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XI. Les Poissons, et le Berger qui joue de la flûte.

TIRCIS, qui pour la seule Annette

Faisoit résonner les accords

D'une voix et d'une musette

Capables de toucher les morts,
Chantoit un jour le long des bords
D'une onde arrosant des prairies
Dont Zéphyre habitoit les campagnes fleuries.
Annette cependant à la ligne pêchoit :

Mais nul poisson ne s'approchoit ;
La bergère perdoit ses peines.
Le berger qui, par ses chansons,
Eût attiré des inhumaines,

Crut, et crut mal, attirer des poissons.
Il leur chanta ceci: Citoyens de cette onde,
Laissez votre Naïade (1) en sa grotte profonde;
Venez voir un objet mille fois plus charmant.
Ne craignez point d'entrer aux prisons de la Belle:
Ce n'est qu'à nous qu'elle est cruelle.
Vous serez traités doucement;

On n'en veut point à votre vie :

Un vivier vous attend, plus clair que fin crystal.
Et quand à quelques-uns l'appât seroit fatal,
Mourir des mains d'Annette est un sort que j'envie,
Ce discours éloquent ne fit pas grand effet;
L'auditoire étoit sourd aussi-bien que muet:
Tircis eut beau prêcher. Ses paroles miellées (2)
S'en étant au vent envolées,

Il tendit un long rets. Voilà les poissons pris:
Voilà les poissons mis aux pieds de la bergère.

O vous, pasteurs d'humains et non pas de brebis.

(1) Divinité que les païens (2) Miellé n'est point fran croyoient présider aux fontaines çois. On dit emmiellé. et aux rivières.

Rois, qui croyez gagner par raison les esprits
D'une multitude étrangère,

Ce n'est jamais par là que l'on en vient à bout;
Il y faut une autre manière :

Servez-vous de vos rets, la puissance fait tout.

XII. Les deux Perroquets, le Roi, et son Fils.

DEUX perroquets, l'un père, et l'autre fils,
Du rôt d'un roi faisoient leur ordinaire :
Deux demi-dieux, l'un fils et l'autre père,
De ces oiseaux faisoient leurs favoris.
L'âge lioit une amitié sincère

Entre ces gens: les deux pères s'aimoient;
Les deux enfants, malgré leur cœur frivole,
L'un avec l'autre aussi s'accoutumoient,
Nourris ensemble, et compagnons d'école.
C'étoit beaucoup d'honneur au jeune perroquet;
Car l'enfant étoit prince, et son père monarque.
Par le tempérament que lui donna la Parque (1),
Il aimoit les oiseaux. Un moineau fort coquet,
Et le plus amoureux de toute la province,
Faisoit aussi sa part des délices du prince,
Ces deux rivaux un jour ensemble se jouants (2),
Comme il arrive aux jeunes gens,
Le jeu devint une querelle.

Le passereau peu circonspect
S'attira de tels coups de bec,
Que, demi-mort et traînant l'aile,
On crut qu'il n'en pourroit guérir.

Le prince indigné fit mourir

Son perroquet. Le bruit en vint au père (3).

(1) Selon les poètes, la Parque préside à la naissance des hommes et détermine leurs inclinations pendant tout le cours de leur vie,

(2) Jouant étant ici participe ne peut point être mis au pluriel.

(3) Dù perroquet,

L'infortuné vieillard crie et se désespère,

Le tout en vain; ses cris sont superflus,
L'oiseau parleur est déjà dans la barque:
Pour dire mieux, l'oiseau ne parlant plus
Fait qu'en fureur sur le fils du monarque
Son père s'en va fondre, et lui crève les yeux.
Il se sauve aussitôt; et choisit pour asile

Le haut d'un pin: là, dans le sein des dieux,
Il goûte sa vengeance en lieu sûr et tranquille.
Le roi lui-même y court, et dit pour l'attirer:
Ami, reviens chez moi: que nous sert de pleurer?
Haine, vengeance et deuil, laissons tout à la porte.
Je suis contraint de déclarer,

Encor que ma douleur soit forte,

Que le tout vient de nous: mon fils fut l'agresseur:
Mon fils! non; c'est le Sort qui du coup est l'auteur,
La Parque avoit écrit de tout temps en son livre
Que l'un de nos enfants devoit cesser de vivre,
L'autre de voir, par ce malheur.

Consolons-nous tous deux, et reviens dans ta cage.
Le perroquet dit: Sire roi,

Crois-tu qu'après un tel outrage

Je me doive fier à toi ?

