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et en 51 il avait fait de la Gaule entière une province romaine. Les Gaulois avaient vaillamment combattu, mais leurs discordes intestines ne leur avaient pas permis de résister au conquérant, et malgré le dévouement et l'héroïsme d'un Vercingétorix, César vainquit et fit mourir un million de Gaulois et se rendit maître de tout le pays.

La Gaule, dit César dans ses commentaires, était divisée en trois parties: le sud, habité par les Aquitains (Aquitani), le centre, par les Gaulois proprement dits (Galli), et le nord, par les Belges (Belga). Les Aquitains étaient de race ibérienne, les Gaulois et les Belges parlaient la langue celtique, de la famille indoeuropéenne, comme le sanscrit, le grec et le latin. Les Gaulois n'avaient point une forte cohésion politique et étaient bien moins civilisés que leurs vainqueurs, aussi adoptèrent-ils rapidement la civilisation et la langue des Romains. César et son successeur, Auguste, tâchèrent de faire perdre aux Gaulois tout souvenir de leur ancienne indépendance en divisant le pays en sections géographiques, sans avoir égard aux divisions par tribus et en proscrivant la caste sacerdotale des druides et leur religion. Au bout de quelque temps la Gaule devint un pays roman de langue et de coutumes, c'est-à-dire que la langue des Romains, quelque peu modifiée, devint celle des Gaulois. Voyons comment se fit cette transformation.

Le latin

Lorsque les Romains vinrent en Gaule ils parlaient le latin, dialecte de la langue italique, mais ce latin avait deux formes distinctes, la langue écrite ou littéraire, sermo nobilis, et la langue parlée par le peuple, lingua rustica. On

populaire

raconte que Cicéron, après avoir prononcé ses admirables discours au Forum, parlait en rentrant chez lui, avec sa femme et ses enfants, la langue populaire. Quoiqu'il y eût dans le vocabulaire de cette langue beaucoup de mots de la langue littéraire, les deux idiomes différaient considérablement, et l'on peut dire que la langue que parlaient les soldats de César était loin d'être celle dans laquelle étaient écrits les admirables commentaires de leur général. Ce ne fut pas la langue de César que les Gaulois apprirent, ce fut celle de ses soldats. Ce fut donc la langue populaire (lingua romana rustica) qui donna naissance aux idiomes romans. Ces idiomes différèrent dans les différents pays que les Romains conquirent et colonisèrent, et devinrent les huit langues romanes sœurs, nées du latin populaire, modifié par les vaincus et leurs descendants, selon les circonstances. Ces huit langues sont le français, le provençal, l'espagnol, l'italien, le portugais, le catalan, le rhétoroman et le roumain.

Les Germains.

Nous avons vu la Gaule devenue romaine adopter la langue du vainqueur; l'invasion des tribus germaniques vers le IVe siècle va-t-elle faire. disparaître le latin? Non, les Francs s'établissent au nord, les Burgondes à l'est, les Visigoths au sud-ouest; les Germains sont les vainqueurs, mais étant moins civilisés que les GalloRomains, ils vont adopter la langue et la civilisation des vaincus. Ils apportèrent cependant de nouvelles idées et il fallut pour les exprimer qu'on se servît en Gaule des termes de la langue germanique. Op compte en français un assez grand nombre de mots venant directement du germain et se rapportant principalement à la guerre et aux coutumes féodales.

d'oc.

En Gaule la langue romane se divisa en deux branches: au nord il y eut la langue d'oil, au sud, la La langue langue d'oc, et toutes deux eurent des dialectes différents. La langue d'oc périt comme langue littéraire après la Croisade des Albigeois au XIII° siècle et ce n'est que de nos jours, grâce au génie de Mistral et au zèle des félibres, que le doux idiome des troubadours semble renaître et reprendre un rang littéraire.

d'oil.

