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VICTOR HUGO.

NOTICE BIOGRAPHIQUE ET LITTÉRAIRE,1

MARIE-VICTOR HUGO naquit en 1802 à Besançon, ancienne capitale de la Franche-Comté, d'une famille anoblie au 16° siècle. Son père, né en Lorraine, rallié au nouvel ordre de choses, devint général sous l'Empire. Sa mère, Vendéenne de naissance et de sentiments, avait partagé, enfant, les dangers des insurgés royalistes. On retrouve dans les vers du poète des souvenirs de cette double origine et toutes les premières impressions de son enfance aventureuse et poétique. Tout enfant, il suivit son père à l'île d'Elbe, en Corse et à Genève, passa à Paris, les années 1805 et 1806, puis fut mené en Italie, où son père, gouverneur d'une province de la Calabre, poursuivit à outrance le célèbre bandit Fra Diavolo. Après avoir vu Florence, Rome et Naples, il rentra à Paris, en 1809. Ily passa deux ans dans un couvent, où il commença ses études sous la direction d'un proscrit qui, trahi et emprisonné, fut mis à mort par le gouvernement impérial. Cet événement contribua, avec l'éducation maternelle, à développer dans l'esprit de l'enfant cette ferveur royaliste qui inspira les œuvres de sa jeunesse.

En 1811, le jeune Victor Hugo fut appelé en Espagne par son père; mais, après y avoir passé un an au séminaire des nobles, il revint pendant trois ans continuer ses études à Paris. En 1815, une séparation juridique, amenée surtout par la différence des opinions politiques, ayant eu lieu entre son père et sa mère, leur fils fut placé dans une institution préparatoire à l'École polytechnique.

Il y étudia les mathématiques, tout en faisant des vers. De 1819 à 1822, il présenta trois belles pièces de vers à l'Académie des Jeux floraux de Toulouse: les Vierges de Verdun, le Rétablissement de la statue de Henri IV, et Moïse sur le Nil; il obtint trois fois le prix.

L'apparition des Méditations de Lamartine3 excita encore le talent du jeune poète, et, en 1822, parut le premier volume des Odes et Ballades, qui frappèrent également par la richesse des vers et par l'enthousiasme religieux et royaliste dont elles étaient empreintes. Elles valurent à l'auteur l'amitié de toutes les célébrités de la Restauration, de Chateaubriand, entre autres. Elles firent de lui le favori du gouvernement, qui lui accorda une pension, et entourèrent son nom, dès ce premier début, d'une auréole de gloire. Et cependant le principal sentiment qui plut dans ces poésies, l'enthousiasme royaliste, n'était pas bien profond dans le cœur du poète. Aussi cette exaltation plus factice que réelle ne put-elle se soutenir longtemps. Après deux romans du genre le plus excentrique, Han d'Islande (1823) et Bug-Jargal (1825), Victor Hugo publia en 1826 un nouveau volume intitulé Odes et Ballades, où l'on sentait déjà que son enthousiasme monarchique s'était considérablement refroidi.

1 En partie d'après Vapereau, Dictionnaire des Contemporains. 2 Les Jeux floraux, institution littéraire établie à Toulouse dans le but d'encourager la poésie, furent fondés en 1323 par des poètes réunis pour former le Collège de la gaie science. Vers 1500 cette institution fut renouvelée par Clémence Isaure et fut, en 1695, érigée en académie.

8 V.

page 493.

Le tour original et singulier de son esprit commença à s'accuser davantage et à le pousser à des hardiesses de pensée et de langage toujours nouvelles. Bientôt Victor Hugo devint décidément hérésiarque en littérature. Il se forma autour de lui, sous le nom de Cénacle, un cercle de jeunes révolutionnaires littéraires, parmi lesquels on remarquait Sainte-Beuve,1. Émile et Antony Deschamps, Alfred de Musset, Théophile Gautier, qui poussèrent leur chef au combat et rédigèrent leurs manifestes dans la Muse française.

