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PHILAMINTE. Faites-la sortir, quoi qu'on die.
Que1 de la fièvre on prenne ici les intérêts;
N'ayez aucun égard, moquez-vous des caquets:

Faites-la sortir, quoi qu'on die,

Quoi qu'on die, quoi qu'on die.

Ce quoi qu'on die en dit beaucoup plus qu'il ne semble.
Je ne sais pas, pour moi, si chacun me ressemble,
Mais j'entends là-dessous un million de mots.

BÉLISE. Il est vrai qu'il dit plus de choses qu'il n'est gros. PHILAMINTE. Mais quand vous avez fait ce charmant quoi qu'on die, Avez-vous compris, vous, toute son énergie?

Songiez-vous bien vous-même à tout ce qu'il nous dit?

Et pensiez-vous alors y mettre tant d'esprit?

TRISSOTIN. Hai! hai!

ARMANDE. J'ai fort aussi l'ingrate dans la tête,

Cette ingrate de fièvre, injuste, malhonnête,

Qui traite mal les gens qui la logent chez eux.

PHILAMINTE. Enfin les quatrains sont admirables tous deux. Venons-en promptement aux tercets, je vous prie.

ARMANDE. Ah! s'il vous plaît, encore une fois quoi qu'on die.
TRISSOTIN. Faites-la sortir, quoi qu'on die,

PHILAMINTE, ARMANDE ET BÉLISE. Quoi qu'on die!
TRISSOTIN. De votre riche appartement,

PHILAMINTE, ARMANDE ET BÉLISE. Riche appartement!
TRISSOTIN. Où cette ingrate insolemment,

PHILAMINTE, ARMANDE ET BÉLISE.

Cette ingrate de fièvre!

TRISSOTIN. Attaque votre belle vie. PHILAMINTE. Votre belle vie!

ARMANDE ET BÉLISE. Ah!

TRISSOTIN.

Quoi! sans respecter votre rang,
Elle se prend à votre sang.

PHILAMINTE, ARMANDE ET BÉLISE. Ah!

TRISSOTIN. Et nuit et jour vous fait outrage!
Si vous la conduisez aux bains,
Sans la marchander davantage,
Noyez-la de vos propres mains.

PHILAMINTE. On n'en peut plus!

BELISE. On pâme!

ARMANDE. On se meurt de plaisir.

PHILAMINTE. De mille doux frissons vous vous sentez saisir.
ARMANDE. Si vous la conduisez aux bains,
BELISE. Sans la marchander davantage,
PHILAMINTE. Noyez-la de vos propres mains,

De vos propres mains, là, noyez-la dans les bains.

ARMANDE. Chaque pas dans vos vers rencontre un trait charmant. BÉLISE. Partout on s'y promène avec ravissement.

PHILAMINTE. On n'y saurait marcher que sur de belles choses. ARMANDE. Ce sont petits chemins tout parsemés de roses. TRISSOTIN. Le sonnet donc vous semble

1 Que

= supposé que, wenn jemand auch Partei ergreift.

PHILAMINTE.

Et personne jamais n'a rien fait de si beau.

Admirable, nouveau;

BELISE (à Henriette). Quoi? sans émotion pendant cette lecture? Vous faites là, ma nièce, une étrange figure!

HENRIETTE. Chacun fait ici-bas la figure qu'il peut,

Ma tante; et bel esprit, il ne l'est pas qui veut.1

TRISSOTIN. Peut-être que mes vers importunent madame.
HENRIETTE. Point: je n'écoute pas.

PHILAMINTE. Ah! voyons l'épigramme.. TRISSOTIN. Sur un carrosse de couleur amarante donné à une dame de ses amies.

PHILAMINTE. Ses titres ont toujours quelque chose de rare.
ARMANDE. A cent beaux traits d'esprit leur nouveauté prépare.
TRISSOTIN. L'amour si chèrement m'a vendu son lien,
PHILAMINTE, ARMANDE ET BÉLISE. Ah!

TRISSOTIN. Qu'il m'en coûte déjà la moitié de mon bien;
Et quand tu vois ce beau carrosse,

Où tant d'or se relève en bosse,

Qu'il étonne tout le pays

Et fait pompeusement triompher ma Laïs,

PHILAMINTE. Ah! ma Laïs! Voilà de l'érudition.

BELISE.

L'enveloppe est jolie, et vaut un million.

TRISSOTIN. Et quand tu vois ce beau carrosse,
Où tant d'or se relève en bosse,

ARMANDE.

Qu'il étonne tout le pays

Et fait pompeusement triompher ma Laïs,
Ne dis plus qu'il est amarante;

Dis plutôt qu'il est de ma rente.

Oh! oh! oh! celui-là ne s'attend point du tout.

PHILAMINTE. On n'a que lui qui puisse écrire de ce goût.
BÉLISE. Ne dis plus qu'il est amarante;

Dis plutôt qu'il est de ma rente.

Voilà qui se décline, ma rente, de ma rente, à ma rente.
PHILAMINTE. Je ne sais, du moment que je vous ai connu,

Si, sur votre sujet, j'eus l'esprit prévenu;

Mais j'admire partout vos vers et votre prose.