Tu m'allègues le Sort: prétends-tu, par ta foi,
Me leurrer de l'appât d'un profane langage?
Mais que la Providence, ou bien que le Destin
Règle les affaires du monde,

Il est écrit là-haut (4) qu'au faîte de ce pin,
Ou dans quelque forêt profonde,

J'acheverai mes jours loin du fatal objet
Qui doit t'être un juste sujet

De haine et de fureur. Je sais que la vengeance
Est un morceau de roi; car vous vivez en dieux (5).
Tu veux oublier cette offense;

Je le crois cependant il me faut, pour le mieux,

(4) Au ciel.

(5) On trouve dans la mythologie des anciens un grand nombre de traits qui font voir

qu'ils attribuoient à leurs dieux
toutes les passions des hommes,
entre autres l'esprit de ven-
geance.
N

Eviter la main et tes yeux.

Sire roi, mon ami, va-t'en, tu' perds ta peine:
Ne me parle point de retour:

L'absence est aussi-bien un remède à la haine,
Qu'un appareil contre l'amour.

XIII. La Lionne et l'Ourse.

MÈRE lionne avoit perdu son faon (1):
Un chasseur l'avoit pris. La pauvre infortunée
Poussoit un tel rugissement,
Que toute la forêt étoit importunée.
La nuit ni son obscurité,

Son silence et ses autres charmes,
De la reine des bois n'arrêtoient les vacarmies:
Nul animal n'étoit du sommeil visité.

L'ourse enfin lui dit: Ma commère,
Un mot sans plus: Tous les enfants
Qui sont passés entre vos dents
N'avoient-ils ni père ni mère?

Ils en avoient. S'il est ainsi,

Et qu'aucun de leur mort n'ait nos têtes rompues,
Si tant de mères se sont tues,

Que ne vous taisez-vous aussi?-
Moi, me taire! moi malheureuse!

Ah! j'ai perdu mon fils! il me faudra traîner
Une vieillesse douloureuse !-

Dites-moi, qui vous force à vous y

condamner?Hélas! c'est le Destin qui me hait. Ces paroles Ont été de tout temps en la bouche de tous.

Misérables humains, ceci s'adresse à vous:
Je n'entends résonner que des plaintes frivoles.
Quiconque, en pareil cas, se croit haï des cieux,
Qu'il considère Hécube (2), il rendra grâce aux dieux.

(1) Son petit.

(2) Epouse de Priam qui, après la prise de Troie, échut

en partage à Ulysse, auprès duquel elle finit ses jours dans l'esclavage.

XIV. Les deux Aventuriers et le Talisman.

AUCUN chemin de fleurs ne conduit à la gloire.
Je n'en veux pour témoin qu'Hercule et ses travaux:
Ce dieu n'a guère de rivaux ;

J'en vois
pea dans la fable, encor moins dans l'histoire.
En voici pourtant un, que de vieux talismans (1)
Firent chercher fortune au pays des romans (2).
Il voyageoit de compagnie.

Son camarade et lui trouvèrent un poteau
Ayant au haut cet écriteau :

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Seigneur aventurier, s'il te prend quelque envie "De voir ce que n'a vu nul chevalier errant (3), "Tu n'as qu'à passer ce torrent;

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"Puis, prenant dans tes bras un éléphant de pierre
Que tu verras couché par terre,
"Le porter, d'une haleine, au sommet de ce mont
"Qui menace les cieux de son superbe front."
L'un des deux chevaliers saigna du nez (4): Si l'onde
Est rapide autant que profonde,
Dit-il....et supposé qu'on la puisse passer,
Pourquoi de l'éléphant s'aller embarrasser?
Quelle ridicule entreprise!

Le sage l'aura fait par tel art et de guise (5)
Qu'on le pourra porter peut-être quatre pas:
Mais jusqu'au haut du mont! d'une haleine! il n'est pas

(1) Les talismans sont des pièces de métal fondues et gravées sous certains aspects de planètes, sous certaines constellations, et auxquelles on attribue des vertus extraordinai

res.

On appelle du même nom certaines figures et certaines pierres chargées de caractères, auxquelles on attribue les mêmes vertus.

(2) Dans des lieux qui n'existent que dans l'imagination.

(3) On appeloit ainsi autrefois un chevalier qui alloit de contrée en contrée pour chercher des aventures.

(4) Manqua de courage pour tenter cette entreprise.

(5) Manière. Ce mot n'est plus usité que dans quelques phrases proverbiales.

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