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Compose-la.

LOUIS. Oui; moi, son hôte et seigneur,

Comme tu dis, Tristan, je veux lui faire honneur.
TRISTAN. Qui doit la commander?

TRISTAN. Ah! moi.

LOUIS.

LOUIS. Toi, jusqu'à la frontière.

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(Louis retire son chapeau pour faire une prière, et Tristan l'imite.) LOUIS. (se rapprochant de Tristan après avoir prié.) Et qui sait? sur la route

Il est fier.

TRISTAN. Arrogant.

LOUIS. Dans un bois écarté,

Par les siens ou par lui tu peux être insulté?

TRISTAN. Je le suis.

LOUIS.

Tu reprends le traité.

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Défends-toi.
TRISTAN. Comptez sur moi.

TRISTAN. C'est fait.

LOUIS. Bien!

Louis. Tu ne me comprends pas.

LOUIS. J'y compte.

TRISTAN. Mais le comte

TRISTAN. Il faut donc

LOUIS. Tu souris;

Adieu, compère, adieu, tu comprends.

TRISTAN. J'ai compris.

Au troisième acte, le roi, qui a feint d'offrir au duc de Bourgogne toutes sortes de réparations des griefs dont ce dernier se plaint, est sur le point de jurer, en présence de François de Paule et de toute sa cour, un nouveau traité avec Charles-le-Téméraire. Au moment même où Louis XI va prononcer le serment, le Dauphin entre brusquement, apportant la nouvelle que le duc Charles vient d'être vaincu et tué par les Suisses à la bataille de Nancy. Cet événement eut lieu, en réalité, en 1477, six ans avant la mort de Louis XI, qui ne mourut qu'en 1483. Casimir Delavigne, en plaçant ces deux événements dans la même année, use de la liberté qu'il faut accorder aux poètes dans un sujet historique.

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NEMOURS.

LE DAUPHIN. Vaincu devant Nancy.

Charle!
LOUIS.

En êtes-vous sûr?

LE DAUPHIN.

Les seigneurs de Torcy,

De Dunois et de Lude en ont eu la nouvelle.
Un de ses lieutenants a trahi sa querelle,

Il a causé sa perte.

LOUIS. Ah! le lâche!

NEMOURS. Faux bruit,

Qu'un triomphe éclatant aura bientôt détruit!
Le duc Charle..

La voici.

LE DAUPHIN. Il est mort.

LOUIS. La preuve?

LE DAUPHIN (lui remettant des dépêches). Lisez, sire:

NEMOURS. Vaincu, mort! non: quoi qu'on puisse écrire, Moi, comte de Réthel, au péril de mes jours,

Je maintiens que c'est faux!

LOUIS. C'est vrai, duc de Nemours.

Ainsi, cette nouvelle inattendue fait jeter le masque au monarque, qui refuse de prêter le serment. Après avoir hautement appelé le comte de Réthel par son véritable titre de duc de Nemours, il le fait arrêter, puis, se tournant vers ses chevaliers, il leur dit, transporté de joie, mais à voix basse: Montjoie et Saint-Denis!1 Dunois, à nous les chances! Sur Péronne, au galop, cours avec six cents lances.2 En Bourgogne, Torcy! Que le pays d'Artois,

Par ton fait, Baudricourt, soit France avant un mois!
A cheval, Dammartin! main basse sur la Flandre!
Guerre au brave; un pont d'or à qui voudra se vendre.
(au cardinal d'Alby.)

Dans la nuit, cardinal, deux messages d'État:

Avec six mille écus une lettre au légat;

Une autre, avec vingt mille, au pontife en personne.
(aux chevaliers.)

Vous, prenez l'héritage avant qu'il me le donne:
En consacrant mes droits, il fera son devoir;
Mais prenons: ce qu'on tient, on est sûr de l'avoir.
La dépouille à nous tous, chevaliers; en campagne!
Et, par la Pâque-Dieu,3 des fiefs pour qui les gagne!
(haut et se tournant vers l'assemblée.)

En brave qu'il était, le noble duc est mort,

Messieurs: ce fut hasard quand on nous vit d'accord.
Il m'a voulu du mal, et m'a fait à Péronne

Passer trois de ces nuits qu'avec peine on pardonne;
Mais tout ressentiment s'éteint sur un cercueil:

Il était mon cousin: la cour prendra le deuil.

1 Montjoie et Saint-Denis! pour Montjoie de St-Denis! était l'ancien cri de guerre des Français. C'est par erreur qu'on y a substitué la conjonction et à la préposition de; car Mont-joie (? montem gaudii) était le nom de la colline près de Paris, sur laquelle saint Denis souffrit le martyre. 2 Une lance ou lance fournie signifiait un homme d'armes, un chevalier avec son accompagnement de plusieurs soldats, de valets et de chevaux. Juron de prédilection du roi Louis XI.

AUGUSTIN THIERRY.

