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il parut plaisant à cette troupe d'impies d'avoir un évêque pour premier assaillant contre les domaines de l'Eglise, et qu'un prince de la hiérarchie ecclésiastique fût lui-même le promoteur de cette sacrilège spoliation. On assure que l'évêque d'Autun, digne émule du traître qui déshonora le collége des apôtres, marcha, à cette occasion, sur les traces de son modèle : Quid vultis mihi dare? « Que me donnerez-vous, dit-il, pour encourir le mépris et l'horreur de l'épiscopat, ainsi que de toutes les ames honnêtes? » Cinq cent mille livres offertes et acceptées furent le prix de son parjure et criminel dévouement (1). Quel front d'airain, quelle conscience cautérisée ne falloit-il pas pour se donner en spectacle sur ce théâtre de profanation? Un évêque, revêtu de sa croix pectorale, paroître à la tribune de l'assemblée nationale pour proposer, sans honte et sans pudeur, de dépouiller l'Eglise de France de ses biens et de ses propriétés ! Ces biens étoient le patrimoine des pauvres; ils étoient aussi le fruit des dons et des bienfaits de dix-huit siècles de piété pour l'entretien des autels et la magnificence du culte; une possession, pai

(1) Jamais M. de Taleyrand n'a été accusé, même par les journaux de l'opposition, d'avoir reçu ce prix honteux de sa motion sur l'aliénation des biens du clergé.

sible de dix-huit cents ans en avoit immortalisé la destination et l'usage : c'étoit introduire la rapine et le brigandage dans le sanctuaire de la Divinité; c'étoit, à l'exemple de Dathan et d'Abiron, dérober le feu sacré de l'encensoir et s'exposer à leur effrayant supplice. Jamais nos pieux ancêtres, en dotant les églises, n'avoient eu la pensée ni l'intention d'augmenter le domaine de l'Etat. Comment, de propos délibéré, prétendre ériger en loi le vol et le pillage? Que de motifs sacrés et puissans pour arrêter le blasphème et le débordement d'une bouche consacrée par l'onction épiscopale! Mais où n'entraînent point la soif de l'or et l'habitude du crime? L'évêque d'Autun foule aux pieds toutes ces considérations et brave l'opinion publique. Sa motion inattendue, prononcée avec l'audace d'un apostat qui a bu toute honte, fut soumise à de longues discussions. La faction anti-ecclésiastique, sûre de son succès par les suffrages que lui avoient procurés l'or et la séduction, écouta avec une modération affectée tout ce qui fut dit, d'une manière si claire, si précise, si lumineuse, si péremptoire, en faveur de l'antique possession du clergé. L'abbé Maury, l'abbé de Montesquiou, l'archevêque d'Aix, Boisgelin, prononcèrent sur cette matière des discours où la vérité se développoit avec toute l'énergie de l'élo

quence et la noble attitude de l'évidence. Les argumens captieux de Mirabeau et de Camus, qui avoient appuyé en vrais énergumènes la motion de l'évêque d'Autun, furent réfutés par eux avec le calme de la modération, accompagnée d'une force de preuves et de raisonnemens qui ne permettoit plus de réplique. Mais l'avocat Thouret, organe du comité ecclésiastique où dominoient les plus acharnés ennemis du clergé, fit sur cette discussion un rapport où, rejetant toutes ces preuves fondées sur le droit ecclésiastique et puisées dans les plus pures sources de l'histoire de la religion, il brisa, d'une main hardie, les barrières sacrées que dix-huit siècles avoient respectées, et, par un insultant étalage de subtilités métaphysiques que réprouvoit le bon sens, il prononça que l'Etat est essentiellement propriétaire de tous les biens et fondations ecclésiastiques. Ce paradoxe si étrange, qui devoit indigner et révolter, obtint la pluralité des suffrages ; et le deux novembre 1789, jour des Morts, un décret de spoliation de l'Eglise de France fut l'avant-coureur de son extrait mortuaire et de son épitaphe. Camus présidoit l'assemblée lors de ce fameux décret.

Ce Camus, qui étoit à Paris l'avocat du clergé, vouloit avoir la gloire d'en être le réformateur. Il étoit un des factieux sans

Suppression des ordres religieux.

être encore ni impie ni scélérat; son premier projet n'étoit pas d'abolir la religion, mais il vouloit lui donner une autre forme. Ses principes étoient un mélange de jansénisme outré et de la philosophie du jour. Les fougueux jacobins, qui ne vouloient pas laisser pierre sur pierre de l'ancien édifice de la catholicité, sans lui confier d'abord leur secret, crurent devoir se servir de lui pour en ébranler les fondemens. Ses connoissances en droit canon, son animosité connue contre la cour de Rome, le désir qu'il avoit manifesté d'humilier les évêques, son caractère ardent et opiniâtre, l'ambition de se faire remarquer par quelque coup d'éclat, parurent des qualités propres à le mettre à la tête de ceux qui devoient travailler à la dégradation et à la destruction du clergé. On assure que la soif de l'or et des richesses lui fit oublier la rigidité de sa morale, et que de zélé janséniste il devint un des plus forcenés jacobins (1). Quoi qu'il en soit, Camus doit être regardé comme le levier dont s'est servi la grande cabale des factieux pour renverser en France la hiérarchie ecclésiastique.

Après avoir fait suspendre, sur la motion

(1) Camus n'a rien amassé, et est mort pauvre. Il avoit les jacobins en horreur. L'aventure du Garde-Meuble n'étoit pas faite pour lui attirer leur amitié.

de Treilhard, l'émission des voeuxreligieux, il revint, trois mois après, à la charge, et, d'après une nouvelle motion, il fit décréter, le 13 février 1790, la suppression des vœux monastiques, avec la liberté plénière aux religieux et aux religieuses de quitter le cloître et leurs habits de religion, pour reprendre dans le monde la qualité d'hommes libres et affranchis de toutes les observances qu'ils avoient jurées aux pieds des autels. Cette porte, ouverte à la licence des passions et à leur impunité, devoit faire des apostats, et causer à la religion une plaie mortelle par la mort spirituelle de ses enfans. Cette apostasie, si vivement désirée par les moteurs du décret, fut encouragée et favorisée par eux leur but étoit de décrier l'état religieux par l'inconduite de ceux qui ne plioient qu'à regret sous le joug de la discipline régulière, et qui, n'étant plus contenus par le frein de l'autorité, pouvoient donner impunément l'essor à leurs appétits déréglés : c'étoit un degré de plus pour parvenir à l'avilissement de la religion qu'on se proposoit d'abolir tôt ou tard.

C'est par une suite de ce même système que, le 17 mars 1790, quatre mois et demi après avoir fait déclarer la nation propriétaire des biens du clergé, on fit décréter qu'il en seroit vendu et aliéné pour quatre cents millions. Le motif de cette vente fut

Vente des biens du clergé.

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