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QUATRIÈME PARTIE

LE DIX-HUITIÈME SIÈCLE

CHAPITRE I

VUE D'ENSEMBLE DU XVIIIe SIÈCLE ET LES SALONS
LITTÉRAIRES

et Louis XV.

LE XVIIIe siècle, à proprement parler, commence à la mort de Louis XIV en 1715. La Régence du duc d'Orléans inaugure une ère de frivolité et La Régence de débauche, une réaction contre l'esprit de tristesse et de bigoterie des dernières années, et la littérature sera moins décente et moins croyante qu'au XVIIe siècle. Il y a perte dans la tragédie et la comédie, dans l'éloquence de la chaire, dans la poésie; il y a gain dans l'histoire, dans la philosophie et dans le roman. Il y a plus de hardiesse dans les idées au XVIIIe siècle et ce n'est plus un roi qui personnifie l'époque, c'est Voltaire, l'homme universel. A côté de lui, cependant, on voit Montesquieu et Buffon, Rousseau et les encyclopédistes, et le frivole et le sérieux se trouvent côte à côte. La langue française devient européenne, et la littérature française s'étend sur toute l'Europe. L'Espagne et

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l'Italie ne produisent plus de grandes œuvres, l'Allemagne n'a pas encore ses Klopstock, ses Lessing, ses Schiller, et ses Goethe, et l'Angleterre, quoiqu'elle soit une digne rivale de la France, admire et étudie sa littérature. Au point de vue politique la France est dégradée par son roi, et malgré Fontenoy elle est vaincue à Rosbach, et Louis XV signe en 1763 le honteux et désastreux traité de Paris, par lequel étaient abandonnées toutes les colonies acquises par la grande extension donnée aux affaires maritimes par ce puissant génie, Colbert. Non seulement les Français, mal secondés par le gouvernement, n'avaient pu résister aux Anglais dans les Indes et en Amérique, mais ils n'avaient pas même pu garder les possessions qu'on ne leur contestait pas, et il avait fallu que le roi très chrétien suppliât son cousin d'Espagne, Charles III, de la débarrasser de cette Louisiane qui avait un si grand amour pour la mère patrie. La France était humiliée et déshonorée aux yeux de l'Europe, et Frédéric ne cachait pas son mépris pour le Bourbon de Versailles. Le roi était entièrement gouverné à l'époque du traité de Paris par sa favorite, JeanneAntoinette Poisson, marquise de Pompadour. Elle avait été d'une admirable beauté, et douée d'une intelligence peu commune, elle avait essayé de protéger les lettres et les arts et disait qu'elle aurait voulu aimer un roi chevalier comme François 1er. Son influence a été néfaste pour la France, mais qui doit en être responsable? N'est-ce pas celui qui était le maître, et dont le pouvoir était absolu pour le bien comme pour le mal et qui, renfermé dans son Parcaux-Cerfs, se bouchait les oreilles pour ne pas entendre le grondement précurseur de la Révolution.

L'influence de la reine, vertueuse et douce, était nulle, ainsi que celle du Dauphin, prince bon et religieux, et des trois filles du roi, élèves du célèbre Goldoni. C'était la favorite qui gouvernait la France, qu'elle s'appelât Châteauroux, Pompadour ou Du Barry.

Paris au XVIIIe siècle.

Qu'était-ce que Paris au XVIIIe siècle? Suivons un jeune homme qui fait son entrée à Paris et voyons ce qu'il éprouve. La première impression qu'il ressent en voyant la grande ville n'est pas très favorable, car il s'était imaginé trouver une ville aux bâtiments de marbre et de pierre. Au contraire, il voyait des maisons à la façade sombre et délabrée et des rues où il y avait une boue noire et d'une odeur âcre. Au milieu de la rue se trouvait un ruisseau gonflé par la pluie. De grandes enseignes en fer se balançaient, au risque d'écraser les passants, et de rares réverbères à l'huile jetaient une lumierè terne.

