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Jupiter le vouloit ainsi.

Qu'est-ce que Jupiter (7)? Un corps sans connoissance.
D'où vient donc que son influence

Agit différemment sur ces deux hommes-ci?
Puis comment pénétrer jusques à notre monde?
Comment percer des airs la campagne profonde?
Percer Mars (8), le Soleil, et les vides sans fin?
Un atome la peut détourner en chemin :

Où l'iront retrouver les faiseurs d'horoscope (9)?
L'état où nous voyons l'Europe

Mérite que du moins quelqu'un d'eux l'ait prévu:
Que ne l'a-t-il donc dit? Mais nul d'eux ne l'a su.
L'immense éloignement, le point, et sa vitesse,
Celle aussi de nos passions,
Permettent-ils à leur foiblesse

De suivre pas à pas toutes nos actions?
Notre sort en dépend; sa course entresuivie (10)
Ne va, non plus que nous, jamais d'un même pas :
Et ces gens veulent au compas

Tracer le cours de notre vie!

Il ne faut point arrêter

Aux deux faits ambigus que je viens de conter.
Ce fils par trop chéri, ni le bon homme Eschyle,
N'y font rien tout aveugle et menteur qu'est cet art,
Il peut frapper au but (11) une fois entre mille;
Ce sont des effets du hasard.

(7) La seconde des planètes supérieures.

(8) La première des planètes supérieures.

(9) Charlatans qui observent l'état du ciel au point de la naissance de quelqu'un, et d'a

près lequel ils prétendent juger de ce qui lui doit arriver dans le cours de sa vie.

(10) Entresuivie rend la phrase obscure.

(11) Rencontrer juste.

XVII. L'Ane et le Chien.

IL se faut entr'aider, c'est la loi de nature.
L'âne un jour pourtant s'en moqua:
Et ne sais comme il y manqua;

Car il est bonne créature.

Il alloit par pays, accompagné du chien,
Gravement, sans songer à rien:

Tous deux suivis d'un commun maître.
Ce maître s'endormit. L'âne se mit à paître:
Il étoit alors dans un pré

Dont l'herbe étoit fort à son gré.

Point de chardons pourtant, il s'en passa pour l'heure:
Il ne faut pas toujours être si délicat;
Et, faute de servir ce plat,
Rarement un festin demeure.

Notre baudet s'en sut enfin

Passer pour cette fois. Le chien, mourant de faim,
Lui dit: Cher compagnon, baisse-toi, je te prie,
Je prendrai mon dîner dans le panier au pain.
Point de réponse; mot: le roussin d'Arcadie (1)
Craignit qu'en perdant un moment

Il ne perdit un coup de dent.

Il fit long-temps la sourde oreille:

Enfin, il répondit: Ami, je te conseille
D'attendre que ton maître ait fini son sommeil;
Car il te donnera sans faute à son réveil
Ta portion accoutumée:

Il ne sauroit tarder beaucoup.

Sur ces entrefaites un loup

Sort du bois, et s'en vient; autre bête affamée.
L'âne appelle aussitôt le chien à son secours.
Le chien ne bouge, et dit: Ami, je te conseille
De fuir en attendant que ton maître s'éveille :
Il ne sauroit tarder: détale (2) vite, et cours,

(1) L'âne, expression familière.

(2) Retire-toi promptement,

Que si le loup t'atteint, casse-lui la mâchoire:
On t'a ferré de neuf: et, si tu veux me croire,
Tu l'étendras tout plat. Pendant ce beau discours,
Seigneur loup étrangla le baudet sans remède.

Je conclus qu'il faut qu'on s'entr'aide.

