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De moutons et de boucs fit un vaste débris,
Croyant tuer en eux son concurrent Ulysse (11)
Et les auteurs de l'injustice (12)

Par qui (13) l'autre emporta le prix.
Le renard, autre Ajax aux volailles funeste,
Emporte ce qu'il peut, laisse étendu le reste.
Le maître ne trouva de recours qu'à crier
Contre ses gens, son chien: c'est l'ordinaire usage
Ah! maudit animal, qui n'est bon qu'à noyer,
Que n'avertissois-tu dès l'abord du carnage!
Que ne l'évitiez-vous? c'eût été plutôt fait :
Si vous, maître et fermier, à qui touche le fait,
Dormez sans avoir soin que la porte soit close,
Voulez-vous que moi, chien qui n'ai rien à la chose,
Sans aucun intérêt je perde le repos ?

Son raisonnement pouvoit être

Fort bon dans la bouche d'un maître,
Mais n'étant que d'un simple chien,
On trouva qu'il ne valoit rien:

On vous sangla (14) le pauvre drille (15).

Toi donc, qui que tu sois, ô père de famille (Et je ne t'ai jamais envié cet honneur),

T'attendre aux yeux d'autrui, quand tu dors, c'est er

reur:

Couche-toi le dernier, et vois fermer ta porte.

Que si quelque affaire t'importe,

Ne la fais point par procureur.

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IV. Le Songe d'un Habitant du Mogol..

JADIS certain Mogol vit en songe un visir (1)
Aux champs élysiens (2) possesseur d'un plaisir
Aussi pur qu'infini tant en prix qu'en durée :
Le même songeur vit en une autre contrée
Un ermite (3) entouré de feux,

Qui touchoit de pitié même les malheureux.
Le cas parut étrange et contre l'ordinaire :
Minos (4) en ces deux morts sembloit s'être mépris.
Le dormeur s'éveilla, tant il en fut surpris:
Dans ce songe soupçonnant du mystère,
Il se fit expliquer l'affaire.

L'interprète lui dit: Ne vous étonnez point;
Votre songe a du sens; et si j'ai sur ce point
Acquis tant soit peu d'habitude,

C'est un avis des dieux. Pendant l'humain séjour (5),
Ce visir quelquefois cherchoit la solitude;
Cet ermite aux visirs alloit faire sa cour (6).

Si j'osois ajouter au mot de l'interprète,
J'inspirerois ici l'amour de la retraite :

Elle offre à ses amants des biens sans embarras,
Biens purs, présents du ciel qui naissent sous les pas.
Solitude, où je trouve une douceur secrète,
Lieux que j'aimai toujours, ne pourrai-je jamais,
Loin du monde et du bruit, goûter l'ombre et le frais !
Oh! qui m'arrêtera sous vos sombres asiles !

(1) Un habitant du Mogol vit un premier ministre.

(2) Ou élysées. Chez les païens, séjour des hommes ver

tueux.

(3) Un moine Ture qui vit dans la solitude.

(4) Juge des enfers.

(5) Pendant sa vie.

(6) Sortoit de sa retraite pour obtenir des avantages temporels.

Quand pourront les neuf sœurs, loin des cours et des villes,

M'occuper tout entier, et m'apprendre des cieux
Les divers mouvements inconnus à nos yeux,
Les noms et les vertus de ces clartés errantes
Par qui sont nos destins et nos mœurs différentes !
Que si je ne suis né pour de si grands projets,
Du moins que les ruisseaux m'offrent de doux objets !!
Que je peigne en mes vers quelque rive fleurie !
La parque à filets d'or n'ourdira (7) point ma vie,
Je ne dormirai point sous de riches lambris:
Mais voit-on que le somme en perde de son prix?
En est-il moins profond, et moins plein de délices?
Je lui voue au désert de nouveaux sacrifices.
Quand le moment viendra d'aller trouver les morts,.
J'aurai vécu sans soins, et mourrai sans remords.

