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ous avons déjà dit quelle direction les clubs avaient prise sous la puissante influence des représentants, et comment ils s'étaient régénérés. Mais plusieurs de nos villes avaient conservé deux sortes de sociétés populaires dont les principes, les voeux et l'action étaient fort différents. Ainsi avaient marché à Nantes les deux clubs de la Halle et de Saint-Vincent; le premier, formé

des Amis de la Constitution, modérés appartenant la plupart à la classe bourgeoise, était resté admirateur zélé des efforts de la Constituante. Les orateurs des clubs de cet ordre avaient cependant renoncé à ce qui pouvait témoigner de leur attachement au régime de 90 et 91, et leur langage même n'était pas trop différent de celui des clubs qui s'étaient Maratisés ; mais, à n'en pas douter, il y avait de la crainte, du regret, de l'hésitation, dans la marche de ces sociétés primitives. Rien ne le prouvait mieux que l'empressement qu'elles avaient mis à seconder le mouvement fédéraliste des administrations départementales de l'Ouest. Dans les autres sociétés de la nuance du club Saint-Vincent à Nantes, et il y en avait des deux espèces dans presque toutes nos grandes communes, la pensée des jacobins prédominait au contraire, et c'était à ce foyer incandescent que se ravivait chaque soir, à la lueur des torches, le républicanisme intolérant et furieux des patriotes irrités, qui, sentant leurs liens se dénouer, professaient la religion du sans-culotisme en s'agenouillant devant les bustes de Marat et de Le Pelletier.

Ici la rétribution mensuelle des affiliés n'était que de 10 sols; elle était de 30 chez les musca

dins qui formaient les autres sociétés : c'était plus qu'il n'en fallait pour que les représentants prescrivissent leur fusion. Mais nulle part, peut-être, ce rapprochement entre des hommes et des classes, sinon hostiles, du moins séparés de mœurs et d'intérêt, ne fut plus caractéristique qu'à Morlaix. Là aussi il existait deux sociétés populaires: l'une, composée des débris de l'ancienne Société des Amis de la Constitution qui, dès le principe, s'était emparée de la salle de spectacle ; l'autre, composée de tous les ouvriers et les hommes du peuple qui secondaient de leurs bras et de leur coeur le mouvement révolutionnaire. Toutes les deux étaient connues sous le titre générique et propagateur de club. Mais les doctrines professées dans l'une et dans l'autre étaient au moins fort différentes, si elles n'étaient opposées. Un cordonnier, nommé Flandrès, présidait la dernière; le citoyen Bouëstard de la Touche, le même que nous avons vu au district du temps de l'administration de Kergariou, présidait l'autre. On payait ici 30 sols; 10 dans la société Flandrès.

Vainement, et à plusieurs reprises, des citoyens zélés avaient essayé un rapprochement qui devait être favorable au repos de la ville de

Morlaix; ces deux puissances s'étaient toujours refusées, chacune de son côté, à faire les premières avances. La maison Blanchard, depuis l'irruption désordonnée des idées révolutionnaires, devenait cependant trop étroite, et les patriotes se pressaient en si grand nombre sur les pas du cordonnier Flandrès, surtout depuis qu'on connaissait la sympathie des représentants Bréard et Jean-Bon-Saint-André pour cette société, que la salle ordinaire des séances ne pouvait plus les contenir. La loi des suspects d'ailleurs était proclamée depuis quelque temps; et, bien que les représentants, comme nous l'avons vu, eussent couvert la ville de Morlaix de leur protection à l'occasion de l'affaire des Girondins, il n'était plus permis de douter, en se pénétrant de l'esprit du gouvernement révolutionnaire, que les tièdes et les douteux passeraient bientôt au creuset où s'épuraient toutes les croyances de l'époque. La société Bouëstard crut donc que c'était le moment de transiger, et deux délégués des représentants, venus à Morlaix exprès pour cette fusion, n'eurent pas de peine à le leur persuader. Ce furent, cette fois, les muscadins qui tendirent la main aux gens en tablier, et toute l'ancienne Société des Amis de la Constitution, ayant le ci

toyen Bouëstard de la Touche en tête, se mit en marche de la salle de spectacle vers la maison Blanchard pour y fraterniser avec le citoyen Flandrès et ses adhérents. Mille cris s'élevèrent dans l'enceinte du club montagnard, et Bouëstard ayant donné l'accolade au vertueux Flandrès, ce fut une scène vraiment touchante que celle où la bourgeoisie et la classe ouvrière, s'étreignant dans de fraternelles embrassades, se mirent à faire du républicanisme, désormais invariablement tarifé à 10 sols de remise mensuelle, sans distinction d'habit et de position sociale. Ainsi confondus, et se tenant par le bras, les membres des deux sociétés, après avoir enlevé Flandrès de son siége aux cris de vive la Montagne! Vivent les sans-culottes! se mirent en marche vers la salle de spectacle, où le club Maratiste prit ainsi droit de bourgeoisie.

La ville de Morlaix est peut-être l'une des cités de notre province qui a le moins souffert de nos troubles révolutionnaires, et je crois ce résultat dû à la modération ferme et courageuse de sa première administration communale et de district; mais, dans les circonstances où nous la suivons, les esprits s'échauffèrent quelque peu, et précisément parce que les clubs, comme deux

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