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"Celui-là seul tient tout en sa main, qui sait le nom de ce qui est et de ce qui n'est pas encore, qui préside à tous les temps et prévient tous les conseils." Phrase admirable, digne de ce beau génie que respectent toutes les croyances.

On ne saurait nommer Bossuet sans parler de Fénelon; ce sont les deux hommes d'église les plus célèbres du XVIIe siècle, et comme pour Corneille

Fénelon. Parallèle entre

Fénelon et

et Racine on n'est pas encore d'accord sur leur mérite respectif. On peut dire Bossuet. qu'ils furent égaux en génie, mais ils différaient entièrement de caractère, et comprenant la vie d'une manière toute différente, leurs ouvrages sont écrits sous un point de vue tout opposé. Bossuet n'appartient pas à la noblesse et il approuve le gouvernement absolu du roi, Fénelon est par sa naissance un grand seigneur et il voudrait que la royauté s'appuyât un peu plus sur la noblesse, sur les anciens féodaux. Bossuet est pénétré de l'esprit des Écritures, il est, avant tout, un père de l'église; Fénelon, quoique excellent chrétien, admire, au point de vue artistique, l'antiquité païenne, et en reproduit admirablement l'esprit dans ses écrits. Bossuet est plus audacieux dans ses opinions et les maintiendrait jusqu'à la mort, s'il croyait avoir raison. Fénelon est plus souple et cède quand il est condamné, mais proteste d'une manière indirecte. Ces deux grands prélats diffèrent donc en bien des points, mais ils se ressemblent en ceci, que tous deux aiment la vérité, qu'ils ont donné l'exemple d'une vie sans tache et qu'ils ont produit des œuvres dignes de toute admiration.

François de Salignac de Lamothe-Fénelon naquit en 1651 au château de Fénelon, en Périgord. Il fit

de fortes études à Cahors, puis au collège du Plessis à Paris, et lut avec délices surtout l'Énéide Vie de et l'Odyssée, dont il sut plus tard si Fénelon. bien s'inspirer. Il devint prêtre en 1675 et eut l'idée de se faire missionnaire, mais il accepta d'être directeur de la maison des Nouvelles Catholiques et remplit ces fonctions avec beaucoup de tact. En 1687 il publia le "Traité sur l'Éducation des Filles," où il donna avec délicatesse d'excellents conseils sur l'éducation. Vers cette époque parurent aussi ses Dialogues sur l'Éloquence." En 1685, après la révocation de l'Édit de Nantes, Fénelon fut envoyé en mission en Saintonge et remplit ces fonctions délicates avec mansuétude et sans vouloir de "dragonnades."

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Il avait déjà prononcé d'admirables sermons, et sa réputation était si grande que le roi, à la recommandation du duc de Beauvilliers, le Le

nomma précepteur du duc de Bourgogne, précepteur. fils aîné du Dauphin. On sait que ce prince avait un caractère terrible, qu'il était hautain, emporté jusqu'à la fureur. Fénelon sut faire de lui un homme pieux, vertueux et éclairé, et quoiqu'on l'ait accusé d'avoir rendu son élève trop timoré, on ne peut douter que le règne du duc de Bourgogne n'eût été un grand bonheur pour la France. Comme Bossuet, Fénelon écrivit de grandes œuvres pour son élève, de charmantes "Fables" qu'on peut lire avec plaisir, même après celles de La Fontaine, les "Dialogues des Morts," imités de Lucien, enfin les "Aventures de Télémaque."

Fénelon ne paraît pas avoir jamais plu à Louis XIV qui, dit-on, l'appelait "l'esprit le plus chimérique

Le

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de son royaume;" il lui donna, cependant, le siège de Cambrai, une des plus hautes dignités quiétisme. épiscopales, et le prélat fût probablement resté en faveur sans l'affaire du quiétisme. Il adopta avec ardeur les doctrines par trop mystiques de Mme Guyon, et écrivit pour les soutenir son Explication des Maximes des Saints." Bossuet attaqua avec véhémence des doctrines qui lui semblaient peu orthodoxes, et le livre de Fénelon fut condamné à Rome en 1699. Il se soumit et se consacra à l'administration de son diocèse, où l'avait relégué le roi en 1697. La grande affection que lui témoignait le duc de Bourgogne eût pu le ramener à la cour, mais "Télémaque" lui fut dérobé et publié subrepticement en 1699. Louis XIV y vit une critique de son caractère et de son gouvernement, et la disdisgrâce. grâce de l'archevêque fut complète. Il ne s'y résigna, paraît-il, que dans l'espoir de gouverner un jour, quand son élève monterait sur le trône de son grand-père, et cette ambition sembla devoir se réaliser en 1711 à la mort du grand Dauphin. Le duc de Bourgogne devint Dauphin, et son règne paraissait imminent, quand il mourut en 1712. Ce fut un coup terrible pour Fénelon, et il ne survécut que trois ans à son élève. Outre les ouvrages que nous avons déjà mentionnés, nous pouvons citer son traité de l'"Existence de Dieu," les "Lettres sur la Religion," et sa belle "Lettre sur les occupations de l'Académie Française," admirable ouvrage de critique littéraire.

