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BOURSAULT.

EDMOND BOURSAULT, né à Mussy-l'Évêque en 1638, mort en 1701, est un auteur comique de second ordre, mais remarquable dans son genre. Il eut le tort de composer une injuste critique de l'École des femmes, à laquelle Molière répondit par l'Impromptu de Versailles; mais il a laissé trois comédies qui ont ey un légitime succès: le Mercure galant, Esope à la Cour et Esope à la Ville.

Nous reproduisons une scène (IV, 7) du Mercure galant. Le titre de cette pièce est emprunté à celui d'un journal qui paraissait tous les mois. La scène se passe dans les bureaux de cette feuille. Le soldat La Rissole, venu au bureau pour demander un éloge public qu'il croit dû à ses faits d'armes, y est reçu par Merlin, domestique du rédacteur.

....

LA RISSOLE. . . . Je voudrais bien être dans le Mercure ; J'y ferais, que je crois, une bonne figure.

Tout à l'heure, en buvant, j'ai fait réflexion

Que je fis autrefois une belle action;

Si le roi la savait, j'en aurais de quoi vivre.

La guerre est un métier que je suis las de suivre.
Mon capitaine, instruit du courage que j'ai,

Ne saurait se résoudre à me donner congé.

J'en enrage.

MERLIN. Il fait bien: donnez-vous patience.

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LA RISSOLE. Mordié! Je ne saurais avoir ma subsistance.
MERLIN. Il est vrai, le pauvre homme! il fait compassion.
LA RISSOLE. Or donc, pour en venir à ma belle action,
Vous saurez que toujours je fus homme de guerre,
Et brave sur la mer autant que sur la terre.
J'étais sur un vaisseau quand Ruyter2 fut tué,
Et j'ai même à sa mort le plus contribué;
Je fus chercher le feu que l'on mit à l'amorce
Du canon qui lui fit rendre l'âme par force.

Lui mort, les Hollandais souffrirent bien des mals!

On fit couler à fond les deux vice-amirals.3

MERLIN. Il faut dire des maux, vice-amiraux. C'est l'ordre. LA RISSOLE. Les vice-amiraux donc ne pouvant plus nous mordre,

Nos coups aux ennemis furent des coups fataux;

Nous gagnames sur eux quatre combats navaux.

MERLIN. Il faut dire fatals et navals. C'est la règle.

LA RISSOLE. Les Hollandais, réduits à du biscuit de seigle, Ayant connu qu'en nombre ils étaient inégals,

Firent prendre la fuite aux vaisseaux principals.

1 En prose on dirait: à ce que je crois.

2 Ruyter, célèbre marin hollandais, mort en 1675 des blessures qu'il avait reçues à la bataille de Catane.

On appelle quelquefois amiral, vice-amiral le vaisseau monté par un amiral ou un vice-amiral.

MERLIN. Il faut dire inégaux, principaux. C'est le terme. LA RISSOLE. Enfin après cela nous fumes à Palerme. Les bourgeois à l'envi nous firent des régaux; Les huit jours qu'on y fut furent huit carnavaux. MERLIN. Il faut dire régals et carnavals.

LA RISSOLE. Oh! dame,

M'interrompre à tous coups, c'est me chiffonner l'âme,1
Franchement.

MERLIN. Parlez bien. On ne dit point navaux,

Ni fataux, ni régaux, non plus que carnavaux.
Vouloir parler ainsi, c'est faire une sottise.

LA RISSOLE. Hé, mordié! comment donc voulez-vous que je dise? Si vous me reprenez lorsque je dis des mals,

Inégals, pincipals, et des vice-amirals,

Lorsqu'un moment après, pour mieux me faire entendre,

Je dis fataux, navaux, devez-vous me reprendre?

J'enrage de bon cœur quand je trouve un trigaud,2

Qui souffle tout ensemble et le froid et le chaud.