3

Depuis longtemps la voie était préparée aux novateurs. Mme de Staël, en faisant connaître à la France la littérature allemande, avait commencé la réaction contre l'école classique; Chateaubriand s'était frayé une route tout à fait en dehors de ce qui, jusque-là, faisait loi dans la littérature française; Lamartine avait continué l'œuvre; Victor Hugo l'acheva et devint le chef déclaré et reconnu du romantisme français. La nouvelle école, tout en s'autorisant des exemples des grands génies de la littérature anglaise et allemande, prétendait pourtant puiser ses modèles de préférence parmi les vieux auteurs de la littérature française, dans les romans des trouvères, dans les romances du moyen âge. De là le nom d'École romantique. A l'imitation traditionnelle de l'antiquité, l'École romantique opposait partout le moyen âge, c'est-à-dire cette époque de l'histoire qui naît du choc des peuples nouveaux, devenus chrétiens, contre l'ancien monde romain.

Ce fut en 1827 que Victor Hugo rompit décidément avec la tradition des classiques du 17° siècle. Il le fit en publiant le drame de Cromwell, précédé d'une longue préface où étaient développées les théories nouvelles. Il ne se borna pas à faire la guerre à la théorie des unités, vénérées en France comme règles d'Aristote, règles saines, axiomes du bon goût, à combattre cette beauté factice produite par la minutieuse observation des conventions littéraires; la haine d'une beauté convenue finit par le conduire, lui et ses partisans, à la négation du beau. On proclama comme principe de la nouvelle école la combinaison du sublime et du grotesque, et l'on arriva à la réhabilitation dans l'ordre physique et moral, du laid et du monstrueux.

Le drame de Cromwell, regardé comme le manifeste de l'Ecole, fut exalté avec fanatisme par ses acolytes et combattu à outrance par ses adversaires. Cependant c'était une œuvre impossible sur la scène, et elle ne fut pas représentée. Aussi les partisans des idées nouvelles déclarèrent-ils que le grand, le véritable drame du romantisme devait encore être attendu, mais que leur chef et maître ne tarderait pas à le produire.

En attendant, on dut se contenter d'un nouveau recueil d'odes et de ballades, publié par Victor Hugo en 1828 sous le nom d'Orientales. Ce livre était à la fois le plus merveilleux pour la recherche du coloris et des images, et le moins remarquable pour la pensée.

1 Voyez l'article Sainte-Beuve, page 612, de ce Manuel.

2 Emile Deschamps, né en 1791, mort en 1870, auteur des Études françaises et étrangères (1829), qui renferment une série d'imitations de poésies allemandes; Antony Deschamps, son frère, né en 1800, mort en 1869, auteur d'une traduction en vers de la Divine Comédie du Dante.

A. de Musset, v. p. 634. • Théophile Gautier, v. p. 665. Voyez page 438. • Voyez page 446. 7 Voyez l'Introduction, 8 Voyez la notice sur les unités, p. 166.

p. XXI.

Cependant les admirateurs du poète lui demandaient une œuvre dramatique qui pût dignement inaugurer au théâtre la nouvelle école. Alors il donna Marion Delorme (1829), dont la censure ne permit pas la représentation, puis, dans la même année, Hernani, ou l'Honneur castillan. La réception de cette pièce au Théâtre-Français n'eut lieu qu'après bien des difficultés. L'Académie française, prenant au sérieux son rôle de gardienne de la littérature classique, se donna le ridicule de pousser ses doléances jusqu'au trône pour en empêcher la représentation. Mais le roi Charles X eut le bon sens de répondre que, dans cette question, il ne se connaissait d'autre droit que sa place au théâtre. Hernani fut donc enfin joué au Théâtre-Français au mois de février 1830. Il y eut, au parterre, entre les fanatiques des deux partis, des luttes de pugilat, luttes qu'on vit dès lors se renouveler à la première représentation de la plupart des drames de Victor Hugo. Cette fois, les romantiques eurent le dessus. Du reste le succès de Hernani, remporté d'abord par la force brutale, se soutint dans les soirées plus calmes; le drame eut plus de cinquante représentations dans une année. Sur ces entrefaites, le gouvernement des Bourbons ayant été renversé dans les journées de Juillet, Marion Delorme put aussi être jouée et alla jusqu'à soixante représentations dans la première année, tant le public français était fatigué de la monotonie classique, tant la nouvelle génération était attirée par les hardiesses et même par les excentricités de la jeune école.

