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"Siècle de

Louis XIV."

Le "Siècle de Louis XIV" (1751) est le plus grand ouvrage historique de Voltaire. Il y travailla vingt ans, et produisit une œuvre digne de l'époque dont il raconte l'histoire. Il est à regretter que le livre soit divisé en différentes parties, telles que celles qui traitent des affaires militaires, de la vie privée du roi, des beauxarts, de la littérature, des finances, des affaires ecclésiastiques. Ces différents tableaux affaiblissent un peu l'intérêt, et l'on eût préféré voir l'enchaînement des événements, les causes et le résultat de chacun. Néanmoins, Voltaire, comme Bossuet, est historien philosophe. Dans son "Essai sur les mœurs et l'esprit des nations" il explique les traits caractéristiques des époques, mais il ne comprend pas bien le rôle du christianisme dans la civilisation et se laisse aveugler par ses préjugés. Ses "Annales de l'Empire," son "Histoire de Pierre le Grand," son "Histoire du Parlement de Paris," n'ont pas grand mérite, et son "Précis du Siècle de Louis XV" ne pouvait être une œuvre impartiale, mais nous admirons dans ce dernier ouvrage le récit de la bataille de Fontenoy. Voltaire comprenait parfaitement comment il faut écrire l'histoire et s'exprime ainsi dans son "Siècle de Louis XIV": "Ce n'est pas seulement la vie de Louis XIV qu'on prétend écrire: on se propose un plus grand objet. On veut essayer de peindre à la postérité, non les actions d'un seul homme, mais l'esprit des hommes dans le siècle le plus éclairé qui fut jamais. Tous les temps ont produit des héros et des politiques; tous les peuples ont éprouvé des révolutions, toutes les histoires sont presque égales pour qui ne veut mettre que des faits dans sa mémoire. Mais quiconque pense,

et, ce qui est encore plus rare, quiconque a du goût, ne compte que quatre siècles dans l'histoire du monde. Ces quatre âges heureux sont ceux où les arts ont été perfectionnés, et qui, servant d'époque à la grandeur de l'esprit humain, sont l'exemple de la postérité.” "On ne s'attachera, dans cette histoire," ajoute l'auteur, "qu'à ce qui mérite l'attention de tous les temps, à ce qui peut peindre le génie et les mœurs des hommes, à ce qui peut servir d'instruction, et conseiller l'amour de la vertu, des arts, et de la patrie."

Romans.

Les principaux romans de Voltaire sont "Zadig " (1747), "Candide" (1759), "l'Ingénu" (1767), "l'Homme aux quarante Écus" (1768). Ils ont tous un but philosophique ou satirique, et sont admirablement écrits. On regrette que ces œuvres, si parfaites au point de vue du style, soient gâtées par des grossièretés inexcusables.

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C'est dans les Lettres philosophiques" (1731) et son "Dictionnaire philosophique," formé en grande Philosophie partie d'articles écrits pour l'Encycloet Corre- pédie, que nous voyons les idées scepspondance. tiques de Voltaire. Ces idées eurent une grande influence sur son siècle et hâtèrent la Révolution, dont Voltaire n'eût pas approuvé les excès. Il n'était pas opposé à la monarchie, mais voulait qu'elle fût moins despotique et plus éclairée. Son "Dictionnaire philosophique" ne nous intéresse guère aujourd'hui, et nous préférons apprendre à connaître l'homme et l'écrivain par sa correspondance. C'est là que nous verrons son esprit extraordinaire, son style inimitable. Quant à son caractère, il faut étudier toute sa vie et toutes ses œuvres pour arriver à bien le com

prendre et pour peser d'une manière équitable le bien et le mal. Comme écrivain on peut dire qu'il ne fut pas un poète de grand génie, mais un prosateur imcomparable. On ne saurait assez étudier cette langue si claire, si concise, si simple et si forte.

CHAPITRE III

MONTESQUIEU, BUFFON, LES ENCYCLOPÉDISTES,

LES PHILOSOPHES ET LES MORALISTES

VOLTAIRE a exercé une sorte de royauté sur son siècle, mais il n'a pas le génie aussi profond que Montesquieu. Celui-ci est avec Rousseau le Montesplus grand penseur du XVIIIe siècle, l'es- quieu. prit le plus franchement créateur de l'époque.