MERLIN. J'ai la raison pour moi qui me fait vous reprendre, Et je vais clairement vous le faire comprendre:

Al est un singulier dont le pluriel fait aux.

On dit, c'est mon égal, et ce sont mes égaux.

C'est l'usage.

LA RISSOLE. L'usage? Hé bien, soit. Je l'accepte. MERLIN. Fatal, naval, régal sont des mots qu'on excepte. Pour peu qu'on ait de sens, ou d'érudition,

On sait que chaque règle a son exception.

Par conséquent on voit par cette raison seule

LA RISSOLE. J'ai des démangeaisons de te casser la gueule.3 MERLIN. Vous!

LA RISSOLE. Oui, palsandié! moi: je n'aime point du tout Qu'on me berce d'un conte à dormir tout debout:

Lorsqu'on veut me railler, je donne sur la face.

MERLIN. Et tu crois au Mercure occuper une place,

Toi? Tu n'y seras point, je t'en donne ma foi.

LA RISSOLE. Mordié! je me bats l'œil du Mercure et de toi. Pour vous faire dépit tant à toi qu'à ton maître,

Je déclare à tous deux que je n'y veux pas être.

Plus de mille soldats en auraient acheté

Pour voir en quel endroit La Rissole eût été:
C'était argent comptant; j'en avais leur parole.
Adieu, pays. C'est moi qu'on nomme La Rissole.
Ces bras te deviendront ou fatals, ou fataux.

MERLIN. Adieu, guerrier fameux par tes combats navaux.

1 Expression populaire pour contrarier.

2 Terme familier désignant un homme qui n'agit pas franchement, qui use de mauvaises finesses. (Du bas latin tricaldus, de trica farce, intrigue.) 3 Expression très populaire pour: Jai grande envie de te battre. • Expression populaire pour: Je ne m'en soucie guère.

Pays, payse, mots populaires qui désignent des gens du même pays, du même endroit.

BOILEAU.

NOTICE BIOGRAPHIQUE ET LITTÉRAIRE.1

NICOLAS BOILEAU, qui s'est appelé lui-même DESPRÉAUX, naquit à Paris en 1636. Son père, qui était greffier au parlement de Paris, l'envoya à l'Ecole de droit, et il fut reçu avocat en 1656. Ne se sentant pas de vocation pour le barreau, le jeune Boileau étudia pendant quelque temps la théologie. Mais bientôt il suivit ses goûts et se consacra tout entier à la poésie. Il débuta par ses Satires, qui obtinrent un succès prodigieux, dû à la perfection des vers et à la malignité des critiques. Le poète eut l'adresse d'y mêler des louanges en l'honneur de Louis XIV, qui aimait assez qu'on se moquât des autres, pourvu qu'on lui rendît hommage. Boileau composa sa première satire à vingt-quatre ans (1660); il en avait trente-trois lorsqu'il écrivit sa première épître (1669). A la même époque il commença l'Art poétique, qu'il n'acheva que cinq ans plus tard. Il avait trente-huit ans quand il publia les quatre premiers chants du Lutrin (1674), poème héroï-comique, dont les deux derniers chants ne parurent qu'en 1683.

Les succès de Boileau attirèrent de bonne heure sur lui les regards de Louis XIV. Il obtint une pension et fut nommé, en même temps que son ami Racine, historiographe du roi (1677); il parut quelquefois à la suite des armées pour être témoin des exploits qu'il était chargé de raconter, mais il ne semble pas qu'il s'en soit sérieusement occupé. Appelé souvent auprès du roi et de madame de Maintenon, il y réussissait moins que Racine; cependant sa franchise un peu brusque le faisait estimer.