Sa

Fénelon eut, dès son vivant, une grande réputation de douceur et de bonté, et on l'appela le cygne de Cambrai. Il mérita cette réputation par la manière

dont il remplit sa charge pastorale; il fit preuve d'une inépuisable charité et fut adoré de son son troupeau. Il paraît, cependant, que caractère. son caractère fut trop absolu, et que dans ses démêlés avec l'évêque de Meaux ce ne fut pas toujours celui-ci qui eut moins de douceur. Nisard semble avoir raison quand il dit: "La vérité éclaircie ne rend pas Fénelon coupable, mais elle absout Bossuet." Jetons maintenant les yeux sur "Télémaque." C'est le livre le plus populaire de

Télé

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la littérature française, après les fables maque.' de La Fontaine. Tout prélat qu'il fut Fénelon comprit parfaitement l'antiquité païenne et il la fit revivre pour nous. Son but fut de faire usage d'une fiction pour enseigner à un prince ses devoirs de roi, et il se servit d'un style d'une élégance, d'une poésie merveilleuse, pour raconter son histoire. On a même accusé ce style d'être trop fleuri, mais telle n'est pas notre opinion. Il fallait que le style s'accordât avec le sujet, et l'on ne pouvait décrire les divinités de l'Olympe et les héros antiques de la même manière que des événements contemporains. Le récit toutefois est intéressant et l'on a grand plaisir à rencontrer de nouveau les héros grecs errants après la guerre de Troie. On suit Télémaque avec intérêt depuis l'île de Calypso jusqu'au royaume d'Idoménée à Salente, et l'on comprend la leçon qu'a voulu donner l'auteur; c'est que la jeunesse, quelques fautes qu'elle puisse commettre, arrive à surmonter tous les obstacles, si elle est pénétrée de l'idée du devoir et de la crainte de Dieu. Mentor donne d'excellents conseils à Télémaque, et quoique le plan du gouvernement du royaume de Salente soit chimé

rique en plus d'un point, on peut dire que le livre de Fénelon a dû exercer la plus heureuse influence sur son royal élève. Il y vit que les rois doivent mépriser les flatteurs, être toujours loyaux, ne pas entreprendre des guerres injustes, et ne vivre que pour le bonheur de leurs peuples. Ce fut malheureux pour Louis XIV qu'il crut reconnaître qu'il avait les qualités contraires à celles que Fénelon voulait voir chez un roi. Le duc de Bourgogne eût pu les posséder et y ajouter le jugement sain, la fermeté de son aieul. "L'homme véritablement libre est celui qui, dégagé de toute crainte et de tout désir, n'est soumis qu'aux dieux et à sa raison." Voilà une maxime qui indique clairement l'esprit de Fénelon, elle est sans nul doute chimérique, mais c'est un noble idéal. Ce n'est qu'en se proposant un but élevé dans la vie qu'on arrive à bien remplir le rôle pour lequel on a été créé.

Fléchier.

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A l'Hôtel de Rambouillet nous avons rencontré Fléchier lisant de gracieux vers latins et des vers français du genre de ceux de Voiture et de Benserade. Toute sa vie cette influence se fit sentir sur ses écrits, et on y trouve un peu trop de recherche, du maniéré, peut-être. Cette pointe de précieux est curieuse et intéressante dans ses "Mémoires sur les Grands Jours d'Auvergne,' mais elle n'est pas à sa place dans l'oraison funèbre. Néanmoins, malgré un style trop travaillé, où l'émotion et le pathétique sont trop de commande, on lit avec intérêt les oraisons funèbres de Fléchier. Lui qui avait été un habitué du fameux Hôtel de Rambouillet fut appelé à prononcer en 1672 l'oraison funèbre de Julie d'Angennes, et en 1690 celle de son

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