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Fit enquête (3) nouvelle, et, pour plus de lumière,
Entendit une fourmillière (4).
Le point n'en pût être éclairci.
De grâce, à quoi bon tout ceci?
Dit une abeille fort prudente.

Depuis tantôt (5) six mois que la cause est pendante
Nous voici comme aux premiers jours.
Pendant cela le miel se gâte:

Il est temps désormais que le juge se hâte :
N'a-t-il point assez léché l'ours (6)?

Sans tant de contredits (7), et d'interlocutoires (8)
Et de fatras, et de grimoires,
Travaillons, les frélons et nous :

On verra qui sait faire, avec un suc si doux,
Des cellules si bien bâties.

Le refus des frélons fit voir

Que cet art passoit leur savoir;

Et la guêpe adjugea le miel à leurs parties.

Plût à Dieu qu'on réglât ainsi tous les procès;
Que des Turcs en cela l'on suivit la méthode !
Le simple sens commun nous tiendroit lieu de code;
Il ne faudroit point tant de frais.

Au lieu qu'on nous mange, on nous gruge;
On nous mine par des longueurs:

On fait tant à la fin, que l'huître est pour le juge,
Les écailles pour les plaideurs.

(3) Recherche faite par dre de justice.

or

(4) Lieu sous terre où se tiennent les fourmis il se dit ici de beaucoup de fourmis.

(5) Bientôt. Tantôt est vieux dans cette acception.

(6) N'a-t-il pas assez sucé les plaideurs?

(7) Ecritures servant de réponses à la production de la partie adverse.

(8) Jugement qui ordonne une instruction préalable pour parvenir au jugement définitif.

XXII. Le Chêne et le Roseau.

LE chêne un jour dit au roseau :

Vous avez bien sujet d'accuser la nature;

Un roitelet (1) pour vous est un pesant fardeau;
Le moindre vent qui d'aventure
Fait rider la face de l'eau

Vous oblige à baisser la tête;

Cependant que mon front, au Caucase (2) pareil,
Nou content d'arrêter les rayons du soleil,
Brave l'effort de la tempête.

Tout vous est aquilon (3); tout me semble zéphyr (4).
Encor si vous naissiez à l'abri du feuillage
Dont je couvre le voisinage,
Vous n'auriez pas tant à souffrir;
Je vous défendrois de l'orage:

Mais vous naissez le plus souvent

Sur les humides bords (5) des royaumes du vent.
La nature envers vous me semble bien injuste.
Votre compassion, lui répondit l'arbuste,
Part d'un bon naturel: mais quittez ce souci;

Les vents me sont moins qu'à vous redoutables:
Je plie, et ne romps pas. Vous avez jusqu'ici
Contre leurs coups épouvantables
Résisté sans courber le dos:

Mais attendons la fin. Comme il disoit cès mots,
Du bout de l'horizon (6) accourt avec furie
Le plus terrible des enfans

Que le nord eût portés jusque-là dans ses fancs (7).,
L'arbre tient bon: le roseau plie.

Le vent redouble ses efforts,

Et fait si bien qu'il déracine

Celui de qui la tête au ciel étoit voisine,

Et dont les pieds touchoient à l'empire des morts (8).

(1) Oiseau fort petit.
(2) Haute montagne en Asie.
(3) Vent dunord très-violent.
(4) Vent fort doux.

(5) Sur les bords des eaux.
(6) De l'extrémité apparente
du ciel.

(7) Belle métaphore, pour

dire le vent du nord le plus terrible qu'on eût vu jusqu'a- ̈ lors.

(8) Dont la tête s'élevoit très-haut, et dont les racines étoient profondément enfon cées dans la terre.

FIN DU PREMIER LIVRE,

LIVRE SECOND.

FABLE PREMIÈRE.

Contre ceux qui ont le goût difficile.

QUAND j'aurois en naissant reçu de Calliope (1)
Les dons qu'à ses amants cette muse a promis,
Je les consacrerois aux mensonges d'Esope (2):
Le imensonge et les vers de tout temps sont amis,
Mais je ne me crois pas si chéri du Parnasse (3)
Que de savoir orner toutes ces fictions.
On peut donner du lustre à leurs inventions:
On le peut; je l'essaie; un plus savant le fasse.
Cependant jusqu'ici d'un langage nouveau
J'ai fait parler les loups et répondre l'agneau :
J'ai passé plus avant; les arbres et les plantes
Sont devenus chez moi créatures parlantes.
Qui ne prendroit ceci pour un enchantement?
Vraiment, me diront nos critiques,
Vous parlez magnifiquement

De cinq ou six contes d'enfant.

