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Pour obtenir des élections convenables dans les départemens, des émissaires y furent envoyés pour désigner les buveurs de sang à la multitude, et faire proscrire tous les hommes que leur probité, leur crédit, leur fortune même faisoient regarder comme suspects. On pense bien que le trésor public fut mis à contribution. Ainsi le peuple se laissoit, de gaieté de cœur, arracher les entrailles. Du fer et du pain, voilà tout ce qu'il vous faut, lui disoient ses amis pendant qu'ils passoient le temps dans de scandaleuses orgies, et qu'ils étoient ivres de vin quand ils ne l'étoient pas de fureur.

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Nous ne reviendrons point sur les massacres de septembre; nous les avons assez fait connoître, et nos lecteurs sont bien instruits des causes qui amenèrent ces sanglantes journées. Nous ferons seulement observer le silence profond et l'inaction totale de nos armées après ces funestes journées d'août et de septembre. Comment nos armées furent-elles donc déterminées à se soumettre ainsi au pouvoir anarchique qui venoit d'embastiller le souverain; elles qui ne dépendoient que de lui seul immédiatement, à qui seul elles devoient obéir?

L'intérêt personnel, considéré comme l'unique, comme le véritable mobile des actions des hommes, étoit présenté au

soldat comme les vrais principes. Il n'avoit pas été bien difficile de lui faire considérer la royauté comme un obstacle invincible à sa fortune et à son avancement. Il ne pouvoit espérer d'être jamais heureux, lui disoit-on, que quand il auroit secoué le joug de la royauté qu'il falloit à jamais. abolir. Des assignats distribués à propos et avec profusion, ne pouvoient que donner plus de force à ces argumens.

IV.

Les Finances épuisées par la propagation des désordres.

LES mêmes causes qui avoient amené le déficit sous l'assemblée constituante, et l'avoient porté à trois cents millions à la fin de sa session, s'accrut encore, en moins de onze mois, de plus de cent millions. Ainsi l'assemblée législative gaspilla plus de millions que n'en avoient absorbé les déprédations connues du règne de Louis XV. La corruption des armées et des autorités constituées et de tous ceux qui, ayant de l'influence et du pouvoir, pouvoient servir habilement la cause du jacobinisme; le salaire des meneurs des clubs de provinces, affiliés aux jacobins de Paris, afin de les tenir sans cesse en haleine et à la

disposition de ceux-ci; le payement des émissaires envoyés pour travailler, comme ils le disoient, les élections, tel étoit l'état de dépense de cet affreux budjet. Les impôts mal payés n'auroient pas suffi pour faire

face seulement à la moitié de ces dépenses criminelles. Mais la planche aux assignats étoit constituée, et il en fut émis pour plus de trois milliards....., ce qui dépassa d'un milliard l'hypothèque annoncée des biens du clergé évaluée à deux. L'assemblée constituante s'étoit du moins contentée de mentir à la nation, en lui annonçant, en lui vantant l'état prospère de ses finances; mais l'assemblée législative la vola. Outre l'argenterie des églises et des couvens supprimés, on s'empara aussi de tous les reliquaires et châsses des saints dans l'étendue du royaume, et on les convertit en monnoie. C'est ainsi qu'après avoir profané les temples de Dieu, on les dépouilla, et bientôt les détruisit.

Il a été reconnu et constaté que le nombre des assignats mis en circulation surpassoit de beaucoup celui qui fut brûlé, et même qu'il n'en avoit été décrété. On a eu des preuves du concert des chefs de l'administration des finances avec les factions pour soustraire clandestinement, soit à leur profit, soit pour l'exécution des vues secrètes de celles-ci, non - seulement des

sommes considérables en assignats, mais même une partie du numéraire provenant de l'argenterie des églises. Les caisses des départemens et des districts n'étoient pas à l'abri de toutes ces déprédations autorisées par Clavières et Rolland.

Il falloit une invention aussi infernale que celle des assignats pour faire face à des dépenses aussi excessives; mais, on peut le dire avec vérité, si les assignats ont creusé le tombeau du crédit national; s'ils ont ouvert l'abîme où se sont englouties toutes les ressources du royaume le plus riche de l'Europe; s'ils ont rendu la banqueroute inévitable; si, dans l'espace de trois années, ils ont plus que décuplé la dette de l'Etat devenue incalculable, ils ont assuré le triomphe de la cause populaire par le jacobinisme. Sans ce moyen puissant, comment cette secte seroit-elle parvenue à se faire autant de partisans, tant dans nos armées et les départemens, que dans les cabinets des puissances de l'Europe et jusque dans leurs armées? C'est de cette source que sont partis tous les germes de corruption qui ont gangrené la France et l'Europe. C'est surtout à l'instant même de la captivité du roi que cette corruption générale s'est fait le plus remarquer. C'est à la profusion des deniers publics qu'il faut attribuer le silence des

troupes et des autorités sur les scènes sanglantes que nous avons décrites; sur la captivité du roi, et sur les mesures violentes ultérieurement prises par l'assemblée législative : c'est à cette corruption qu'est due l'apathie générale des Français, ou plutôt cette inconcevable stupeur qui métamorphosa une nation généreuse, idolâtre de ses rois, en un peuple régicide et républicain. De toutes les armes, la plus tranchante c'est l'or....

Quid non mortalia pectora cogis

Auri sacra fames.....

a dit avec raison le chantre de l'Enéide. Dès que l'or a paralysé l'honneur, l'ame avilie et dégradée n'a plus honte de se livrer à tous les genres de bassesses.

C'est ainsi que la nation française couroit à sa ruine, poussée par les criminels succès qui l'écartoient de plus en plus de la voie de la raison, et la faisoit marcher d'un pas rapide vers l'anarchie. La déprédation des finances, la corruption de la morale religieuse et politique, l'esclavage des autorités, l'asservissement des armées, ont concouru à saper les fondemens de la monarchie, en élevant, à l'aide de tous les crimes, ce colosse de puissance républicaine, cause de la désorganisation totale de la France, et devenu l'effroi de toutes les puissances européennes.

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