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donc une religion qu'il suivait, celle de la destruction et de la dépopulation de la France, comme il le développa lui-même à des amis qu'il avait un jour réunis. Le calcul en a été fait; pour que la république s'établisse, il ne faut pas que la France compte plus de 700 habitants par lieue carrée, et nous en avons 1,000.

L'exécution en masse de huit à dix mille prisonniers, de tout sexe et de tout âge, devint donc pour ce tigre un simple acte d'administration. Le témoignage même de ses coaccusés sur ce point le prouve, et rien n'est explicite comme la déposition naïve d'un témoin nommé Latour, suivant lequel Gondet, alors accusateur public, aurait dit à un médecin nommé Dulny, que: ne sachant comment s'y prendre pour pincer les riches, ils avaient imaginé de supposer une conspi ration pour les faire incarcérer.-De grand matin nous ferons battre la générale, dit Gondet à ce médecin; les sans-culottes, avertis, se rendront à leurs postes; les égoïstes resteront chez eux, et pendant ce temps-là les sans-culottes iront arrêter et

fouiller les riches.

Ce projet s'exécutait

3. 4. VOL.

en effet à quelques jours de là: il procura l'arrestation d'un nombre infini de suspects, et en particulier, celle des hommes les plus considérables de Nantes, parmi lesquels ces 132 Nantais, que les dominateurs adressèrent au tribunal révolutionnaire de Paris, et que Carrier, suivant la preuve donnée aux débats de sa cause, recommanda à son collègue Francastel, à Angers, pour qu'il les fit fusiller ou noyer à leur passage au

Pont-de-Cé.

Ces mesures, toutefois, n'avaient fait qu'augmenter l'encombrement des prisons; et le tribunal révolutionnaire, qui ne prononçait pas plus de 5 à 6 condamnations par jour, souvent moins, était loin de répondre aux exigences de Carrier. Or, une femme fut surprise, à peu près dans ce temps, portant quelques secours recueillis dans la Vendée à des prisonniers détenus dans les maisons de Nantes. Ce fait ayant été convenablement grossi, les fidèles crièrent à la trahison, disant qu'une révolte était au moment d'éclater dans les prisons, et que le salut de la république était compromis. Cinq ou six malheureux sont en conséquence déférés au tribunal révolutionnaire; et, qu'il y eut, ou non, projet formé d'évasion ou de révolte, ils sont condamnés à porter leurs têtes

sur l'échafaud. Pour l'exemple, nous dit le président Phelippes, dans l'un de ses mémoires, il fut donc arrêté qu'ils seraient exécutés le soir même, 14 frimaire, à la lueur des flambeaux. Mais un message du département, alors présidé par l'évêque Minée, intima l'ordre au tribunal et à son président de se rendre immédiatement au sein de l'administration. Minée fit savoir à PhelippesTronjolly qu'un rapport venait d'être fait par le comité révolutionnaire sur la situation des prisons, et que, d'après les termes de ce rapport, un vaste projet d'insurrection existait, qui ne tendait à rien moins qu'à compromettre la sûreté de Nantes et des patriotes. Les membres du comité concluaient à ce que l'on se débarrassât, sans coup férir, de ces prisonniers, seul

moyen de sauver Nantes. — Vainement Tronjolly mit-il en avant les faits résultant des débats auxquels venaient d'être soumis les six individus condamnés à mort: on l'invectiva, on le traita de modéré et de fédéraliste....... Carrier, qui était présent, ne se prononça point toutefois, et, bien qu'il eût dit à Minée, qui s'était rangé un instant à l'avis de Tronjolly, qu'il fallait la hache à la main enfoncer les magasins des riches et des accapareurs, rien ne fut décidé, et le président du

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tribunal révolutionnaire, croyant ainsi mettre fin à ces sinistres projets, fit exécuter le soir même, à la lueur des torches, les six victimes qui avaient été dévouées à la mort.

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Mais une pareille affaire ne pouvait en rester là. Le lendemain, 15 frimaire, Tronjolly et le tribunal révolutionnaire furent de nouveau appelés au département par les ordres exprès de Carrier; ce représentant y siégeait avec le comité révolutionnaire et plusieurs autres personnages, parmi lesquels R....., enfant de 18 à 20 ans, dont Carrier s'était servi comme secrétaire, et qu'il avait donné à Lambertye pour aide-decamp. Il y fut de nouveau question de la conspiration des prisons; mais sans que l'on parlât d'exécuter les prisonniers en masse ; seulement Goullin, Chaux, Bachelier et Grandmaison avaient remis au président Minée une liste de 300 détenus, et les présentant comme des hommes dangereux, ils demandaient qu'on s'en débarrassât à tout prix. — A quel titre donc, dit alors Tronjolly à Carrier, prétendrait-on nous faire prendre part à de tels actes? Le tribunal a ou n'a pas fait son devoir en condamnant hier six prévenus. S'il ne l'a pas fait, qu'on en nomme un autre; s'il l'a

fait; laissez-le juger, c'est seulement au glaive de la loi à faire tomber la tête des

coupables. Ces accents, ce langage, alors peu usités, étonnèrent un instant l'assemblée...... Mais Carrier, se levant en fureur, s'écria: Il faut bannir, il faut chasser les modérés de l'assemblée..... Les brigands n'y regardent pas de si près, lorsqu'il s'agit de faire périr des patriotes; et livrant dans l'intimité toute sa pensée sur cette opposition, il ajouta, ainsi qu'en témoigne François Lamarie, membre du département, que lui et ses amis de la Montagne feraient un cimetière de la France, plutôt que de ne pas la régénérer à leur manière et de manquer le but qu'ils s'étaient proposé. Rien toutefois n'était terminé, et si Tronjolly eut ainsi le courage de tenir tête à Carrier et d'aller le soir même coucher au greffe du Bouffay, qui était voisin de la geole, afin que les membres du comité n'enlevassent pas les prisonniers qui s'y trouvaient détenus, il suffira de quelques jours pour que leurs projets s'accomplissent. On était au 24 frimaire, à l'époque de l'année où les nuits sont le plus longues: neuf heures du soir venaient de sonner à la vieille tour du Bouffay. Bernard Laguèze, gardien de la maison d'arrêt et sa femme

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