En 1683, la volonté du roi fit enfin entrer Boileau à l'Académie française, où Racine l'attendait depuis treize ans. La mort avait emporté les principales victimes de ses satires: Chapelain,2 Scudéri,3 Cotin et d'autres n'étaient plus; mais il voyait encore parmi ses nouveaux confrères Boyer, Quinault et l'abbé Tallemant, qu'il n'avait pas épargnés: aussi témoigna-t-il quelque étonnement en entrant dans cette compagnie d'où »tant de fortes raisons semblaient devoir à jamais l'exclure.<<

Boileau survécut à ses amis Molière, La Fontaine et Racine. Sa vieillesse, soutenue par la considération dont on l'entourait, fut

1 En partie, d'après GERUZEZ, Études. 2 Chapelain; v. page 63, n. 4. Scudéri; v. page 63, n. 1. Cotin; v. page 113, Femmes savantes. Claude Boyer (1618-1698), auteur dramatique et prédicateur. 6 Quinault, poète lyrique et dramatique (1635-1688), connu et justement estimé pour ses tragédies lyriques, mises en musique par le compositeur Lulli. Tout le monde convient aujourd'hui que Quinault a été trop sévèrement jugé par Boileau; cependant il faut ajouter que la critique du poète satirique s'adresse surtout aux poèmes de la première manière de Quinault, composés alors qu'il n'avait pas encore trouvé le genre qui lui convenait.

7 L'abbé Tallemant des Réaux (1630-1693), littérateur connu surtout par une traduction de Plutarque.

attristée par de graves infirmités. Il mourut en 1711, âgé de soixantequinze ans. On l'enterra à Paris dans la Sainte-Chapelle, au-dessous de la place même occupée par le lutrin qu'il a rendu si fameux.

Boileau a rendu d'incontestables services à la langue et à la littérature française, en dégoûtant son siècle des mauvais ouvrages qui étaient en vogue, en lui apprenant à goûter Corneille, Molière et Racine, et en offrant lui-même des modèles d'une poésie pure et correcte; mais il lui manquait ce génie créateur, cette sensibilité et cette richesse d'imagination qui font le grand poète. On peut aussi lui reprocher de l'injustice envers quelques-unes des victimes de ses satires. Souvent il a attaché une importance excessive à des minuties littéraires, à des questions de forme, qui n'auront jamais qu'une valeur secondaire. Nous ferons connaître au lecteur de notre Manuel LES SATIRES, LES ÉPÎTRES, L'ART POÉTIQUE, et LE LUTRIN.

I. LES SATIRES.

(1670-1698.)

Les premières satires de Boileau sont les plus faibles; elles se ressentent de la jeunesse de l'auteur. Cependant elles ont toutes le mérite d'un langage toujours châtié et d'une versification régulière. Le triomphe des satires de Boileau fut de déconsidérer les mauvais écrivains qui passaient pour excellents. On craignait dès lors de les louer; car à l'éloge on pouvait opposer des vers au tour facile, au trait piquant, et que la mémoire gardait fidèlement pour les appliquer au besoin.

PREMIÈRE SATIRE (1660)

Dans la première satire, qui est une imitation de la troisième de Juvénal, Boileau tourne contre Paris une partie des invectives que le poète latin a lancées contre Rome; mais l'imitateur reste bien inférieur à son modèle. Voici comme le poète français traite le Paris de Louis XIV. Mais moi, vivre à Paris! Hé! qu'y voudrais-je faire? Je ne sais ni tromper, ni feindre, ni mentir; Et, quand je le pourrais, je n'y puis consentir. Je ne sais point en lâche essuyer les outrages D'un faquin orgueilleux qui vous tient à ses gages, De mes sonnets flatteurs lasser tout l'univers, Et vendre au plus offrant mon encens et mes vers; Pour un si bas emploi ma muse est trop altière, Je suis rustique et fier, et j'ai l'âme grossière. Je ne puis rien nommer, si ce n'est par son nom: J'appelle un chat un chat, et Rolet1 un fripon.

Ce dernier vers, qui est devenu proverbial, annonce déjà la franchise dont l'auteur fera profession dans ses poèmes.

