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en haillons, des femmes et des enfants qui exhalent de longs cris de vengeance. Mais les victimes sont promenées par les carrefours de la ville, et au lieu d'arriver à la place du Triomphe du Peuple, comme l'appelle Ragmey, par la rue Saint-Yves qui y conduit directement, on les dirige par la rue du Château, le long de laquelle s'alignent les troupes révolutionnaires qui se sont emparées de Brest.-Et, insultant à leur misère, les égorgeurs leur ont offert un repas splendide avant de les faire monter à l'échafaud qui a été dressé ce jour avec un soin tout particulier. Sur son pourtour, on a, en effet, établi une ceinture de planches que le public ne passera pas; un vaste entonnoir peint en rouge est disposé près de la fatale bascule pour recevoir le sang des suppliciés, et une trappe a été ménagée sur l'échafaud même pour faire tomber dans des charrettes, la dépouille des administrateurs.

Toutes ces mesures étaient-elles une sûreté prise par les égorgeurs, ou Ance, le bourreau, qui dès leur entrée au tribunal avait dit: que les administrateurs étaient à lui, se seraitil ainsi étudié à disposer avec art le crime qui souriait à sa fanatique férocité...... Je ne sais 9 mais il fut dit aussi que Ance rangea avec raffi

nement la tête ensanglantée de chaque supplicié, devant les yeux de ceux qui attendaient leur tour; et toutes ces choses sont croyables, toutes ressortent des faits mêmes, et appartiennent à cet ordre d'idées qui conduisait Carrier et ses acolytes à s'enivrer des chants de l'orgie sur les galiotes de Lambertye, à ce même ordre d'idées qui conduisait les jeunes gens de Rennes à demander l'honneur d'exécuter les jugements à mort d'une troupe de bourreaux, à cet ordre d'idées enfin qui conduisit d'autres jeunes hommes, alors enfants, à courir chaque jour du tribunal au champ d'exécution, où, avides de tout voir, ils ont tout remarqué sans rien laisser échapper que nous ne puissions redire sur leur témoignage, encore vivant et palpitant de cette impression ineffaçable de l'époque.

Ainsi périrent, le 3 prairial an 2 (22 mai 1794), les 26 administrateurs du Finistère que nous avons suivis dans leurs actes de dévouement et de patriotisme. A leur tête et comme président était Kergariou, homme de moeurs douces et élégantes qui, long-temps caché dans notre famille, courut lui-même se remettre aux mains de ses bourreaux. Tourmenté du même besoin de sa conscience, Moulin n'avait rejoint ses amis que depuis

deux à trois jours; et ce fut sans pitié, sans aucun retour vers le passé, sans aucune considération pour le service signalé que ces mêmes hommes avaient rendu à la République en conservant Brest et le Finistère purs de chouanage et de rébellion, que Jean-Bon et Prieur les immolèrent comme des ennemis de leur pays. Eh! que ne regardèrent-ils donc alors, et la rade et le port de Brest qui s'animaient du mouvement de trente et quelques vaisseaux de ligne armés en quelques mois. Qui avait, en effet, donné cet élan et qui avait préparé ces merveilles en même temps que les enfants du Finistère volaient à la frontière du Nord, à Saint-Domingue, dans la Vendée, et partout où on eut besoin de leurs bras...... Mais avec l'honneur du pays et un vif sentiment de sa nationalité, ces hommes eurent au coeur quelque chose de grand et de sublime: Ou nous sauverons la République, ou nous périrons avec elle, s'étaient-ils dit en apprenant le résultat des journées du 31 mai...... Et ils s'étaient armés contre la Montagne. Mais une dernière injure devait être faite à leur mémoire, et ce fut l'accusateur public DonzéVerteuil qui s'en chargea: il écrivit le 6 prairial an 2, au Journal de Paris, n.o 520, une lettre 10. 4. VOL.

où on lit le passage suivant: « Avant-hier,

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vingt-six administrateurs du Finistère ont porté » leurs têtes sur l'échafaud. Ces Messieurs vou» laient donner la ci-devant Bretagne aux Anglais......

CHAPITRE X.

OPÉRATIONS MARITIMES DU PORT DE BREST.

PRAIRIAL AN 2.

COMBAT DU 13

L'immolation des vingt-six administrateurs du Finistère ne fut pas le seul acte de terrorisme que les représentants en mission à Brest exercèrent. Particulièrement préoccupés de la réorganisation de l'armée navale, ils sévirent d'abord sur les officiers venus de Toulon et sur les fédéralistes. Mais, pour imprimer un élan convenable aux sans-culottes et aux divers services de la marine, il fallait que la guillotine et le tribunal révolutionnaire répondissent des mesures prescrites et particulièrement des réquisitions prononcées. La guillotine devint dès lors entre leurs

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