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Des plus beaux dons que nous offre Pomone (2)
Avoit la fleur, les autres le rebut.

Chaque saison apportoit son tribut:

Car au printemps il jouissoit encore

Des plus beaux dons que nous présente Flore (3).
Un jour dans son jardin il vit notre écolier,
Qui, grimpant sans égard sur un arbre fruitier,
Gâtoit jusqu'aux boutons, douce et frêle espérance,
Avant-coureurs des biens que promet l'abondance:
Même il ébranloit l'arbre; et fit tant à la fin
Que le possesseur du jardin
Envoya faire plainte au maître de la classe.
Celui-ci vint suivi d'un cortège d'enfants:
Voilà le verger plein de gens

Pires que le premier. Le pédant de sa grâce (4),
Accrut le mal en nimenant

Cette jeunesse mal instruite:

Le tout, à ce qu'il dit, pour faire un châtiment
Qui pût servir d'exemple, et dont toute sa suite
Se souvint à jamais comme d'une leçon.
Là-dessus il cita Virgile et Cicéron,

Avec force traits de seience.

Son discours dura tant, que la maudite engeance
Eut le temps de gâter en cent lieux le jardin.

Je hais les pièces d'éloquence
Hors de leur place, et qui n'ont point de fin;
Et ne sais bête au monde pire

Que l'écolier, si ce n'est le pédant.
Le meilleur de ces deux pour voisin, à vrai dire,
Ne me plairoit aucunement.

(2) Des plus beaux fruits. Pomone est la déesse des fruits. (3) Des plus belles fleurs, dont Flore est la déesse.

(4) De son propre mouvement, sans nécessité.

VI. Le Statuaire, et la Statue de Jupiter.

Un bloc (1) de marbre étoit si beau,
Qu'un statuaire en fit l'emplette.
Qu'en fera, dit-il, mon ciseau?
Sera-t-il dieu, table ou euvette?

Il sera dieu: même je veux
Qu'il ait en sa main un tonnerre.
Tremblez, humains; faites des vœux ::
Voilà le maître de la terre,

L'artisan exprima si bien
Le caractère de l'idole,

Qu'on trouva qu'il ne manquoit rien,
A Jupiter que la parole:

Même l'on dit que l'ouvrier
Eut à peine achevé l'image,
Qu'on le vit frémir le premier,
Et redouter son propre ouvrage..

A la foiblesse du sculpteur

Le poète (2) autrefois n'en dut guère,
Des dieux dont il fut l'inventeur
Craignant la haine et la colère:

Il étoit enfant en ceci ;

Les enfants n'ont l'âme occupée
Que du continuel souci
Qu'on ne fache point leur poupée..

Le cœur suit aisément l'esprit :
De cette source est descendue

(1) Gros morceau de marbre qui n'est pas taillé.

(2) Voyez livre VIII, fable 16, note 6.

L'erreur païenne, qui se vit
Chez tant de peuples répandue..

Ils embrassoient violemment
Les intérêts de leur chimère:
Pygmalion devint amant

De la Vénus dont il fut père.

Chacun tourne en réalités,

Autant qu'il peut, ses propres songes:
L'homme est de glace aux vérités,
Il est de feu pour les mensonges.

VII. La Souris métamorphosée en Fille.

UNE souris tomba du bec d'un chat-huant:
Je ne l'eusse pas ramassée ;

Mais un bramin-(1) le fit: je le crois aisément :
Chaque pays a sa pensée.

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La souris étoit fort froissée..

De cette sorte de prochain

Nous nous soucions peu: mais le peuple bramin
Le traite en frère. Hs ont en tête

Que notre âme, au sortir d'un roi,

Entre dans un ciron, ou dans une autre bête
Qu'il plaît au Sort (2): c'est là l'un des points de leur lɔi.
Pythagore (3) chez eux a puisé ce mystère.

Sur un tel fondement le bramin crut bien faire
De prier un sorcier qu'il logeât la souris

Dans un corps qu'elle eût eu pour hôte au temps jadis.
Le sorcier en fit une fille

De l'âge de quinze ans, et telle et si gentille,
Que le fils de Priam (4) pour elle auroit tenté

(1), Philosophe ou prêtre Indien. On dit aussi Bramine et plus communément Brac

mane.

(2) La métempsycose, ou transmigration des âmes. (3) Fameux philosophe grec (4) Paris, fils de Priam.

Plus encor qu'il ne fit pour la grecque beauté (5).
Le bramin fut surpris de chose si nouvelle.
Il dit à cet objet si doux :

Vous n'avez qu'à choisir; car chacun est jaloux
De l'honneur d'être votre époux.
En ce cas je donne, dit-elle,
Ma voix au plus puissant de tous.
Soleil, s'écria lors le bramin à genoux,
C'est toi qui seras notre gendre.
Non, dit-il; ce nuage épais

Est plus puissant que moi, puisqu'il cache mes traits;
Je vous conseille de le prendre.
Eh bien! dit le bramin au nuage volant,

Es-tu né pour ma fille?-Hélas! non; car le vent
Me chasse à plaisir de contrée en contrée ;
Je n'entreprendrai point sur les droits de Borée (6).
Le bramin fâché s'écria:

O vent, donc, puisque vent y a,
Viens dans les bras de notre belle !

Il accouroit: un mont en chemin l'arrêta.
L'eteuf (7) passant à celui-là,

Il le renvoie, et dit: J'aurois une querelle
Avec le rat; et l'offenser

Ce seroit être fou, lui qui peut me percer.
Au mot de rat, la demoiselle

Ouvrit l'oreille: il fut l'époux,

Un rat! Un rat: c'est de ces coups
Qu'Amour fait; témoin telle et telle.
Mais ceci soit dit entre nous.

On tient toujours du lieu dont on vient. Cette fable Prouve assez bien ce point. Mais, à la voir de près, Quelque peu de soplrisme entre parmi ses traits:

(5) Hélène, femme de Ménélas, roi de Sparte.

(6) Vent du nord.. Il est employé ici pour désigner toute espèce de vent violent.

(7) Au propre, petite balle dont on joue à la longue paume.

La Fontaine s'en sert ici au figuré et en fait l'application à cette fille qui, offerte en mariage à plusieurs partis, est renvoyée de l'un à l'autre, jusqu'à ce qu'elle trouve un mari..

Car quel époux n'est point au Soleil préférable
En s'y prenant ainsi? Dirai-je qu'un géant

Est moins fort qu'une puce? Elle le mord pourtant
Le rat devoit aussi renvoyer, pour bien faire,
La belle au chat, le chat au chien,

Le chien au loup. Par le moyen
De cet argument circulaire,

Pilpay (8) jusqu'au Soleil eût enfin remonté :
Le Soleil eût joui de la jeune beauté.
Revenons, s'il se peut, à la métempsycose:
Le sorcier du bramin fit sans doute une chose
Qui, loin de la prouver, fait voir sa fausseté.
Je prends droit là-dessus contre le bramin même ;
Car il faut, selon son système,

Que l'homme, la souris, le ver, enfin chacun
Aille puiser son âme en un trésor commun;
Toutes sont donc de même trempe;
Mais agissant diversement

Selon l'organe seulement,

D'où vient donc que ce corps si bien organisé
Ne put obliger son hôtesse

De s'unir au Soleil? Un rat eut sa tendresse.

Tout débattu, tout bien pesé, Les âmes des souris et les âmes des belies Sont très-différentes entre elles; Il en faut revenir toujours à son destin, C'est-à-dire à la loi par le ciel établie :

Parlez au diable, employez la magie, Vous ne détournerez nul être de sa fin.

(8) Fabuliste oriental.

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