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RABAGAS la prenant). Incendiaires, j'en suis sûr! misérables! (Parcourant.) Oui! l'appel aux plus hideuses passions!... L'insurrection proclamée, le plus saint des... (La reconnaissant. A part). Crédié!... C'est la mienne! (Il l'escamote, et la fourre dans sa poche. Rumeurs plus fortes. Une lueur sur la place.)

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GABRIELLE (debout, effrayée). Oh! cette clarté!
CARLE. Ils brûlent une guérite.

BRICOLI. Allons! Ça éclate!

RABAGAS (effure). Quoi? qu'est-ce qui éclate?

ANDRÉ. L'émeute! On commence les barricades!

RABAGAS (bondissant). L'émeute? Comment l'émeute? (Regardant sa montre.) Mais il n'est pas l'heure!... C'est commandé pour onze heures!...

TOUS. Ah!

RABAGAS (hors de lui). Sans le signal! mais c'est stupide! Une révolution! mais il n'en faut plus! Dites-leur donc qu'il n'en faut plus!...

BOUBARD. Dites-le vous-même!

RABAGAS. Mais puisqu'ils ont le gouvernement de leur choix! qu'est-ce qu'ils demandent?

BOUBARD. A en être.

RABAGAS (s'élançant sur le balcon). Mes amis! mes frères!... (Il est repoussé par une bordée de cris plus menaçants que jamais.)

CARLE (le tirant par le bras). Prenez garde!

RABAGAS (rentrant furieux). Brutes... brutes de démocrates! LE PRINCE. Fermez!... (On rabat les volets). Allons, je crois qu'après cela! ...

RABAGAS (exaspéré, courant à la table, s'asseyant, et signant des ordres). Je crois bien, ... colonel! Trois sommations. Puis, ouvrez les grilles et une charge là-dessus, à fond de train! EVA. Sur ce bon peuple!

RABAGAS (hors de lui). Est-ce qu'il y a un peuple? Il n'y a qu'une populace! - Et tout ce qui résiste et pousse un cri séditieux!...

BOUBARD. Par exemple? (Cris dehors, étouffés par le volet fermé.)

RABAGAS. Comment? par exemple?... Vous n'entendez pas à bas Rabagas?

BOUBARD. Alors le cri séditieux, ce n'est plus: Vive Rabagas?
RABAGAS (vivement). Eh! non, au contraire!...

BOUBARD. Ah!... C'est qu'hier c'était, Vive!...
RABAGAS. Eh! hier... Parbleu!...

BOUBARD. Bon! il ne s'agit que de s'entendre!... Voilà tout!... (A ses officiers.) Allons, Messieurs! (Il sort avec eux.)

RABAGAS. Bricoli! sans bruit par les jardins et tombez-moi sur

le Crapaud-Volant!

BRICOLI. Bien, et arrêter?...

RABAGAS. Tout!

BRICOLI. Vos amis?

RABAGAS. Tous mes amis! ... Chaffiou.

BRICOLI. Connu!

RABAGAS. Vuillard!... des lunettes! ... Camerlin... une tonsure!... Camille Desmoulins...

Tous (surpris). Ah!

RABAGAS. Un crétin déguisé en conventionnel!... Et Pétrowlski surtout, leur général!... Le bagne ambulant!... Huit mille décorations!... et pas de linge!...

BRICOLI. L'imprimerie?

RABAGAS (debout). Brisez les presses!... Et rasez la brasserie, si vous voulez!

BRICOLI. Bon!

RABAGAS. C'est une caverne!... (Se ravisant vivement.) Ah! non! non!... ne rasez pas!... (A part.) Bigre! mes meubles!... BRICOLI. J'y cours!...

EVA (au prince). Eh bien, monseigneur?

LE PRINCE. Il va bien! (Roulement de tambours dehors.) RABAGAS (avec joie). Ah!... Première sommation! Ecoutons!...

GABRIELLE. Ah! cela me fait peur! (Rabagas rouvre à demi te volet et regarde avec précaution.

Silence.) LE PRINCE (regardant de loin). Des torches!

FLAVARENS. Oui, monseigneur!... C'est une civière qu'ils portent, avec un mort dessus! (Mouvement.)

LE PRINCE. Un mort!.

RABAGAS (toujours derrière son volet entre-bâille). Allons donc!... un ivrogne!

LE PRINCE. Vous êtes sûr!

RABAGAS. Ignoble parodie, vous dis-je!... il n'est qu'ivre!
LE PRINCE. Mais quoi! quel rapport?

RABAGAS. Ah! troisième sommation!

LE PRINCE. Écoutons. (Ils remontent vers la fenêtre.) RABAGAS (ouvrant la fenêtre toute grande). Les grilles s'ouvrent ...