TRISSOTIN (à Philaminte). Si vous vouliez de vous nous montrer

A notre tour aussi nous pourrions admirer.

[quelque chose, PHILAMINTE. Je n'ai rien fait en vers; mais j'ai lieu d'espérer

Que je pourrai bientôt vous montrer en amie,
Huit chapitres du plan de notre académie.
Platon s'est au projet simplement arrêté,
Quand de la république il a fait le traité,
Mais à l'effet entier je veux pousser l'idée
Que j'ai sur le papier en prose accommodée.

1 On dirait aujourd'hui: Bel esprit ne l'est pas qui veut.

2 Des expressions comme: je suis venu en carrosse, j'attends mon carrosse ne sont plus employées que par un épicier enrichi, par un rentier de province qui veut faire sonner sa richesse. Les gens bien élevés disent ma voiture, les voitures du roi, etc. Cependant on dit encore: I roule carrosse, pour: Il est riche. 3 C'est-à-dire jusqu'à l'exécution.

LA ROCHEFOUCAULD.

NOTICE BIOGRAPHIQUE ET LITTÉRAIRE.

FRANÇOIS, DUC DE LA ROCHEFOUCAULD, d'abord connu sous le nom de prince de Marsillac, naquit à Paris en 1613, et mourut en 1680. Il se signala en diverses occasions par son courage, mais il se fit surtout remarquer par son esprit d'intrigue. Ennemi déclaré du cardinal de Mazarin, il entra dans le parti de la Fronde et prit une part active aux guerres civiles qui troublèrent la minorité de Louis XIV. Cependant il n'y joua qu'un rôle très secondaire. Rentré en grâce, il fut nommé par le roi gouverneur du Poitou. Il passa sa vieillesse dans l'intimité de Mme de Lafayette1 et de Mme de Sévigné. L'ouvrage qui a fait la réputation littéraire du duc de La Rochefoucauld a pour titre Réflexions ou Sentences et Maximes morales. On l'appelle ordinairement le livre des Maximes. Il fut imprimé pour la première fois en 1665. La perfection du style de cet ouvrage place son auteur au premier rang des prosateurs du siècle de Louis XIV. Quant au contenu même des Maximes, J.-J. Rousseau dit avec raison que c'est un triste livre, puisqu'un grand nombre des réflexions de La Rochefoucauld indiquent l'amour de soi-même comme l'unique mobile de toutes les actions humaines, bonnes ou mauvaises.

MAXIME S.3

(2) L'amour-propre est le plus grand de tous les flatteurs. (3) Quelque découverte que l'on ait faite dans le pays de l'amourpropre, il y reste encore bien des terres inconnues.

(19) Nous avons tous assez de force pour supporter les maux d'autrui.

(25) Il faut de plus grandes vertus pour soutenir la bonne fortune que la mauvaise.

(26) Le soleil ni la mort ne se, peuvent regarder fixement. (34) Si nous n'avions point d'orgueil, nous ne nous plaindrions pas de celui des autres.

(38) Nous promettons selon nos espérances, et nous tenons selon nos craintes.

(49) On n'est jamais si heureux ni si malheureux qu'on s'imagine. (67) La bonne grâce est au corps ce que le bons sens est à l'esprit. (79) Le silence est le parti le plus sûr de celui qui se défie de soi-même.

1 Mme de Lafayette (1634-1693) s'est fait un nom dans la littérature par ses romans, qui ont eu la plus grande vogue (Zaïde, la Princesse de Clèves, la comtesse de Tende, etc.), et par ses cercles littéraires. Voyez à l'article Molière, la notice sur les Précieuses ridicules, page 63.

2 Voyez, dans ce Manuel, la Notice sur Mme de Sévigné, page 134. 3 Nous donnons le texte des Maximes d'après l'édition de M. Gilbert (laquelle fait partie de la collection des Grands écrivains de la France, publiée sous la direction de M. Regnier). On y a suivi le texte de l'édition de 1678, la dernière qui ait paru du vivant de La Rochefoucauld.

(84) Il est plus honteux de se défier de ses amis que d'en être trompé. (89) Tout le monde se plaint de sa mémoire, et personne ne se plaint de son jugement.

(110) On ne donne rien si libéralement que ses conseils.

(112) Les défauts de l'esprit augmentent en vieillissant, comme ceux du visage.

(115) Il est aussi facile1 de se tromper soi-même sans s'en apercevoir, qu'il est difficile de tromper les autres sans qu'ils s'en aperçoivent. (127) Le vrai moyen d'être trompé, c'est de se croire plus fin que les autres.

(184) On n'est jamais si ridicule par les qualités que l'on a, que par celles que l'on affecte d'avoir.

(138) On aime mieux dire du mal de soi-même que de n'en point parler.

(140) Un homme d'esprit serait souvent bien embarrassé sans la compagnie des sots.

(147) Peu de gens sont assez sages pour préférer le blâme qui leur est utile à la louange qui les trahit.2

(158) La flatterie est une fausse monnaie qui n'a de cours que par notre vanité.