NOTICE BIOGRAPHIQUE ET LITTÉRAIRE.1

JACQUES-NICOLAS-AUGUSTIN THIERRY naquit à Blois en 1795. Il fit ses études classiques au collège communal de sa ville natale, entra, en 1811, à l'École normale,2 occupa quelque temps une chaire en province, quitta bientôt l'Université3 et se fit écrivain politique. Il fut pendant trois ans secrétaire du fameux utopiste SaintSimon, et publia avec lui quelques brochures; mais des divergences d'opinion le séparèrent bientôt de ce prétendu réformateur de la société. Augustin Thierry devint alors journaliste et fut attaché successivement à la rédaction du Censeur européen et du Courrier français. Une polémique libérale soutenue contre les vieilles prétentions de la noblesse le conduisit à faire de plus sérieuses études historiques et à faire des recherches sur les origines de la France. Bientôt il se passionna tellement pour ce genre d'études qu'il abandonna la rédaction du Courrier français, où il avait publié les dix premières Lettres sur l'histoire de France.

En 1825, Augustin Thierry donna son Histoire de la conquête de l'Angleterre par les Normands, qui le plaça de prime abord au premier rang des historiens français de son temps. Deux ans après parut l'édition complète des Lettres sur l'histoire de France, ou Introduction à l'étude de cette histoire.

Ces remarquables travaux eurent un succès immense; mais ils coûtèrent la vue à l'auteur, qui ne put continuer ses études qu'avec l'aide de jeunes secrétaires. Après une interruption de deux ans, à laquelle le forcèrent les suites d'une maladie nerveuse, Augustin Thierry s'occupa de la révision définitive de son Histoire de la conquête de l'Angleterre, réunit tous les travaux historiques de sa jeunesse sous le titre de: Dix ans d'études historiques, publia, en 1840, les Récits des temps mérovingiens, et, en 1853, son dernier ouvrage: Essai sur l'histoire de la formation et des progrès du tiers état. A partir de 1835, il travailla, avec plusieurs collaborateurs, au Recueil des monuments inédits de l'histoire du tiers état, qui fait partie de la grande collection des Documents inédits sur l'histoire de France. Il mourut à Paris en 1856.

Les recherches persévérantes d'Augustin Thierry ont jeté un grand jour sur différentes parties de l'histoire de France, très mal connue avant lui; ses travaux ont encore le mérite d'avoir fait cesser en

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1 D'après Vapereau, Dictionnaire des Contemporains. V. p. 500, n. 1. Longtemps il n'y a pas eu d'universités en France dans le sens qu'on donne à ce mot dans les autres pays; la France n'avait que des facultés séparées. Depuis quelques années on commence à y fonder des universités catholiques, des universités libres qui comprennent plusieurs facultés, mais il est question de leur interdire ce nom. Par université on entend aussi en France le corps enseignant établi par l'autorité publique et sous la surveillance de l'État.

Le comte de Saint-Simon (1760-1825), économiste et chef de la secte dite des Saint-Simoniens, du nom de son fondateur, voulait reconstituer la société sur une base nouvelle, en abolissant la propriété et en créant un culte nouveau.

LETTRES SUR L'HISTOIRE DE FRANCE.

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CALIFORNIA 529

France des erreurs et des préjugés, qui faisaient honte à l'enseignement. C'est lui qui a appris à ses compatriotes à distinguer les Francs et les Français. Avant Augustin Thierry, les professeurs d'histoire parlaient de la conquête des Gaules par les Français sous Clovis, et regardaient Charlemagne comme un roi français qui avait quelques possessions en Allemagne. La distinction des races victorieuses et des races vaincues, qui domine presque toute l'histoire du moyen âge, a été sa constante préoccupation; il l'a établie définitivement, il l'a même exagérée; peut-être l'a-t-il étendue à des temps où elle avait déjà disparu.

Augustin Thierry occupe le premier rang parmi les historiens de l'école dite narrative. Son imagination poétique, son style pittoresque et saisissant prêtent un charme singulier aux récits du vieux temps.

I. LETTRES SUR L'HISTOIRE DE FRANCE.

LETTRE II.

Sur la fausse couleur donnée aux premiers temps de l'histoire de France.

Une grande cause d'erreur, pour les écrivains et pour les lecteurs de notre histoire, est son titre même, le nom d'histoire de France, dont il conviendrait avant tout de bien se rendre compte. L'histoire de France du cinquième siècle au dix-huitième est-elle l'histoire d'un même peuple, ayant une origine commune, les mêmes mœurs, le même langage, les mêmes intérêts civils et politiques? Il n'en est rien; et la simple dénomination de Français reportée, je ne dis pas au-delà du Rhin, mais seulement au temps de la première race, produit un véritable anachronisme.