XVIII. Le Bassa et le Marchand.

UN marchand grec en certaine contrée
Faisoit trafic. Un bassa (1) l'appuyoit ;
De quoi le grec en bassa le payoit,
Non en marchand: tant c'est chère denrée
Qu'un protecteur. Celui-ci coûtoit tant,
Que notre Grec s'alloit partout plaignant.
Trois autres Turcs, d'un rang moindre en puissance,
Lui vont offrir leur support en commun.
Eux trois vouloient moins de reconnoissance
Qu'à ce marchand il n'en coûtoit pour un..
Le Grec écoute; avec eux il s'engage.
Et le bassa du tout est averti:

Même on lui dit qu'il jouera, s'il est sage,
A ces gens-là quelque méchant parti,
Les prévenaut, les chargeant d'un message-
Pour Mahomet (2), droit en son paradis,
Et saus tarder: sinon ces gens unis
Le préviendront, bien certains qu'à la ronde
Il a des gens tout prêts pour le venger ;
Quelque poison l'enverra protéger
Les trafiquants qui sont en l'autre monde.
Sur cet avis le Turc se comporta

(1) Bassa n'est plus frangois. On dit Pacha, ou Bacha, titre d'honneur qu'on donne en Turquie à des personnes consi,

dérables, même sans gouvernement.

(2) Eu les envoyant joindre Mahomet dans l'autre monde..

Comme Alexandre (3); et, plein de confiance,
Chez le marchand tout droit il s'en alla ;:
Se mit à table. On vit tant d'assurance
En ses discours et dans tout son maintien,
Qu'on ne crut pas qu'il se doutât de rien,
Ami, dit-il, je sais que tu ne quittes-;
Même l'on veut que j'en craigne les suites:
Mais je te crois un trop honume de bien;
Tu n'a pas l'air d'un donneur de breuvage (4).
Je n'en dis pas là-dessus davantage.
Quant à ces gens qui pensent t'appuyer,
Ecoute-moi sans tant de dialogue
Et de raisons qui pourroient t'ennuyer,
Je ne te veux conter qu'un apologue.

Il étoit un berger, son chien, et son troupeau
Quelqu'un Tui demanda ce qu'il prétendoit faire
D'un dogue de qui l'ordinaire

Etoit un pain entier. Il falloit bien et beau
Donner cet animal au seigneur du village.
Lui, berger, pour plus de ménage,
Auroit deux ou trois mâtineaux (5),

Qui, lui dépensant moins, veilleroient aux troupeaux
Bien nieux que cette bête seule.

Il mangeoit plus que trois. Mais on ne disoit pas
Qu'il avoit aussi triple gueule

Quand les loups livroient des combats.
Le berger s'en défait: il prend trois chiens de taille
A lui dépenser moins, mais à fuir la bataille..
Le troupeau s'en sentit: et tu te sentiras

Du choix de semblable canaille.

Si tu fais bien, tu reviendras à moi.
Le Grec le crut.

THE

Ceci montre aux provinces

Que, tout compté, mieux vaut en bonne foi

(3) Qui prit une médecine de la main de son médecin, quoiqu'on lui eût écrit que ce

médecin devoit l'empoisonner.
(4) D'un empoisonneur.
(5) Petits mâtius.

S'abandonner à quelque puissant roi,
Que s'appuyer de plusieurs petits princes.

XIX. L'avantage de la Science

ENTRE deux bourgeois d'une ville
S'émut jadis un différent :

L'un étoit pauvre, mais habile;
L'autre riche, mais ignorant.
Celui-ci sur son concurrent
Vouloit emporter l'avantage;
Prétendoit que tout homme sage
Etoit tenu de l'honorer.

C'étoit tout homme sot: car pourquoi révérer
Des biens dépourvus de mérite?
La raison m'en semble petite.
Mon ami, disoit-il souvent
Au savant,

Vous vous croyez considérable:

Mais, dites-moi, tenez-vous table?

Que sert à vos parents de lire incessamment?
Ils sont toujours logés à la troisième chambre (1),
Vêtus au mois de juin comme au mois de décembre
Ayant pour tout laquais leur ombre seulement.
La république a bien affaire

De gens qui ne dépensent rien !

Je ne sais d'homme nécessaire

Que celui dont le luxe épand beaucoup de bien.
Nous en usons, Dieu sait! notre plaisir occupe
L'artisan, le vendeur, celui qui fait la jupe,
Et celle qui la porte, et vous, qui dédiez
A messieurs les gens de finance
De méchants livres bien payés.
Ces mots remplis d'impertinence
Eurent le sort qu'ils méritoient.

(1) Au troisième étage.

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