(164) Il est plus facile de paraître digne des emplois qu'on n'a pas que de ceux que l'on exerce.

(196) Nous oublions aisément nos fautes lorsqu'elles ne sont sues que de nous.

(199) Le désir de paraître habile empêche souvent de le devenir. (212) La plupart des gens ne jugent des hommes que par la vogue qu'ils ont ou par leur fortune.

(218) L'hypocrisie est un hommage que le vice rend à la vertu. (226) Le trop grand empressement qu'on a de s'acquitter d'une obligation est une espèce d'ingratitude.

(243) Il y a peu de choses impossibles3 d'elles-mêmes, et l'application pour les faire réussir nous manque plus que les moyens.

(249) Il n'y a pas moins d'éloquence dans le ton de la voix, dans les yeux et dans l'air de la personne que dans le choix des paroles. (250) La véritable éloquence consiste à dire tout ce qu'il faut, et à ne dire que ce qu'il faut.

(294) Nous aimons toujours ceux qui nous admirent, et nous n'aimons pas toujours ceux que nous admirons.

(303) Quelque bien qu'on nous dise de nous, on ne nous apprend rien de nouveau.

(327) Nous n'avouons de petits défauts que pour persuader que nous n'en avons pas de grands.

(342) L'accent du pays où l'on est né demeure dans l'esprit et dans le cœur, comme dans le langage.

(431) Rien n'empêche tant d'être naturel que l'envie de le paraître. (487) Nous avons plus de paresse dans l'esprit que dans le corps.

1 Variante: Il est aussi aisé de se tromper sans s'en apercevoir, etc. 2 Variante: pour aimer mieux le blâme qui leur sert que ... Variante: Il n'y a point de choses impossibles

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...

LA FONTAINE

NOTICE BIOGRAPHIQUE ET LITTÉRAIRE.1

JEAN DE LA FONTAINE naquit en 1621 à Château-Thierry, petite ville de la Champagne, où son père exerçait les fonctions de maître des eaux et forêts. Il fit ses études au collège de Reims et passa un an au séminaire; mais on vit bientôt qu'il n'avait pas de vocation pour l'état ecclésiastique. Son père lui transmit sa charge et le maria à une très jeune femme. Cette union ne fut pas heureuse; les époux en vinrent bientôt à une séparation. Quant à sa charge de maître des eaux et forêts, La Fontaine l'exerça pendant plusieurs années, sans s'en oocuper autrement qu'en se promenant dans les bois et sur les bords des eaux dont l'inspection lui était confiée. Il s'en défit le plus tôt possible en la vendant, selon l'usage du temps.

Après la sortie du séminaire, La Fontaine s'était mis à lire avec délices Marot, Rabelais, Amyot, Boccace et l'Arioste. Mais Térence était son auteur favori. Aussi débuta-t-il par une comédie qui, comme la plupart de ses ouvrages dramatiques, est oubliée aujourd'hui. Ces débuts furent le point de départ de sa liaison avec Molière, qui, à cette époque, parcourait les provinces en qualité de directeur de troupe et d'acteur, et avec Racine et Boileau.

La Fontaine trouva un puissant protecteur dans la personne de Fouquet, surintendant des finances, qui était alors à l'apogée de sa puissance et de sa fortune. Il fit au poète une pension, à la condition que celui-ci donnerait des pièces de vers en guise de quittances. En 1661, Fouquet, le tout-puissant ministre, fut tout à coup arrêté par ordre de Louis XIV. On l'accusa de dilapidation des deniers publics et de concussion. On craignit quelque temps pour la vie de Fouquet, tant ses ennemis avaient su irriter le roi contre lui. La Fontaine resta fidèle à son bienfaiteur; il eut le courage de solliciter la clémence du despotique monarque dans son Élégie aux Nymphes de Vaux, poème qui commença sa réputation littéraire.5

En 1669, La Fontaine commença à publier les Fables, qui ont immortalisé son nom. Les sujets en sont presque tous tirés d'Esope et de Phèdre; mais le fabuliste français n'en est pas moins original. Ce qu'on admire surtout dans ces fables, c'est la forme et la mise en œuvre. Naïveté, finesse, bonhomie, délicatesse de sentiments, grâce, variété de tons, du plus élevé au plus simple, tout est réuni dans les

1 D'après Walkenaër, Héguin de Guerle et Geruzez. 2 Priester-Seminar. 3 Voyez l'Introduction p. XLII. 4 BOCCACE (Boccaccio, 1313-1375), célèbre écrivain italien, auteur du Décaméron, recueil de nouvelles qui l'a placé à la tête des prosateurs italiens. L'ARIOSTE (Ariosto, 14741533), célèbre poète italien, auteur du Roland furieux.

5 Vaux, nom d'un château situé près de Melun et bâti par Fouquet. Les magnificences de ce château, pour lequel il avait dépensé des sommes immenses, furent une des causes de la perte du ministre. Jugé et condamné par une commission composée de ses ennemis, Fouquet fut enfermé dans la forteresse de Pignerol, où il mourut après 19 ans de captivité.

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