Charles-Louis de Secondat, baron de la Brède et de Montesquieu, naquit le 18 janvier 1689 près de Bordeaux. Il fut élevé chez les oratoriens de Juilly, étudia le droit et devint en 1714 conseiller au parlement de Bordeaux, et en 1718 président à mortier. Tout en s'occupant des fonctions de sa charge, qu'il n'aimait pas, il prit une part active aux travaux de l'Académie de Bordeaux et écrivit des mémoires scientifiques. Il fit paraître en 1721 les "Lettres Persanes," où il fit des portraits dignes de La Bruyère, et une critique fine et exacte de la société Les Lettres de son temps. Deux Persans, Usbek et Persanes. Rica, voyageant en France, communiquent leurs impressions à leurs compatriotes, et ceux-ci leur répondent et présentent des tableaux, parfois trop sensuels,

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de la vie des Orientaux. Le livre du Président de Montesquieu est trop frivole par la forme, mais il est philosophique par le fond. Il valut à l'auteur une place à l'Académie Française et l'encouragea à continuer ses études sur la société. Il voulut y ajouter des considérations sur les constitutions et les jurisprudences des différents peuples, et, ayant vendu sa charge de président, il se mit à voyager. Il alla à Vienne, où il rencontra le prince Eugène, en Italie, où il eut lord Chesterfield pour compagnon, en Allemagne, en Suisse, en Hollande, puis en Angleterre, dont la constitution lui inspira une grande admiration. Après trois ans de voyage il se retira dans son Considéra château de la Brède et publia en 1734 tions sur la les "Considérations sur la grandeur et la grandeur et la décadence décadence des Romains." On peut comdes Romains. "parer cet ouvrage au "Discours sur l'Histoire Universelle" de Bossuet, car, comme le grand évêque, Montesquieu cherche la philosophie de l'histoire. Il s'occupe plutôt des causes de la décadence que de celles de la grandeur, et fait un admirable tableau des guerres de la république et du despotisme de l'Empire.

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En 1748 parut le chef-d'œuvre de Montesquieu, l'Esprit des Lois," auquel il travailla vingt ans.

des Lois.

L'auteur y mit pour épigraphe, prolem L'Esprit sine matre creatam (enfant sans mère), et eut raison. L'oeuvre est réellement une puissante création, quoiqu'il n'y ait pas assez d'ordre dans la division du sujet.

Montesquieu avait acquis l'estime de tout le monde et partageait la popularité de Voltaire en Europe. Il mourut à Paris en 1755,

Le premier grand nom que nous rencontrions dans l'histoire de la science en France est celui de Buffon, mais malgré la popularité

Buffon.

dont il jouit comme savant au XVIIIe siècle, c'est surtout comme littérateur qu'il est célèbre aujourd'hui.

Né à Montbard, en Bourgogne, en 1707, George Louis Leclerc de Buffon fit ses études au collège de Dijon, s'intéressa d'abord aux mathémaL'Histoire tiques, voyagea en Italie et en Angleterre Naturelle. avec lord Kingston, et fit paraître des

traductions d'ouvrages scientifiques anglais. En 1739 il fut nommé intendant du Jardin du Roi, et conçut alors le projet d'écrire une "Histoire Naturelle." Il y travailla cinquante ans et publia, à l'aide de collaborateurs, trente-six volumes in-quarto, la "Théorie de la Terre," puis les "Époques de la Nature,"

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"Histoire Naturelle de l'Homme," celle des "Quadrupèdes," et celle des " Oiseaux." Buffon a l'instinct scientifique, et ses hypothèses sont admirables. Il travaillait avec une ardeur infatigable, et l'on ne saurait trop appeler l'attention sur sa définition du génie, une longue patience." Nous aimons à nous représenter ce grand homme dans la tour de son château de Montbard, écrivant son bel ouvrage, le corrigeant sans cesse, tâchant de trouver un style à la hauteur du sujet qu'il traite. Il lui semble qu'aucune phrase ne saurait être assez noble pour décrire les merveilles de la nature et il écrit avec pompe et éloquence. Ce style faisait dire à Voltaire de l'" Histoire Naturelle," "pas si naturelle," mais on rencontre parfois dans Buffon de la simplicité. Il faisait des progrès avec l'âge et ses " Époques de la Nature," écrites quand il

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