La révolution de 1830 avait achevé la transformation des opinions politiques de Victor Hugo, qui prit décidément place dans les rangs des libéraux. Les événements éveillèrent aussi, quoique un peu tard, son enthousiasme pour la grande idole de la nation, l'empereur Napoléon Ier. Sa fameuse ode sur la naissance du roi de Rome, qui commence par l'exclamation Mil huit cent onze! et celle sur la Colonne eurent en France un immense retentissement.

En 1831, Victor Hugo publia le roman historique de Notre-Dame de Paris qui, de toutes ses productions, eut le plus grand et le plus durable succès. L'originalité des caractères, l'intérêt dramatique de l'ensemble, un admirable talent descriptif soutenu par de fortes études d'archéologie font de Notre-Dame de Paris un des chefsd'œuvre de Victor Hugo. Quelques-uns des personnages de ce roman, tels que le sonneur Quasimodo et surtout la charmante création d'Esmeralda, dont les arts s'emparèrent bientôt, sont devenus des figures populaires dans tous les pays. En même temps Victor Hugo donna les Feuilles d'automne, le plus beau peut-être de ses recueils de poésie lyrique. Dans le drame, au contraire, il s'engagea toujours davantage dans la voie du laid et du monstrueux, qu'il s'était tracée lui-même. Le Roi s'amuse, représenté en novembre 1832, interdit par ordre ministériel le lendemain de la première représentation, fut suivi de Lucrèce Borgia (1833), étrange héroïne de théâtre, dont on voudrait cacher les infamies au lieu de les produire sur la scène, de Marie Tudor (1833), d'Angelo (1835), de Ruy-Blas (1838), toutes pièces excentriques, mais qui, à cet égard, furent surpassées par la dernière œuvre dramatique du poète, les Burgraves (1842). Heureusement Victor Hugo, dans le même temps où il donnait ces drames au théâtre, continuait à faire de la poésie lyrique, à coup

sûr son plus beau, son plus incontestable titre à l'immortalité. Les Chants du Crépuscule (1835), les Voix intérieures (1837), les Rayons et les Ombres (1840) appartiennent à ces mêmes années de fécondité.

La popularité du poète fit enfin tomber devant lui, après bien des luttes, les portes de l'Académie française, où il fit son entrée en 1841, en prononçant un discours moins littéraire que politique. Dans les années suivantes il fit plusieurs voyages de touriste, entre autres sur le Rhin et en Espagne, d'où il fut subitement rappelé en 1843 par la mort tragique de sa fille Léopoldine et de son gendre.1 Cet événement, qui eut, dans toute la France, un retentissement douloureux, est le thème d'un grand nombre des poésies dont se composent les Contemplations. En 1845, le poète fut élevé à la pairie. Son ambition était ainsi satisfaite: la carrière politique lui était ouverte.

Après la révolution de Février, en 1848, il se porta candidat pour la Constituante, fut élu par la ville de Paris, y siégea au milieu du parti de l'ordre et vota toutes les lois portées pour sauver la société de l'anarchie qui la menaçait. Mais son attitude fut tout autre à l'Assemblée législative, où il se rallia au parti de la république démocratique et sociale, dont il devint un des chefs et surtout un des orateurs, en même temps qu'il combattait pour cette cause comme journaliste: Après le coup d'Etat du 2 décembre, Victor Hugo fut porté sur la première liste de proscription qui expulsait du territoire français les plus ardents ennemis du nouveau pouvoir. Dans les premiers jours de son exil, il signa avec plusieurs de ses compagnons de malheur un appel aux armes d'une extrême véhémence, dont sa brochure Napoléon le Petit (1852) n'était que le complément. Le ton violent de ce pamphlet, ainsi que celui des Châtiments, poèmes politiques qui ne purent être imprimés qu'à l'étranger, a pour excuse l'amertume de l'exil. En 1856, Victor Hugo publia les Contemplations, belle œuvre de poésie qui ramena autour de son nom beaucoup de sympathie et d'admiration et qui, sous le rapport du langage, marque un véritable progrès. L'antithèse, dont il abusait autrefois, y paraît moins souvent, et il y règne une simplicité, un calme et une sensibilité qui touchent profondément. En 1859 parut la Légende des Siècles. Jamais l'auteur n'avait eu plus d'éclat, plus de verve, mais aussi moins de mesure que dans ce vaste recueil de poèmes.

