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Disoit-il, en voyant leur ombre avec douleur;

Des taillis (3) les plus hauts mon front atteint le fatte ;
Mes pieds ne ne font point d'l'onneur.
Tout en parlant de la sorte,

Un limier (4) le fait partir.
Il tâche à se garantir ;

Dans les forêts il s'emporte :
Son bois, dommageable ornement,
L'arrêtant à chaque moment,

Nuit à l'office que lui rendent

Ses pieds, de qui ses jours dépendent..

Il se dédit alors, et maudit les présents,

Que le ciel lui fait tous les ans (5).

Nous faisons cas du beau, nous méprisons l'utile:
Et le beau souvent nous détruit.
Ce cerf blâme ses pieds qui le rendent agile:
Il estime un bois qui lui nuit.

(3) Bois que l'on coupe de temps en temps.

(4) Gros chien de chasse avec lequel le veneur quête et

détourne la bête pour la lancer quand on veut la courir.

(5) Le bois du cerf tombe et revient toutes les années.

X. Le Lièvre et la Tortue.

RIEN ne sert de courir: il faut partir à point.
Le lièvre et la tortue en sont un témoignage.

Gageons, dit celle-ci, que vous n'atteindrez point
Sitôt
que moi ce but. Sitôt ! êtes-vous sage?
Repartit l'animal léger :

Ma commère, il faut vous purger.
Avec quatre grains d'ellébore (1).-

(1) Plante que les anciens croyoient propre à guérir de la folie.

Sage ou non, je parie encore.
Ainsi fut fait; et de tous deux
On mit près du but les enjeux.
Savoir quoi, ce n'est pas l'affaire,
Ni de quel juge l'on convint.

Notre lièvre n'avoit que quatre pas à faire;

J'entends de ceux qu'il fait lorsque, près d'être atteint,
Il s'éloigne des chiens, les renvoie aux calendes (2),
Et leur fait arpenter les landes (3).

Ayant, dis-je, du temps de reste pour brouter,
Pour dormir et pour écouter

D'où vient le vent, il laisse la tortue
Aller son train de sénateur (4).
Elle part, elle s'évertue :

Elle se hâte avec lenteur.

Lui cependant méprise une telle victoire,
Tient la gageure à peu de gloire,
Croit qu'il y va de son honneur
De partir tard. Il broute, il se repose,
Il s'amuse à tout autre chose

Qu'à la gageure. A la fin, quand il vit
Que l'autre touchoit presque au bout de la carrière,
Il partit comme un trait. Mais les élans qu'il fit
Furent vains: la tortue arriva la première.
Hé bien! lui cria-t-elle, avois-je pas raison?
De quoi vous sert votre vitesse?
Moi l'emporter! et que seroit-ce,
Si vous portiez une maison (5)?

(2) Renvoyer aux calendes grecques e'est renvoyer à un temps qui n'arrivera jamais.

(3) Grande étendue de terre

où il ne vient que des bruyères, des genêts, etc.

(4) Aller gravement.

(5) L'écaille dont la tortue

est couverte.

XI. L'Ane et ses Maîtres.

L'ANE d'un jardinier se plaignoit au destin
De ce qu'on le faisoit lever devant (1) l'aurore..
Les coqs, lui disoit-il, ont beau chanter matin,
Je suis plus matiueux encore.

Et pourquoi? pour porter des herbes au marché !
Belle nécessité d'interrompre mon somme!
Le sort, de sa plainte touché,

Lui donne un autre maître; et l'animal de somme
Passe du jardinier aux mains d'un corroyeur.
La pesanteur des peaux et leur mauvaise odeur
Eurent bientôt choqué l'impertinente bête..
J'ai regret, disoit-il, à mon premier seigneur :
Encor, quand il tournoit la tête,
J'attrapois, s'il m'en souvient bien,
Quelque morceau de chou qui ne me coûtoit rien:
Mais ici, point d'aubaine (2); ou, si j'en ai quelqu'une,
C'est de coups. Il obtint changement de fortune;
Et sur l'état d'un charbonnier

Il fut couché tout le dernier.

Autre plainte. Quoi donc ! dit le sort en colère,
Ce baudet-ci m'occupe autant

Que cent monarques pourroient faire !

Croit-il être le seul qui ne soit pas content?
N'ai-je en l'esprit que son affaire?

Le Sort avoit raison. Tous gens sont ainsi faits;
Notre condition jamais ne nous contente;
La pire est toujours la présente..
Nous fatiguons le ciel à force de placets (3).
Qu'à chacun Jupiter accorde sa requête,
Nous lui romprons encor la tête.

(1) Avant.
(2) Nul profit casuel,

(3) Demandes.,

XII. Le Soleil et les Grenouilles.

Aux noces d'un tyran tout le peuple en liesse (1)
Noyoit son souci dans les pots (2).
Esope seul trouvoit que les gens étoient sots
De témoigner tant d'allégresse.
Le Soleil, disoit-il, eut dessein autrefois
De songer à l'hyménée (3).
Aussitôt on ouït, d'une commune voix,
Se plaindre de leur destinée

Les citoyennes des étangs (4).
Que ferons-nous, s'il lui vient des enfants?
Dirent-elles au Sort: un seul Soleil à peine
Se peut souffrir; une demi-douzaine
Mettra la mer à sec et tous ses habitants.
Adieu jonc et marais: notre race est détruite ;
Bientôt on la verra réduite

A l'eau du Styx (5). Pour un pauvre animal,
Grenouilles, à mon sens, ne raisonuoient pas mal.

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(2) Autour de. Alentour n'est jamais suivi d'un régime,

Aperçut un serpent sur la neige étendu,
Transi, gelé, perclus, immobile rendu,

Nayant pas à vivre un quart-d'heure.
Le villageois le prend l'emporte en sa demeure;
Et, sans considérer quel sera le loyer (3)
D'une action de ce mérite,

Il l'étend le long du foyer,

Le réchauffe, le ressuscite.

L'animal engourdi sent à peine le chaud,
Que l'âme lui revient avecque la colère.
Il lève un peu la tête, et puis siffle aussitôt,
Puis fait un long repli, puis tâche à faire un saut
Contre son bienfaiteur, son sauveur et son père.
Ingrat, dit le manant, voilà donc mon salaire!
Tu mourras! A ces mots, plein d'un juste courroux,
Jl vous prend sa cognée, il vous tranche la bête.
Il fait trois serpents de deux coups,

Un

tronçon, la queue et la tête. L'insecte, sautillant, cherche à se réunir;. Mais il ne put y parvenir.

Il est bon d'être charitable:

Mais envers qui? c'est là le point.
Quand aux ingrats, il n'en est point
Qui ne meure enfin misérable.

(3) La récompense.

XIV. Le Lion malade et le Renard.

DE par le roi des animaux,

Qui dans son antre étoit malade,
Fut fait savoir à ses vassaux
Que chaque espèce en ambassade
Envoyât gens le visiter;
Sous promesse de bien traiter
Les députés, eux et leur suite,

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