LE PRINCE. Et voici la cavalerie qui charge.

RABAGAS (les suivant du geste). C'est ça! hardi! balayez! balayez! LE PRINCE. Il n'y a déjà plus personne!

RABAGAS (radieux). Quand je vous le dis, monseigneur, il n'y a rien de lâche comme ces faiseurs d'émeutes.

LE PRINCE (le regardant). Je le vois bien!

RABAGAS (applaudissant à la fenêtre). Bravo! bravo! les gendarmes. (Bruit de vitres cassées.)

FLAVARENS (vivement). Gare aux pierres!

RABAGAS (en se garant, pirouettant et tombant dans les bras de Flavarens qui le soutient, furieux). Ah!... l'oreille!... canailles!... canailles de démagogues. (Il tire son mouchoir et court s'éponger l'oreille à l'extrême gauche, avec un verre d'eau sucrée, en s'asseyant sur le canapé.)

gauche,

LE PRINCE (sans le regarder). Bah! ce n'est rien!

Eva (au prince). Avouez maintenant qu'il n'y avait que lui pour cette besogne-là!

LE PRINCE (lui offrant le bras). Missess, vous êtes un grand

diplomate... Allons souper, mesdames! (Il remonte, tout le monde le suit.)

RABAGAS (se retourne vers la scène vide, regarde avec stupeur le prince qui s'en va, ainsi que tout le monde, sans s'occuper de lui, et se levant s'écrie avec conviction: Déjà ingrat!...

A la suite d'intrigues trop longues à expliquer, tout rentre à Monaco dans l'ordre accoutume; son Excellence Rabagas se voit forcée de donner sa démission et s'expatrie pour aller vivre „dans le seul pays qui apprécie les gens de sa trempe, en France." Nous ne reproduisons du cinquième acte que le récit de son aventure à la mairie de Menton, récit qui est une amusante parodie des scènes qui, dans le cours de l'année 1870, se sont passées à l'Hôtel de Ville de Paris. Menacé de perdre sa place de gouverneur, Rabagas a préparé un guet-apens nocturne qui ne tendait à rien moins qu'à s'emparer de la personne du prince. Mais, par le plus grand des hasards, celui-ci a quitté le palais par une autre issue que celle à laquelle il était attendu par les conjurés, et c'est Rabagas lui-même qui, en croyant le suivre, a été empoigné dans l'obscurité, ficelé et amené & Menton, où les conjurés se sont emparés de la mairie.

ACTE V, SCÈNE IV.

RABAGAS....Nous arrivons!... Tout s'arrête!... C'est la mairie de Menton!... On se jette sur moi, on m'enlève, on me déballe! Stupeur et déception. »Rabagas!<< Je veux m'expliquer. Fureur! On me reficelle et l'on me jette sous une table!... Le nouveau gouvernement installé par Camerlin, dans une chambre verte, veut justifier l'erreur et me délivrer! »Trahison!< Un autre gouvernement s'improvise, Vuillard en tête, coffre le premier dans sa chambre verte, s'installe dans une chambre jaune, décrète, légifère, vocifère... tandis que Pétrowlski se promène en bottes neuves sur ma table, qui grince et gémit!... mais pas tant que moi!... A deux heures moins le quart, grande poussée! un troisième gouvernement, fondé par Chaffiou, entre par la fenêtre, s'installe dans une chambre rouge, et met sous clef le gouvernement jaune qui tient toujours captif le gouvernement vert! Mais à deux heures le gouvernement vert s'évade par la cheminée, rentre par la cave, et supprime le gouvernement rouge qui redescend par la fenêtre, en cédant sa place au gouvernement jaune épouvanté, qui se réfugie sur les toits!!!... Vuillard arrête Camerlin, qui arrête Pétrowlski, qui arrête Chaffiou... qui les arrête tous!!!... Trompettes! Les gendarmes!... Sauve qui peut!... La table s'écroule! Je fuis et j'arrive!!!... évadé de trois révolutions légitimes, en faveur de trois gouvernements de leur choix!... qui ont duré chacun un quart d'heure.

BARRIÈRE.

NOTICE BIOGRAPHIQUE ET LITTÉRAIRE.'

THEODORE BARRIÈRE naquit à Paris en 1823. Il a donné au théâtre, soit seul, soit en collaboration, un grand nombre de drames, de comédies et de vaudevilles, dont plusieurs ont obtenu un grand succès. Les principaux sont: La Vie de Bohême (1848), les Filles de Marbre (1853), les Faux Bonhommes (1856), la meilleure de ses comédies, les Jocrisses de l'Amour (1865), Adieu, Paniers, Vendanges sont faites et Malheur aux Vaincus! (1865). Ce dernier drame, écrit d'un style nerveux, fut interdit par la censure impériale, à la grande indignation de l'auteur et du public, qui s'étonnèrent, non sans raison, de voir défendre par les ministres de Napoléon III une pièce qui flétrissait d'une manière aussi spirituelle que mordante les hommes d'État qui trahirent Napoléon Ier en 1815. On remarque dans ces pièces, surtout les dernières, une rare entente de la scène unie à un dialogue vif et spirituel. Th. Barrière est mort en 1877.