On peut pardonner au célèbre bénédictin Dom Bouquet d'écrire par négligence, dans ses Tables chronologiques, des phrases telles que celle-ci:,,Les Français pillent les Gaules; ils sont repoussés par l'empereur Julien." Son livre ne s'adresse qu'à des savants, et le texte latin, placé en regard, corrige à l'instant l'erreur. Mais cette erreur est d'une bien autre conséquence dans un ouvrage écrit pour le public et destiné à ceux qui veulent apprendre les premiers éléments de l'histoire nationale. Quel moyen un pauvre étudiant a-t-il de ne pas se créer les idées les plus fausses, quand il lit: „Clodion-leChevelu, roi de France; conversion de Clovis et des Français, etc." Le Germain Chlodio n'a pas régné sur un seul département de la France actuelle, et, au temps de Chlodowig, que nous appelons Clovis, tous les habitants de notre territoire, moins quelques milliers de nouveaux venus, étaient chrétiens et bons chrétiens.

Si notre histoire se termine par l'unité la plus complète de nation et de gouvernement, elle est loin de commencer de même. Il ne s'agit pas de réduire nos ancêtres à une seule race, ni même à deux, les Francs et les Gaulois; il y a bien d'autres choses à distinguer. Le nom de Gaulois est vague; il comprenait plusieurs populations différentes d'origine et de langage; et, quant aux Francs, ils ne sont pas la seule tribu germanique qui soit venue joindre à ces éléments divers un élément étranger. Avant qu'ils eussent conquis le nord de la Gaule, les Visigoths et les Burgondes en occupaient le sud et l'est. C. Platz, Manuel de Littérature française. 12. éd.

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L'envahissement progressif des conquérants septentrionaux renversa le gouvernement romain et les autres gouvernements qui se partageaient le pays au cinquième siècle; mais il ne détruisit pas les races d'hommes, et ne les fondit pas en une seule. Cette fusion fut lente; elle fut l'œuvre de siècles: elle commença, non à l'établissement, mais à la chute de la domination franke.

Ainsi, il est absurde de donner pour base à une histoire de France la seule histoire du peuple franc. C'est mettre en oubli la mémoire du plus grand nombre de nos ancêtres, de ceux qui mériteraient peut-être à un plus juste titre notre vénération filiale. Le premier mérite d'une histoire nationale écrite pour un grand peuple serait de n'oublier personne, de ne sacrifier personne, de présenter sur chaque portion du territoire les hommes et les faits qui lui appartiennent. L'histoire de la contrée, de la province, de la ville natale, est la seule où notre âme s'attache par un intérêt patriotique: les autres peuvent nous sembler curieuses, instructives, dignes d'admiration; mais elles ne touchent point de cette manière. Or, comment veut-on qu'un Languedocien ou qu'un Provençal aime l'histoire des Francs et l'accepte comme histoire de son pays? Les Francs n'eurent d'établissements fixes qu'au nord de la Loire; et lorsqu'ils passaient leurs limites et descendaient vers le sud, ce n'était guère que pour piller et rançonner les habitants, auxquels ils donnaient le nom de Romains. Est-ce de l'histoire nationale pour un Breton que la biographie des descendants de Clovis ou de Charlemagne, lui dont les ancêtres, à l'époque de la première et de la seconde race, traitaient avec les Francs de peuple à peuple? Du sixième au dixième siècle et même dans des temps postérieurs, les héros du nord de la France furent des fléaux pour le midi.

Le Charles-Martel de nos histoires, Karle-le-Marteau, comme l'appelaient les siens, d'un surnom emprunté au culte aboli du dieu Thor, fut le dévastateur, non le sauveur de l'Aquitaine et de la Provence. La manière dont les chroniques originales détaillent et circonstancient les exploits de ce chef de la seconde race, contraste singulièrement avec l'enthousiasme patriotique de nos historiens et de nos poètes modernes. Voici quelques fragments de leur récit: (731) »Eudes, duc des Aquitains, s'étant écarté de la teneur des traités, le prince des Franks, Karle, en fut informé. Il fit marcher son armée, passa la Loire, mit en fuite le duc Eudes, et, enlevant un grand butin de ce pays, deux fois ravagé par les troupes dans la même année, il retourna dans son propre pays....(735) Le duc Eudes mourut: le prince Karle, en ayant reçu la nouvelle, prit conseil de ses chefs, et, passant encore une fois la Loire, il arriva jusqu'à la Garonne et se rendit maître de la ville de Bordeaux et du fort de Blaye: il prit et subjugua tout ce pays, tant les villes que les campagnes et les lieux fortifiés.... (736) L'habile duc Karle, ayant fait marcher son armée, la dirigea vers le pays de Bourgogne. Il réduisit sous l'empire des Franks Lyon, cité de la Gaule, les principaux habitants et les magistrats de cette province. Il y établit des juges à lui, et de même jusqu'à Marseille et Arles. Emportant de grands trésors et beaucoup de butin, il retourna dans le royaume des Franks, siège de son autorité. (737) Karle renversa de fond en comble, murs et

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