vie, à ce qu'il crut, il alla à l'île de Saint Pierre, dans le lac de Bienne. L'amour de la nature lui inspira dans cette île une admirable description du paysage pittoresque et sauvage. Il vivait content, mais un ordre de Berne le bannit encore. Où pouvait-il aller? Hume, le grand historien, lui offrit un refuge en Angleterre. Il accepta, alla à Wooton, dans le Derbyshire, se querella bientôt avec son protecteur et revint en France, où il ne fut pas inquiété. Il erra de Fleurus, près de Gisors, jusqu'à Trye, où il prit le nom de Renou; il alla ensuite à Grenoble, et en 1770, nous le

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trouvons à Paris. Il vécut huit ans dans la capitale de la France, l'esprit troublé, et produisant ces étranges Dialogues" entre Jean-Jacques et Rousseau, consacrant la plus grande partie de son temps à la botanique, un objet de curiosité pour tous et d'intérêt pour quelques-uns. Bernardin de Saint Pierre, l'auteur de "Paul et Virginie," rencontra souvent Rousseau à cette époque, et nous l'a dépeint. Il était très pauvre et sombre et morose. M. de Girardin lui offrit un asile à Ermenonville, à vingt milles de Paris, et là, le 2 juillet 1778, il mourut subitement. Il n'est pas prouvé que sa mort ne fut pas due à un suicide.

Rousseau est

Le caractère de Rousseau était un étrange mélange de bon et de mauvais. Nous devons louer bien des sentiments élevés dans ses écrits, son le fondateur esprit d'indépendance, sa franchise qui de l'école touchait à la brutalité, comme quand il romantique. écrivait à Voltaire: "Monsieur, je ne vous aime point;" mais que d'actions viles il a commises, et comme il s'en glorifie! Nous plaignons ses malheurs, mais nous ne pouvons l'admirer comme homme. Comme écrivain nous devons le louer hautement, et dire que ce grand génie mérite d'être enseveli au Panthéon parmi les grands hommes. Son influence comme éducateur a été favorable, mais son influence sur la littérature est encore bien plus importante. Dans ses écrits nous trouvons de la force, et en même temps une grâce et une fraîcheur merveilleuses. Bernardin de Saint-Pierre procède de lui, et Mme de Staël et Chateaubriand et Lamartine, et il est réellement le fondateur de l'école romantique

et le précurseur de Victor Hugo, d'Alfred de Musset et de leurs disciples.

CHAPITRE V

LA POÉSIE

Nous avons vu que Voltaire est célèbre comme poète, surtout dans ses Épîtres et ses Satires, où son esprit fin et léger se trouve à l'aise. Le souffle lyrique lui manque, ainsi qu'à tous ses contemporains, et ce n'est qu'à la fin du XVIIIe siècle qu'apparaissent un vrai poète, André Chénier, emporté si jeune par la tourmente révolutionnaire et Rouget de l'Isle, l'auteur de "la Marseillaise." Si l'on était bon poète parce qu'on écrit des vers corrects, élégants même, on peut dire qu'il exista en France au XVIIIe siècle un grand nombre de poètes. Ils mirent parfaitement en pratique les préceptes de Boileau et furent d'habiles versificateurs, mais l'inspiration poétique leur fit certainement défaut. Jean-Baptiste Rousseau (1670-1741) fut longtemps considéré un poète lyrique de premier ordre. Ses "Odes," J.-B.

ses

"Cantates," sont, cependant, bien Rousseau. froides, et l'on préfère ses "Épigrammes," qui sont caustiques et spirituelles. Accusé, peut-être à tort, d'avoir écrit des libelles infâmes, il fut banni de France et vécut principalement à Bruxelles. Le Franc de Pompignan (1709-1784) a pleuré, dans une belle ode, la mort de Rousseau et, par ses "Poésies Sacrées," mérite d'être placé parmi les meilleurs poètes de son siècle. Il eut le

Pompignan.

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