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style précis celui dont on ne peut rien ôter saus que l'ouvrage perde une grâce ou un ornement, et sans que le lecteur perde un plasir. Tel est le style de la Fontaine dans l'apologue. On n'y sent jamais ce qu'on appelle langueur. On n'y trouve jamais de vide. Ce qu'il dit ne peut pas être dit en moins de mots. Il faut qu'on me pardonne de citer.

Un octogénaire plantoit

Passe encore de bâtir; mais planter à son âge !

Deux

coqs vivoient en paix; une poule servient,
Et voilà la guerre allumée,

Amour, tu perdis Troie.

Un lièvre en son gite songeoit;

Car que faire en un gîte à moins que l'on ne songe ?
Dans un profond ennui ce lièvre se plongeoit.

Cet animal est triste et la crainte le ronge.

Je crois qu'il est impossible de mêler plus rapidement le récit et la réflexion, et c'est ainsi qu'écrit excellent toujours la Fontaine. Je remarque sou

esprit dans la différence de style qui se trouve entre ses fables et ses contes. Il a senti que dans le conte qui n'a d'autre objet que d'amuser, tout est bon, poursorte Aussi hasarde-t-il toute vú quon amuse. d'écarts. Il se détourne vingt fois de la route, et l'on ne s'en plaint pas; on fait volontiers le chemin avec lui. Mais dans la fable qui tend à un but que l'esprit cherche toujours, il faut aller plus vite, et ne s'arrêter sur les objets que pour les rendre plus frappants. Dans cette partie, les fables de la Fontaine à un trèspetit nombre près me paroissent des chefs-d'œuvre irréprochables.

Ce qui prouve encore, qu'éclairé par un goût naturel, il régloit sa manière d'écrire sur la séverité du genre, c'est que négligé dans ses contes, il est beau

coup plus correct dans ses fables. Il y respecte la langue que Molière ne respectoit pas assez. Non content d'y prodiguer les beautés, il s'y défend les fautes. Il savoit que si le conte familier les fait pardonner, la fable, plus sérieuse, ne les admet pas: et qui croira pouvoir s'en permettre, quand la Fontaine s'en permet si peu?

Cette correction qui suppose une composition soignée, est d'autant plus admirable qu'elle est accompaguée de ce naturel si rare et si enchanteur qui semble exclure toute idée de travail. Le plus original de nos écrivains en est aussi le plus naturel. Je ne crois pas qu'en parcourant les ouvrages de la Fontaine on y trouvât une ligne qui sentît la recherche ou l'affectation. Il ne compose point, il converse; s'il raconte, il est persuadé; s'il peint, il a vu; c'est toujours son âme qui vous parle, qui s'épanche, qui se trahit; il a toujours l'air de vous dire son secret et d'avoir besoin de le dire; ses idées, ses réflexions, ses sentiments, tout lui échappe, tout naît du moment, rien n'est préparé; il se plie à tous les tons, et il n'en est aucun qui ne semble être particulièrement le sien; tout, jusqu'au sublime, paroît lui être facile et familier. Il charme toujours et n'étonne jamais.

Ce naturel domine tellement chez lui, qu'il dérobe au commun des lecteurs les autres beautés de son style: il n'y a que les connoisseurs qui sachent à quel point la Fontaine est poète, ce qu'il a vu dé ressources dans la poésie, ce qu'il en a tiré de richesses. On ne fait pas assez d'attention à cette foule d'expressions créées, de métaphores hardies, toujours si naturellement placées, que rien ne paroît plus simple. Aucun de nos poètes n'a manié plus impérieusement la langue, aucun surtout n'a plié avec tant de facilité le vers françois à toutes les formes imaginables. Cette monotonie qu'on reproche à notre versification, chez lui disparoît absolument. Ce n'est qu'au plaisir de l'oreille, au charme d'une harmonie

b

toujours d'accord avec le sentiment et la pensée, qu'on aperçoit qu'il écrit en vers. Il dispose si heureusement ses rimes, que le retour des sons semble toujours une grâce et jamais une nécessité. Nul n'a mis dans le rhythme une variété si prodigieuse et si pittoresque; nul n'a tiré autant d'effets de la mesure et du mouvement. Il coupe, brise ou suspend son vers comme il lui plaît. L'enjambement qui sembloit réservé aux vers grecs et latins, est un mérite si commun dans les siens, qu'il est à peine remarqué. Il est vrai que tant d'avantages qui dépendent en partie de la liberté d'écrire en vers d'inégale mesure, et des priviléges d'un genre qui admet toute sorte de tons, ne pourroient plus se retrouver au même degré dans le style noble et dans le vers héroïque. Mais tant d'autres ont écrit dans le même genre! Pourquoi ont-ils si rarement approché de cette perfection ? L'harmonie imitative des anciens, si difficile à égaler dans notre poésie, la Fontaine la possède dans le plus haut degré, et l'on ne peut s'empêcher de croire en le lisant que toute sa science en ce genre est plus d'instinct que de réflexion. Chez cet homme si ami du vrai et si ennemi du faux, tous les sentiments, toutes les idées, tous les caractères ont l'accent qui leur convient, et l'on sent qu'il n'étoit pas en lui de pouvoir s'y tromper. Je sais bien que de lourds calculateurs aimeront mieux y voir des sons combinés avec un prodigieux travail. Mais le grand poète, l'enfant de la nature, la Fontaine aura plutôt fait cent vers harmonieux, que des critiques pédants n'auront calé l'harmonie d'un vers.