Censeurs, en voulez-vous qui soient plus authentiques
Et d'un style plus haut? En voici. Les Troyens
Après dix ans de guerre autour de leurs murailles,
Avoient laissé les Grecs qui, par mille moyens,
Par mille assauts, par cent batailles,
N'avoient pu mettre à bout cette fière cité ;
Quand un cheval de bois, par Miuerve inventé,

(1) Une des neuf Muses: elle préside à l'éloquence et à la poésie héroïque,

C

(2) Aux fables.

(3) Mont de la Phocide consacré à Apollon et aux Muses.

D'un rare et nouvel artifice,

Dans ses énormes flancs reçut le sage Ulysse,
Le vaillant Diomède, Ajax l'impétueux,
Que ce colosse monstrueux

Avec leurs escadrons devoit porter dans Troie,
Livrant à leurs fureurs ses dieux mêmes en proie :
Stratagème inouï, qui des fabricateurs

Paya la constance et la peine.....

C'est assez, me dira quelqu'un de nos auteurs:
La période est longue, il faut reprendre haleine.
Et puis, votre cheval de bois,

Vos héros avec leurs phalanges,

Ce sont des contes plus étranges

Qu'un renard qui cajole un corbeau sur sa voix.
De plus, il vous sied mal d'écrire en si haut style.
Eh bien! baissons d'un ton. La jalouse Amarylle
Songeoit à son Alcippe, et croyoit de ses soins
N'avoir que ses moutous et son chien pour témoins,
Tircis, qui l'aperçut, se glisse entre des saules:
Il entend la bergère adressant ces paroles
Au doux zéphyr, et le priant

De les porter à son amant....
Je vous arrête à cette rime,
Dira mon censeur à l'instant;
Je ne la tiens pas légitime,
Ni d'une assez grande vertu :

Remettez, pour le mieux, ces deux vers à la fonte.
Maudit censeur! te tairas-tu ?

Ne saurois-je achever mon conte?
C'est un dessein très-dangereux
Que d'entreprendre de te plaire.

Les délicats sont malheureux;
Rien ne sauroit les satisfaire.

II. Conseil tenu par les Rats. ·

UN chat, nommé Rodilardus,
Faisoit de rats telle déconfiture (1),

Que l'on n'en voyoit presque plus:
Tant il en avoit mis dedans (2) la sépulture.
Le peu qu'il en restoit, n'osant quitter son trou,
Ne trouvoit à manger que le quart de son soû (3);
Et Rodilard passoit, chez la gent (4) misérable,
Non pour un chat, mais pour un diable.

Or, un jour qu'au haut et au loin (5)
Le galant alla chercher femme,

Pendant tout le sabbat (6) qu'il fit avec sa dame,
Le demeurant des rats tint chapitre (7) en un coin
Sur la nécessité présente.

Dès l'abord, leur doyen (8), personne fort prudente,
Opina qu'il falloit, et plutôt que plus tard,
Attacher un grelot au cou de Rodilard;

Qu'ainsi, quand il iroit en guerre,

De sa marche avertis ils s'enfuiroient sous terre:
Qu'il n'y savoit que ce moyen.
Chacun fut de l'avis de monsieur le doyen:
Chose ne leur parut à tous plus salutaire.
La difficulté fut d'attacher le grelot.

L'un dit, je n'y vas poiut, je ne suis pas si sot:
L'autre, je ne saurois. Si bien que sans rien faire
On se quitta. J'ai maints chapitres vus,
Qui pour néant se sont ainsi tenus:
Chapitres, non de rats, mais chapitres de moines,
Voire (9) chapitres de chanoines.
Ne faut-il que délibérer ?

(1) Destruction.

(2) Dedans n'est plus suiyi d'un régime. Il faut dans.

(3) Que le quart de ce qui étoit nécessaire pour le rassasier.

(4) Nation.

(5) Sur un toit éloigné.

(6) Bruit,

(7) Assemblée de chanoines et de religieux pour y traiter de leurs affaires.

(8) Titre de dignité dans un chapitre.

(9) Vieux mot, qui signifie même,

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