DEUXIÈME SATIRE.

La deuxième satire (1664) est adressée à Molière:

Rare et fameux esprit, dont la fertile veine
Ignore en écrivant le travail et la peine:
Pour qui tient Apollon tous ses trésors ouverts,
Et qui sais à quel coin se marquent les bons vers,
Dans les combats d'esprit savant maître d'escrime,
Enseigne-moi, Molière, où tu trouves la rime.

Cette satire a pour sujet les caprices de la rime, cette esclave qui devrait toujours obéir, et qui commande trop souvent. C'est dans cette satire que

1 Procureur très décrié qui, plus tard, fut banni à perpétuité.

se trouve ce malin distique qui s'est pour toujours attaché au nom du malheureux Quinault;

Si je pense exprimer un auteur sans défaut,

La raison dit Virgile, et la rime Quinault.

La fécondité de Scudéri (v. page 1) est caractérisée par les vers suivants:

Bienheureux Scudéri, dont la fertile plume

Peut tous les mois sans peine enfanter un volume!
Tes écrits, il est vrai, sans art et languissants,
Semblent être formés en dépit du bon sens;

Mais ils trouvent pourtant, quoi qu'on en puisse dire,
Un marchand pour les vendre et des sots pour les lire.

TROISIÈME SATIRE.

Dans la troisième satire (1665) Boileau fait la description d'un repas ridicule, qui est une vraie scène de comédie, et qui abonde en traits plaisants et en détails descriptifs habilement rendus. Boileau feint d'être abordé dans la rue par un ami:

Quel sujet inconnu vous trouble et vous altère?

D'où vous vient aujourd'hui cet air sombre et sévère,

Et ce visage enfin plus pâle qu'un rentier,

A l'aspect d'un arrêt qui retranche un quartier?

Le poète raconte comment il a été forcé de dîner chez un fat dont il éludait l'invitation depuis une année. Le traître, pour l'engager à venir, lui fait espérer une lecture de Tartuffe (v. page 62 de ce Manuel).

Molière avec Tartuffe y doit jouer son rôle.

Bien entendu le poète, arrivé chez son amphitryon, ne trouve point Molière, mais une société de gens ennuyeux:

Deux nobles campagnards, grands lecteurs de romans,

Qui m'ont dit tout Cyrus1 dans leurs longs compliments.
On s'assied: mais d'abord, notre troupe serrée

Tenait à peine autour d'une table carrée,
Où chacun, malgré soi, l'un sur l'autre porté,
Faisait un tour à gauche, et mangeait de côté.
Jugez en cet état si je pouvais me plaire.
Moi qui ne compte rien ni le vin ni la chère,
Si l'on n'est plus au large assis en un festin,
Qu'aux sermons de Cassagne ou de l'abbé Cotin.

Ce dernier vers fut un signal de guerre pour Cotin (v. page 113), qui unit son ressentiment à celui du pâtissier Mignot, attaqué lui-même dans son honneur de cuisinier.

Car Mignot, c'est tout dire; et, dans le monde entier,
Jamais empoisonneur ne sut mieux son métier.

Les deux alliés eurent une idée de vengeance assez originale. Cotin fit une satire, dont tous les exemplaires, au lieu d'être vendus par un libraire, passèrent dans la boutique du pâtissier et servirent d'enveloppe aux pâtés de Mignot. Le débit des deux marchandises fût énorme, et peut-être l'abbé Cotin n'a-t-il jamais été tant goûté par ses lecteurs. Vient ensuite, dans la satire de Boileau, la plaisante description du menu, commençant ainsi:

Sur un lièvre flanqué de six poulets étiques,
S'élevaient trois lapins, animaux domestiques,
Qui dès leur tendre enfance élevés dans Paris,
Sentaient encor le chou dont ils furent nourris.

1 Le grand Cyrus, roman de Mlle de Scudéri, voyez page 64, note 3.

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