Les principaux dialectes de la langue d'oil étaient le picard, le normand, le bourguignon, le poitevin, et Les dialectes le dialecte de l'Ile-de-France ou français. de la langue Chacun de ces dialectes eut, à une certaine époque, une importance littéraire, et ce ne fut pas à cause de la supériorité des ouvrages écrits en français que ce dialecte devint plus tard la langue de tout le pays. Les derniers Carlovingiens réfugiés à Laon n'eurent aucune puissance, et les ducs de Normandie et les ducs de France, comtes de Paris, avaient un territoire bien plus étendu que celui de Louis d'Outremer et de Lothaire. Hugues le Grand joua quelque temps le rôle de faiseur de rois, et les Carlovingiens restèrent sur le trône en s'appuyant, soit sur le duc de Normandie, soit sur le comte de Paris. Lorsque ceux-ci s'unirent contre le roi, la royauté carlovingienne tomba et celle des capétiens commença en 987. La nouvelle dynastie eut Paris pour capitale, et les successeurs de Hugues Capet surent étendre leur pouvoir sur toute la France. Au XIIIe siècle, après les conquêtes de Philippe-Auguste, la domination du roi fut solidement établie, la langue que parla le roi devint la langue nationale. Le dialecte de l'Ile-de-France, par

l'avènement de Hugues Capet et l'extension de l'autorité royale, devint la langue littéraire du pays, et les autres dialectes, d'importance à peu près égale à l'origine, tombèrent à l'état de patois, c'est-à-dire de langue parlée par le peuple et non écrite.

En étudiant l'histoire de la littérature du moyen âge, de ces œuvres écrites en vieux français, il faut se rendre compte de la principale diffé- Le vieux rence qui existe entre le vieux français et français. la langue moderne. Le vieux français, à l'imitation du latin, avait une déclinaison à deux cas, le cas sujet et le cas régime, et ce ne fut qu'au xve siècle que disparut le cas sujet. A l'époque de la Renaissance le vieux français fit place au français moyen qui, à son tour, devint la langue moderne au XVII® siècle.

Il est fait mention plusieurs fois de la langue romane en Gaule, et en 768 les "Gloses Les premiers de Reichenau" nous présentent quelques monuments mots de l'idiome que l'on parlait lorsque de la langue Charles, fils de Pépin, succéda à son père. française. Le premier monument, cependant, qu'il y ait de la langue d'oïl est le fameux Serment de Strasbourg, en 842, entre Charles le Chauve et Louis le Germanique, fils de Louis le Débonnaire.

SERMENT DE LOUIS LE GERMANIQUE.

"Pro deo amur et pro christian poblo et nostro commun salvament, d'ist di in avant, in quant deus savir et podir me dunat, si salvarai eo cist meon fradre Karlo et in aiudha et in cadhuna cosa, si cum on per dreit son fradra salvar dift, in o quid il mi

altresi fazet, et ab Ludher nul plaid nunqua prindrai, qui meon vol, cist meon fradre Karle in damno sit."

On voit que cette langue a bien des formes latines, mais on y voit aussi poindre le français moderne. En voici la traduction:

"Pour l'amour de Dieu, et pour le peuple chrétien et notre commun salut, de ce jour en avant, autant que Dieu m'en donne le savoir et le pouvoir, je sauverai mon frère Charles, ici présent, et lui serai en aide en chaque chose (ainsi, qu'un homme, selon la justice, doit sauver son frère), en tout ce qu'il ferait de la même manière pour moi, et je ne ferai avec Lothaire aucun accord qui, par ma volonté, porterait préjudice à mon frère Charles ici présent."

La Cantilène de Sainte-Eulalie, qui est du x° siècle, est très intéressante au point de vue de la langue. Nous n'en citerons que les premiers vers:

"Buona pulcella fut Eulalia;

Bel auret corps, bellezour anima.
Voldrent la veintre li Deo imini,

Voldrent la faire diaule seruir."

"Bonne pucelle fut Eulalie; bel avait le corps, plus belle l'âme. Les ennemis de Dieu voulurent la vaincre, voulurent la faire servir le diable." Eulalie ne voulut pas renier son Dieu, et Maximien, l'empereur romain, la condamna à être brûlée. Il la jetèrent dans le feu, mais comme elle n'avait aucun péché, elle ne brûla pas. Alors, l'empereur lui fit ôter la tête avec l'épée et, dit le chant: "la domnizelle celle cose non contredist et en figure de colomb volat au ciel.”

Parmi les premiers monuments de la langue française, plus importants pour la linguistique que pour

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