Tel était à l'extérieur le Paris du XVIIIe siècle, mais à l'intérieur de ces maisons à l'apparence sordide, vous eussiez vu des femmes, aux splendides toilettes, causant philosophie et littérature avec des hommes à l'esprit fin et cultivé, ou se préparant à aller entendre à la Comédie Française le gentil marivaudage du "Jeu de l'Amour et du Hasard" ou les pièces de Voltaire et de Crébillon, tandis que d'autres personnes se disposaient à se rendre au Thêatre Italien ou à l'Académie Royale de Musique.

Paris était sale et obscur, et Versailles, en prenant le roi, avait paru lui enlever toute sa splendeur, mais, cependant, c'était la grande ville littéraire du monde, celle qui pensait pour l'Europe; c'était la ville de l'Académie Française, du Collège Louis-le-Grand,

enfin la ville de cette débauchée d'esprit, comme disait Horace Walpole, la femme du XVIIIe siècle. La femme, à cette époque, exerce une immense influence, et c'est à son esprit qu'elle le doit. Jetons donc un coup d'œil sur les salons du XVIIIe siècle.

Les salons littéraires.

Pendant la glorieuse époque du règne de Louis XIV, il n'y eut d'autre salon que la cour. Ce ne fut que quand cette grande individualité eut cessé de peser sur la France que s'ouvrirent, en réalité, les salons particuliers. Il y eut d'abord ceux qui étaient consacrés principalement aux plaisirs: de la duchesse du Maine à Sceaux, où nous voyons Mlle de Launay, de la princesse de Conti au Temple, du Palais-Royal; ensuite madame de Lambert et madame de Tencin reçurent leurs amis d'une manière charmante. La dernière, surtout, réunissait chez elle des littérateurs et des hommes d'état, et par eux était devenue une grande puissance à la cour. Nous voyons ensuite les salons de madame Dupin, de madame d'Épinay, de madame d'Houdetot, et de madame Doublet, d'où partaient les fameuses nouvelles à la main, qui faisaient les délices des Parisiens et des provinciaux, et même du roi, quoique le lieutenant de police eût feint de vouloir les supprimer. Les deux principaux salons, cependant, étaient ceux de madame Du Deffand et de madame Geoffrin. Mme Du Deffand était une femme très remarquable et qui joua un grand rôle dans son siècle. Elle demeura longtemps au couvent de Saint-Joseph, rue St. Dominique, dans l'ancienne chambre de Mme de Montespan. Quoique vieille et aveugle elle retint son monde par son esprit et, peut-être, par le charme de sa compagne, Mlle de Lespinasse. Que celle-ci la

quitte, et Mme Du Deffand sera réduite à la société de son vieux président Hainault et de son ami Pont de Veyle. On voyait en Mlle de Lespinasse une ardeur contenue, un enthousiasme, qui manquait à Mme Du Deffand et à Mme Geoffrin. Qu'il vienne un M. de Mora, un chevalier Guibert, et cette ardeur deviendra une passion délirante. exprimée dans des lettres enflammées.

Marie-Thérèse Rodet naquit en 1699 et épousa, à l'âge de quatorze ans, M. Geoffrin, un riche banquier, qui se tint à l'écart, et permit à sa femme de recevoir un cercle choisi de personnes distinguées. Le lundi était le jour des artistes; le mercredi, celui des gens de lettres. La plus grande politesse régnait toujours dans le salon de Mme Geoffrin.

CHAPITRE II

VOLTAIRE

VOLTAIRE n'appartient en réalité à aucun genre particulier de littérature. Son génie semble à l'aise dans tous les sujets et il écrit aussi bien en prose qu'en vers. Il produit des poèmes épiques, des tragédies, des comédies, des romans, des œuvres d'histoire et de philosophie, des satires mordantes et spirituelles, et il trouve le temps d'écrire des milliers de lettres à l'Europe entière. Il est l'homme le plus étonnant de son époque, sinon le plus grand, et l'étude de son caractère est un problème intéressant. On ne sait, après avoir étudié avec attention sa vie et ses œuvres, quelle opinion se former de son caractère, et nous

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