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projetée pouvoit devenir le motif de leur séparation.

Ici un fait important doit trouver sa place. Il montre à découvert l'une des sources principales des malheurs de la France.

Le roi de Prusse avoit personnellement à cœur de rétablir Louis XVI sur le trône ; et pour y parvenir, il proposa comme mesure efficace de déclarer Monsieur régent du royaume. C'étoit donner aux vrais royalistes un point de ralliement, mais le baron de Breteuil s'y opposa au nom du roi. On n'aura pas oublié combien cet homme hautain et présomptueux avoit déjà influé sur les destinées de la France pour son malheur. On n'aura pas non plus perdu de vue ses complaisances pour le cabinet de Vienne, ses liaisons intimes avec le comte de Mercy - Argentau, son ascendant sur l'esprit de Marie-Antoinette. Au moment de la révolution, cet intrigant, protégé par la reine, dupe de son feint dévouement, avoit acquis dans les conseils une telle prépondérance, que Louis XVI s'étoit enfin déterminé à lui donner sa confiance, malgré son horreur bien connue pour le machiavélisme de la cour de Vienne. L'imperturbable volonté du roi étoit de suivre le système adopté depuis Henri IV par la maison de Bourbon, de contrebarrer les

projets d'agrandissement de cette cour hypocrite et ambitieuse. Ce système fut long-temps interrompu par la foiblesse de Louis XV, trompé par le duc de Choiseuil, créature de la maison d'Autriche. Le résultat de cette confiance si mal placée fut l'expédition de la patente du premier ministre en faveur du baron. Muni de ce titre, le nouveau ministre, dont M. le chancelier de Barentin étoit tenu de prendre les ordres, s'étoit retiré à Bruxelles avec le comte de Mercy. Il y vivoit dans le faste, parce que sa fortune se trouvoit partie aux îles et partie en Hollande.

Opposé au système de l'émigration, M. de Breteuil avoit, autant qu'il avoit dépendu de lui, entravé les opérations des princes, relatives aux rassemblemens des armées; il se rendit même auprès du roi de Prusse, lors du séjour de ce monarque à Trèves, et lui exhiba ses pouvoirs. En vertu de ces titres, il empêcha la nomination de Monsieur à la régence du royaume, parce que Frédéric-Guillaume regardoit le nouveau ministre comme le dépositaire de l'autorité et de la confiance de Louis XVI. Le roi de Prusse ne traita plus qu'avec le baron, ce qui rendit avec raison celui-ci odieux aux princes et à la noblesse française blessés de son arrogance et de sa trahison. Qu'auroient donc pensé les princes

s'ils avoient pu savoir combien le roi de Prusse étoit trompé ! s'ils avoient su que cette patente de premier ministre avoit été révoquée par le roi! Cette révocation ne peut faire l'ombre d'aucun doute. Quand Mallet-du-Pan fut envoyé pour négocier en Allemagne, M. Bertrand de Molleville, alors ministre, et dépositaire de la confiance du roi, proposa par écrit de l'adresser au baron de Breteuil, comme ayant les pouvoirs nécessaires, le roi apostilla le mémoire de sa main, et mit..... Il ne les a plus, je les ai révoqués.....

Tandis que les progrès de l'armée coalisée n'étoient point retardés par la plus cruelle intempérie; tandis que les pénibles défilés de l'Argonne, défendus par la nature et par l'art, étoient successivement forcés; que les postes avancés de l'armée de Dumouriez se trouvoient contraints de rétrograder; que les savantes manoeuvres du généralissime et de ses deux lieutenans tenoient l'armée française cernée et bloquée de toutes parts, et de manière que l'alternative, ou de mettre bas les armes et de se rendre, ou de combattre avec le plus grand désavantage, paroissoit inévitable, Paris offroit le tableau le plus extraordinaire. On y voyoit arriver de tous les départemens les députés nommés pour former la Convention nationale.

A quelques exceptions près, ces départemens avoient rivalisé de haine et de délire contre la royauté, et avoient nommé, par l'influence des jacobins, les hommes les plus méprisables et les plus vils, dignes enfin de figurer avec les Robespierre, les Marat, Panis, les Sergent, Carrier, Joseph Lebon, les deux Bourdon, Léonard et Bourdon (dit de l'Oise), exprocureur au parlement, chassé de sa compagnie comme convaincu d'insignes friponneries. Bourdon se disoit homme du 10 août. Il ne s'étoit cependant montré, comme les oiseaux de proie, que vers la fin de cette journée. On le vit armé d'un grand sabre, monté sur une des nombreuses charrettes chargées des corps des victimes. Il avoit été préposé à leur enlèvement, mais avec un grand soin de les dépouiller auparavant. Ce lâche et obscur scélérat avoit la fanfaronnade du crime sans en avoir l'audace. Sa déportation à Cayenne et sa mort douloureuse à Synnamari, ne sont que le juste et foible châtiment de ses atrocités, de ses brigandages et de ses honteuses débauches. Il étoit roux, et le disputoit en laideur avec Danton et Legendre. Ces trois têtes offroient, dans leur ensemble, tout ce que le crime peut avoir de féroce et de hideux.

A cette époque, les prêtres catholiques étoient chassés du royaume, égorgés à

Paris avec les milliers de victimes qui tombèrent, en septembre, sous le fer des assassins, et massacrés à quelques frontières. Les agitateurs qui s'étoient emparé du pouvoir dès le moment de la captivité du roi, et tenoient la France courbée sous leur joug odieux, vouloient repousser par la terreur, la terreur dont eux-mêmes étoient saisis. Ils trembloient avec raison de l'invasion subite du territoire français; ils frissonnoient à la seule idée de voir arriver inopinément l'armée des coalisés dans Paris, exercer, au nom du roi délivré, une vengeance exemplaire et légitime, et mettre un terme à leurs brigandages, à leurs assassinats, et à leur insupportable tyrannie. Ils se voyoient déjà livrés aux supplices que leur propre conscience leur présentoit en perspective. Déclarer la patrie en danger, mettre Paris en état de siége, fermer les barrières, enlever les armes de ceux qui leur paroissoient suspects, les enfermer et les proscrire, entourer Paris de retranchemens, placer trois cents bouches à feu sur les points les plus convenables, moins encore pour se défendre que pour contenir l'immensité des habitans; telles furent les mesures, aussi promptes que violentes, avec lesquelles ils se proposèrent de repousser leurs ennemis.

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