Faut-il s'étonner qu'un écrivain, pour qui la poésie est si docile et si flexible, soit un si grand peintre en vers? C'est de lui surtout que l'on peut dire proprement qu'il peint avec la parole. Dans lequel de nos auleurs trouvera-t-on un si grand nombre de tableaux dont l'agrément soit égal à la perfection? Un seul exemple parlera mieux pour la Fontaine que tout ce que je pourrois dire.

Quand la perdrix
Voit ses petits

En danger, et n'ayant qu'une plume nouvelle
Qui ne peut fuir encor par les airs le trépas,
Elle fait la blessée, et va traînant de l'aile, .
Attirant le chasseur et le chien sur ses pas,
Détourne le danger, sauve ainsi sa famille,

Et puis quand le chasseur croit que son chien la pilie,
Elle lui dit adieu, prend sa volée, et rit

De l'homme, qui confus des yeux en vain la suit.

Je demande s'il existe en poésie un tableau si parfait, si le plus habile peintre me montreroit sur la toile plus que je ne vois dans les vers du poète? Comme le chasseur et le chien suivent pas à pas la perdrix qui se traîne avec le vers! Comme un hémistiche rapide et prompt vous montre le chien qui pille!.... Ce dernier mot est un élan, un é éclair; et avec quel art l'autre vers est suspendu 'quand la perdrix prend sa volée! Elle est en l'air, et vous voyez long-temps l'homme immobile, qui confus des yeux en vain la suit. Le vers se prolonge avec l'étonnement.

La fable dont j'ai tiré ce morceau me rappelle aves quelle étonnante facilité cet écrivain si simple s'élève quelquefois au ton de la plus sublime philosophie et de la morale la plus noble. Quelle distance du corbeau qui laisse tomber son fromage, à l'éloquence du paysan du Danube, et à cette fable que je viens de citer, si pourtant on ne doit pas donner un titre plus relevé à un ouvrage beaucoup plus étendu que ne doit l'être un simple apologue, à un véritable poème sur la doctrine de Descartes, plein d'idées et de raison, mais dans lequel la raison parle toujours le langage de l'imagination et du sentiment! Ce langage en effet est toujours celui de la Fontaine': il a beau devenir philosophe; vous trouverez toujours le grand poète et lè bon homme.

Vous retrouvez surtout celte sensibilité, l'âme de tous les talents; non celle qui est vive, impétueuse, énergique, passionnée, et qui doit animer la tragédie

et l'épopée et tous les grands ouvrages de l'imagination; mais cette sensibilité douce et naïve qui convenoit si bien au genre d'écrire que la Fontaine avoit choisi; qui se fait apercevoir à tout moment dans ses ouvrages, sans qu'il paroisse y penser, et joint à tous les agrémens qui s'y rassemblent un nouveau charme plus attachant encore que tous les autres. Quelle foule de sentiments aimables répandus dans ses écrits Comme on y trouve l'épanchement d'une ame pure et l'effusion d'un bon cœur ! Avec quel intérêt il parle des attraits de la solitude et des douceurs de l'amitié ! Qui ne voudroit être l'ami de l'homme qui a fait la fable des deux amis? Se lassera-t-on jamais de relire celle des deux pigeons, ce morceau dont l'impression est si délicieuse, à qui peutêtre on donneroit la palme sur tous les ouvrages de la Fontaine, si, parmi tant de chefs-d'œuvre, on avoit la confiance de juger ou le courage de choisir? Quelle tendresse éloquente dans leurs adieux! Quel intérêt dans les aventures du pigeon voyageur! Quel plaisir dans leur réunion! Et lorsque ensuite le fabuliste unit par un retour sur lui-même, regrette et redemande les plaisirs qu'il a goûtés dans l'amour, quelle tendre mélancolie! Quel besoin d'aimer! On croit entendre les soupirs de Tibulle. Et la fable de Tircis et d'Amarante ! A-t-on jamais peint l'amour avec des traits plus vrais, plus délicats? Les effets de cette passion, quand elle est encore dans toute sa pureté, ont-ils jamais été tracés avec plus d'expression et de grâce? Un tableau encore supérieur à tout le reste, c'est le poème de Vénus et Adonis. Il est digne de la déesse et du héros. Le poète habite comme eux des lieux enchantés, et y transporte le lecteur. Jamais les jardins d'Armide, ce brillant édifice de l'imagina tion, qu'elle a construit pour l'amour, n'ont rien offert de plus séduisant et de plus doux. Vous croyez entendre autour de vous les chants du bonheur et les accens de la tendresse. Vous êtes environné des images de la volupté.....

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