COPPÉE.

NOTICE BIOGRAPHIQUE ET LITTÉRAIRE.1

M. FRANÇOIS COPPÉE est né à Paris en 1842. Il fit ses études au lycée St-Louis et entra, comme surnuméraire, au ministère de la guerre. Il se fit, très jeune, une réputation de poète par la publication de quelques pièces où, à travers d'heureuses imitations du romantisme, on sentait se dégager l'originalité. Ses premiers recueils de poésies publiés sous son nom, le Reliquaire (1866) Intimités et Poèmes modernes (1868) contiennent quelques beaux morceaux, tels que l'Attente et la Bénédiction. Une autre pièce, inédite alors, la Grève des Forgerons, saisissante peinture d'un épisode de la question sociale, eut de grands succès de lecture publique.

En 1869 M. Coppée commença à travailler pour le théâtre. Depuis ce temps il a donné, soit à l'Odéon, soit au Gymnase ou au Théâtre-Français, un grand nombre de pièces qui, pour la plupart, furent assez froidement accueillies par le public. Il faut en excepter pourtant quelques pièces qui eurent un succès décisif et mérité. Ce sont notamment le Passant (1869), fantaisie poétique, Fais ce que dois (1871), épisode dramatique dont les intentions patriotiques, traduites en beaux vers, furent très applaudies dans toute la France, et le Luthier de Crémone (1877), drame en vers, qui est sans contredit son chef-d'œuvre.

1 En partie d'après Vapereau, Dictionnaire des Contemporains.

Outre ses premiers recueils de poésie, qui furent couronnés à diverses reprises par l'Académie française, M. Coppée a publié un grand nombre de poèmes dont nous ne citons ici que le Cahier Rouge (1874), l'Exilée (1876), le Naufragé (1878). En outre, on a de lui plusieurs volumes de contes en prose et de romans, dont nous mentionnons Une Idylle pendant le Siège (1875) et Toute une Jeunesse (1890), roman en partie autobiographique.

M. Coppée a été élu membre de l'Académie française en 1884.

L'ÉPAVE.

Devant la mer, assis au seuil de leur maison,
La veuve du marin et son jeune garçon

Sont en grand deuil. Hélas! l'équinoxe d'automne
A fait d'affreux malheurs sur la côte bretonne;
Et c'est pourquoi, rêveurs devant le ciel du soir,
Cette femme et son fils sont habillés de noir.
Ah! dans ce lac paisible où, sous la brise fraîche,
Viennent de s'éloigner les fins bateaux de pêche,
Dont les voiles, là-bas, blanchissent dans le ciel,
Nul ne reconnaîtrait cet Océan cruel

Qui, l'an dernier, pendant la grande marée haute,
En un jour, a broyé vingt barques sur la côte,
Et, parmi tant de deuils dont le pays est plein,
A navré cette femme et fait cet orphelin.
Le ciel peut être pur, la mer peut être belle,
La veuve du marin est sombre et se rappelle
L'effroyable tempête où son homme a péri.
>C'est aussi de sa faute, à mon pauvre mari!
Dit-elle en soupirant à son fils qui l'écoute.
Il faut porter secours aux malheureux, sans doute,
Et nul ne l'a plus fait que mon brave Mathieu.
Mais affronter ainsi la mort, c'est tenter Dieu!...
On n'avait jamais vu de pareille marée.

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Ton père était chez nous; sa barque était rentrée;
Il disait, en mangeant sa soupe: »Il faut qu'on soit
Maudit pour être en mer par ce vent de noroit!1
Après diner, Mathieu prend sa pipe et l'allume
Et va fumer dehors, comme il avait coutume.
Là, malgré le gros temps, ils étaient quelques-uns
Qui regardaient sauter et mousser les embruns,
Quand, tout à coup, voilà que mon homme remarque,
Du côté des rochers Saint-Pierre, un trois mâts barque3...
Doux Jésus! Ce ne fut pas long. En un clin d'œil,
Le malheureux navire échoua sur l'écueil.

>>Un canot!<< dit Mathieu... J'étais épouvantée;

1 Nordwestwind.

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2 Terme de marine désignant la pluie fine qui résulte du choe des • Einen als Bart getakelten Dreimaster.

vagues.

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