En 1862 Victor Hugo, qui était allé s'établir à Jersey, puis à Guernesey (tles normandes qui appartiennent à l'Angleterre), publia un grand roman social, les Misérables, traduit d'avance en neuf langues, puis les Chants des Rues et des Bois (1865), recueil de poésies.

En 1866 parurent les Travailleurs de la Mer, sorte de roman-. épopée où un récit des plus simples est submergé sous le pittoresque des peintures réelles ou fantastiques, en 1869 un autre roman, l'Homme qui rit. Après la chute de l'empire et la proclamation de la république en septembre 1870, Victor Hugo revint à Paris et fut, l'année suivante, élu membre de l'Assemblée nationale qui se réunit à Bordeaux; mais, interrompu avec violence dans un de ses discours, il donna brusquement sa démission. En 1872 il publia l'Année terrible,

1 La jeune femme se noya dans une promenade en bateau faite sur la Seine: son mari s'étant jeté à l'eau pour la sauver, périt avec elle.

recueil de poésies qui est un éloquent résumé des récents désastres de la France, et en 1874 un nouveau roman historique intitulé Quatrevingt-treize. Pour servir la cause républicaine, menacée par la possibilité d'un nouveau coup d'État, il fit paraître en 1877 l'Histoire d'un Crime, récit des événements de décembre 1851, qui fit une grande sensation. Depuis Victor Hugo a publié, outre une nouvelle série de la Légende des Siècles et des Contemplations, l'Art d'être Grand-Père (1877), la Pitié suprême (1879), Religions et Religion (1880), et les Quatre Vents de l'Esprit(1882). Élu sénateur par la ville de Paris dès 1876, il fut réélu, le premier sur cinq, en 1882. Victor Hugo est mort à Paris au mois de mai 1885, âgé de 83 ans. Ses obsèques, organisées aux frais de l'Etat, donnèrent lieu à une imposante manifestation nationale où concoururent des délégations de la France entière.1

1.

I. ODES ET BALLADES.

(1820-1826.)

NAISSANCE DU DUC DE BORDEAUX.3
(1820.)

O toi, de ma pitié profonde

Reçois l'hommage solennel,

Humble objet des regards du monde,

Privé du regard paternel!

Puisses-tu, né dans la souffrance,

Et de ta mère et de la France
Consoler la longue douleur!
Que le bras divin t'environne,
Et puisse, Bourbon, la couronne
Pour toi ne pas être un malheur!
Oui, souris, orphelin, aux larmes de ta mère!
Ecarte, en te jouant, ce crêpe funéraire

Qui voile ton berceau des douleurs du cercueil;
Chasse le noir passé qui nous attriste encore;
Sois à nos yeux comme une aurore!
Rends le jour et la joie à notre ciel en deuil!
Ivre d'espoir, ton roi lui-même,
Consacrant le jour où tu nais,
T'impose, avant le saint baptême,
Le baptême du Béarnais.
La veuve t'offre à l'orpheline!4
Vers toi, conduit par l'héroïne,

1 Nous avons revu le texte des fragments que nous reproduisons sur l'édition définitive des ŒŒuvres de Victor Hugo, publiée par MM. Hetzel et Quantin, commencée le 26 février 1881, jour où le poète entrait dans sa 80ième année et achevée peu de temps avant sa mort.

2 Le duc de Bordeaux (comte de Chambord), petit-fils de Charles X, et fils du duc de Berry naquit à Paris, en 1820, et mourut à Goertz en 1884. V. p. 468, note 1.

La duchesse de Berry, dont le mari, le duc de Berry, second fils du comte d'Artois (Charles X), fut assassiné au sortir de l'Opéra (1820).

La duchesse d'Angoulême, fille de Louis XVI, qui avait épousé son cousin, le fils aîné du comte d'Artois. Elle avait partagé au Temple avec son frère, le malheureux Dauphin (Louis XVII), la captivité de ses parents. C'est de là que lui vient le surnom d'Orpheline du Temple.

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