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Etoit frayant (1) et rude; et l'autre un autre si (2).
Pendant qu'ils marchandoient ainsi,

Un d'eux, le plus hardi, mais non pas le plus sage,
Promit d'en rendre tant, pourvu que Jupiter
Le laissât disposer de l'air,

Lui donnât saison à sa guise,

Qu'il eût du chaud, du froid, du beau temps, de la bise, Enfin du sec et du mouillé,

Aussitôt qu'il auroit baillé (3).

Jupiter y consent. Contrat passé, notre homme
Tranche du roi des airs, pleut, vente, et fait en somme
Un climat pour lui seul: ses plus proches voisins
Ne s'en sentoient non plus que les Américains.
Ce fut leur avantage : ils eurent bonne année,
Pleine moisson, pleine vinée (4).
Monsieur le receveur fut très-mal partagé.
L'an suivant, voilà tout changé:
Il ajuste d'une autre sorte

La température des cieux.

Son champ ne s'en trouve pas mieux:

Celui de ses voisins fructifie et rapporte.
Que fait-il? Il recourt au monarque des dieux;
Il confesse son imprudence.
Jupiter en usa comme un maître fort doux.

Concluons que la Providence

Sait ce qu'il nous faut, mieux que nous.

(1) Ne pouvoit être mis en valeur, sans de grandes dépenses. Frayant n'est pas frauçois,

(2) Quelque autre raison, pour en moins donner.

(3) Passé le bail.
(4) Récolte de vin.

V. Le Cochet (1), le Chat, et le Souriceau (2).

UN souriceau tout jeune, et qui n'avoit rien vu,
Fut presque pris au dépourvu.

Voici comme il conta l'aventure à sa mère.

J'avois franchi les monts qui bornent cet état,
Et trottois comme un jeune rat

Qui cherche à se donner carrière,
Lorsque deux animaux m'ont arrêté les yeux;
L'un doux, benin et gracieux :
Et l'autre turbulent et plein d'inquiétude;
Il a la voix perçante et rude,

Sur la tête un morceau de chair,

Une sorte de bras dont il s'élève en l'air
Comme pour prendre sa volée,
La queue en panache étalée.

Or c'étoit un cochet dont notre souriceau
Fit à sa mère le tableau
Comme d'un animal venu de l'Amérique.
Il se battoit, dit-il, les flancs avec ses bras (3),
Faisant tel bruit et tel fracas,

Que moi, qui, grâce aux dieux, de courage me pique,
En ai, pris la fuite de peur,

Le maudissant de très-bon cœur.
Sans lui j'aurois fait connoissance

Avec cet animal qui m'a semblé si doux:
Il est velouté comme nous,

Marqueté, longue queue, une humble contenance,
Un modeste regard, et pourtant l'œil luisant.
Je le crois fort sympatisant,

Avec messieurs les rats: car il a des oreilles
En figure aux nôtres pareilles.

(1) Poulet auquel la crête vient et qui commence à chanter.

(2) Une jeune souris,
(3) Avec ses ailes.

Je l'allois aborder, quand d'un son plein d'éclat
L'autre m'a fait prendre la fuite.

Mon fils, dit la souris, ce doucet (4) est un chat,
Qui, sous son minois hypocrite,
Contre toute ta parenté

D'un malin vouloir est porté.
L'autre animal, tout au contraire,

Bien éloigné de nous mal faire,

Servira quelque jour peut-être à nos repas.
Quant au chat, c'est sur nous qu'il fonde sa cuisine (5).

Garde-toi, tant que tu vivras,
De juger des gens sur la mine.

(4) Expression familière.

Cet animal qui semble si doux.

(5) Qu'il compte pour se nourrir.

VI. Le Renard, lc Singe, et les Animaux.

LES animaux, au décès d'un lion,
En son vivant prince de la contrée,

Pour faire un roi, s'assemblèrent, dit-on.
De son étui la couronne est tirée :

Dans une chartre (1) un dragon la gardoit.
Il se trouva que sur tous essayée,

A pas un d'eux elle ne convenoit :
Plusieurs avoient la tête trop menue,

Aucuns (2) trop grosse, aucuns (3) même cornue.
Le singe aussi fit l'épreuve en riant;
Et par plaisir, la tiare (4) essayant,
Il fit autour force grimaceries (5),
Tours de souplesse et mille singeries,
Passa dedans ainsi qu'en un cerceau.

(1) Dans un lieu sûr.

(2) Les uns.

(3) Les autres.

couronnes, que le pape porte
dans certaines cérémonies.
(5) Grimace. Grimacerie

(4) Bonuet orné de trois n'est plus françois.

Aux animaux cela sembla si beau,
Qu'il fut élu: chacun lui fit hommage.
Le renard seul regretta son suffrage,
Sans toutefois montrer son sentiment.
Quand il eut fait son petit compliment,
Il dit au roi Je sais, sire, une cache,
Et ne crois pas qu'autre que moi la sache.
Or tout trésor, par droit de royauté,
Appartient, sire, à votre majesté.

Le nouveau roi bâille (6) après la finance :
Lui-même y court pour n'être pas trompé.
C'étoit un piége: il y fut attrapé.
Le renard dit, au nom de l'assistance:
Prétendrois-tu nous gouverner encor,
Ne sachant pas te conduire toi-même ?
Il fut démis; et l'on tomba d'accord
gens convient le diadême.

Qu'à peu

de

(6) Voyez Liv. II. Fable 13.

VII. Le Mulet se vantant de sa généalogie.

UN mulet d'un prélat se piquoit de noblesse,
Et ne parloit incessamment
Que de sa mère la jument,

Dont il contoit mainte prouesse.

Elle avoit fait ceci, puis avoit été là.
Sou fils prétendoit pour cela

Qu'on le dût mettre dans l'histoire.
Il eût cru s'abaisser, servant un médecin.
Etant devenu vieux, on le mit au moulin :
Son père l'âne alors lui revint en mémoire.

Quand le malheur ne seroit bon
Qu'à mettre un sot à la raison,
Toujours seroit-ce à juste cause
Qu'on le dit bon à quelque chose.

VIII. Le vieillard et l'Ane.

UN vieillard sur son âne aperçut en passant
Un pré plein d'herbe et fleurissant :

Il y lâche sa bête: et le grison se rue

Au travers de l'herbe menue,

Se vautrant, grattant et frottant,
Gambadant, chantant et broutant,
Et faisant mainte place nette.
L'ennemi vient sur l'entrefaite.
Fuyons, dit alors le vieillard..

Pourquoi ? répondit le paillard (1):

Me fera-t-on porter double bât, double charge!
Non pas, dit le vieillard, qui prit d'abord le large.
Et que m'importe donc, dit l'âne, à qui je sois ?
Sauvez-vous, et me laissez paître.
Notre ennemi c'est notre maître :
Je vous le dis en bon françois..

(1) Adonné au plaisir. Il est bas, et ne se dit que par injure.

IX. Le Cerf se voyant dans l'eau.

DANS le crystal d'une fontaine
Un cerf se mirant autrefois,
Louoit la beauté de son bois (1),
Et ne pouvoit qu'avecque peine
Souffrir ses jambes de fuseaux (2),

Dont il voyoit l'objet se perdre dans les eaux.
Quelle proportion de mes pieds à ma tête!

(1) Ses cornes, qu'on appelle (2) Grêles et menues.

bois.

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