(7) La Parque ne me donnera point de grandes richesses. Est-il quelqu'un qui ne sente toute la beauté de ce morceau sur la solitude? Il est en par

tie imité de Virgile. Plusieurs poètes l'ont imité après La Fontaine, mais aucun avec la même grâce.

V. Le Lion, le Singe, et les deux Anes.

Le lion pour bien gouverner,
Voulant apprendre la morale,
Se fit un beau jour amener

Le singe, maître-ès-arts (1) chez la gent animalė..
La première leçon que donna le régent
Fut celle-ci: Grand roi, pour régner sagement
Il faut que tout prince préfère

Le zèle de l'état à certain mouvement

(1) Celui qui a reçu dans une université les degrés qui donnent pouvoir d'enseigner les lettres humaines et la philosophie.

Qu'on appelle communément
Amour-propre; car c'est le père,
C'est l'auteur de tous les défauts
Que l'on remarque aux animaux.

Vouloir que de tout point ce sentiment vous quitte,
Ce n'est pas chose si petite

Qu'on en vienne à bout en un jour:

C'est beaucoup de pouvoir modérer cet amour.
Par là votre personne auguste

N'admettra jamais rien eu soi
De ridicule ni d'injuste.
Donne-moi, repartit le roi,
Des exemples de l'un et l'autre.
Toute espèce, dit le docteur,
Et je commence par la nôtre,
Toute profession s'estime dans son cœur,
Traite les autres d'ignorantes,
Les qualifie impertinentes ;

Et semblables discours qui ne nous coûtent rien.
L'amour-propre, au rebours, fait qu'au degré suprême
On porte ses pareils; car c'est un bon moyen
De s'élever aussi soi-même.

De tout ce que dessus j'argumente très-bien
Qu'ici-bas maint talent n'est que pure grimace,
Cabale, et certain art de se faire valoir,
Mieux su des ignorants que des gens de savoir.

L'autre jour, suivant à la trace

Deux ânes qui, prenant tour à tour l'encensoir (2),
Se louoient tour à tour, comme c'est la manière,
J'ouïs que l'un des deux disoit à son confrère:
Seigneur, trouvez-vous (3) pas bien injuste et bien sot
L'homme, cet animal si parfait? Il profane
Notre auguste nom, traîtant d'âne

Quiconque est ignorant, d'esprit lourd, idiot ::
Il abuse encore d'un mot.

(2) Métaphore proverbiale,

(3) Autre phrase où la né

pour dire qu'on se donne des gative est supprimée.

louanges outrées.

Et traite notre rire et nos discours de braire.
Les humains sont plaisants de prétendre exceller
Par-dessus nous? Non, non; c'est à vous de parler,
A leurs orateurs de se taire :

Voilà les vrais braillards. Mais laissous là ces gens :
Vous m'entendez, je vous entends;

Il suffit. Et quant aux merveilles

Dont votre divin chant vient frapper les oreilles,
Philomèle (4) est, au prix, novice dans cet art:
Vous surpassez Lambert (5). L'autre baudet repart ::
Seigneur, j'admire en vous des qualités pareilles.
Ces ânes, non contents de s'être ainsi grattés (6),
S'en allèrent dans les cités

L'un l'autre se proner: chacun d'eux croyoit faire,
En prisant ses pareils, une fort bonne affaire,
Prétendant que l'honneur en reviendroit sur lui,

J'en connois beaucoup aujourd'hui,

Non parmi les baudets, mais parmi les puissances,
Que le ciel voulut mettre en de plus hauts degrés,
Qui changeroient entre eux les simples excellences,
S'ils osoient, en des majestés (7).

J'en dis peut-être plus qu'il ne faut, et suppose
Que votre majesté gardera le secret.
Elle avoit souhaité d'apprendre quelque trait
Qui lui fit voir, entre autre chose,

L'amour-propre donnant du ridicule aux gens.
L'injuste aura son tour: il y faut plus de temps..
Ainsi parla ce singe. On ne m'a pas su dire
S'il traita l'autre point, car il est délicat :
Et notre maître-ès-arts, qui n'étoit pas un fat,
Regardoit ce lion comme un terrible sire (8)

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