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Dans la même séance, on demanda au roi son portrait, le représentant tenant l'acte constitutionnel et le remettant à son fils. C'étoit moins par un mouvement de respect et d'amour pour un roi qu'on venoit de dégrader, que pour faire parade devant la nation du triomphe de la faction constitutionnelle : elle ne prévoyoit guère alors combien son triomphe seroit de courte durée!

Le 30 septembre 1791, jour fixé pour clore l'assemblée constituante, le roi, devenu constitutionnel contre son you, se rendit à la séance, et y prononça un discours composé par Thouret. La physionomie du monarque, pendant ce discours, annonçoit visiblement à quel point son coeur étoit froissé et sa volonté enchaînée... Le président Thouret dit ensuite à haute et intelligible voix : L'assemblée nationale constituante déclare sa mission remplie et ses séances terminées.

Ainsi finit cette désastreuse assemblée : ses travaux n'ont abouti qu'à rassembler et réunir les germes du régicide, de l'athéisme et de l'anarchie qui se sont développés depuis avec tant de rapidité. De toutes les observations sur la constitution de 1791, il résulte que c'est un trophée érigé à la démagogie sous le nom de démocratie royale. L'avocat Target en fut non

l'inventeur, mais le premier garçon ouvrier: les chefs des factions en avoient préparé les matériaux. Les architectes constitutionnels confièrent à la plume de cet avocat la rédaction d'un ensemble dont les élémens trop disparates ne pouvoient former qu'un édifice posé sur des fondemens de sable.

Target avoit acquis de la célébrité au barreau; il passoit en 1789 pour un des meilleurs orateurs du parlement de Paris. Ses plaidoyers et ses succès lui avoient mérité les honneurs du fauteuil à l'académie française. Je l'ai connu très-particulièrement son ame avoit de l'élan et de la sensibilité; il étoit bienfaisant; sa religion étoit le déisme, subordonné néanmoins au plus pur égoïsme. Son penchant le portoit vers tout ce qui pouvoit fonder et étendre sa réputation; c'étoit un factieux modéré, c'est-à-dire, qu'il ne désiroit ni l'abolition de la religion, ni la destruction du trône, mais il se portoit avec toute l'énergie de son caractère vers un nouvel ordre de choses dans lequel il espéroit pouvoir jouer un rôle distingué. Il entroit dans ses principes d'abaisser les grands, et de s'élever ainsi jusqu'au niveau des premières dignités de l'Etat. En donnant à la nation la souveraineté, il se flattoit que les hommes. de sa trempe, comme plus instruits et plus

Target.

cultivés, la domineroient aisément, et que le timon de l'Etat seroit remis entre les mains des avocats philosophes. Il avoit dans le regard quelque chose de sinistre, que cependant je n'ai jamais découvert dans son ame. L'ambition de la célébrité étoit sa passion dominante; mais je ne l'ai jamais connu méchant. Target, habitué par état à environner les causes les plus désespérées de tous les prestiges de l'éloquence, compila dans les volumineux décrets que l'assemblée constituante avoit entassés sans ordre pour mieux cacher sa marche et son but, ceux qui, classés sous différens titres et différentes sections, devoient former le corps de la constitution française. Ce fut pour Target, disent les pamphlets du temps, un accouchement pénible. Des caricatures sans nombre représentoient l'accouchement de Target qui mettoit au monde un monstre qu'on nomma constitution. Des vers, des épigrammes!, inondèrent la capitale et les provinces pour propager tout le ridicule de cet informe accouchement. La fille de Target (la constitution) fut présentée sous toutes les formes qui la faisoient paroître comme un être hideux, digne d'être appelé la Chimère de l'assemblée constituante. Toutes ces plaisanteries amusèrent un moment les oisifs de Paris. Mais ce monstre, enfin,

qui l'on avoit donné le pouvoir de tout détruire et de tout dévorer, a enfanté la république, la république a enfanté l'anarchie, l'anarchie a enfanté tous les excès de la licence; et ces excès, portés au plus haut degré du délire et de la scélératesse, ont couvert la France entière de ces ruines sous lesquelles nous l'avons vu s'ensevelir. Nous allons terminer cette première époque de la révolution française par quelques réflexions sur l'émigration.

Si, à l'appui de nos réflexions, le lecteur veut comparer la constitution de 1791 à la déclaration du 3 juin 1789, contenant les intentions du roi, il en saisira promptement et avec facilité le contraste frappant. Il verra que la constitution de 1791 a été la cause de nos malheurs, et que la déclaration du 23 juin en auroit été le préservatif; il verra, non sans un vif regret, de quel bonheur la France a été privée par le rejet et le défaut d'exécution de cette loi bienfaisante qui auroit amené l'aurore du plus heureux avenir. Elle étoit en effet l'accomplissement du voeu unanime des cahiers de tous les bailliages. Mais la Providence, en permettant le triomphe du crime, avoit déjà, dans ses desseins impénétrables, donné à l'univers le spectacle effrayant de la justice divine étendant son bras vengeur sur toute la France, et y répandant les fléaux qui

ébranlent et bouleversent les empires. Cependant, si la miséricorde divine se laisse un jour fléchir par les voeux ardens de son Eglise éplorée; si la patience et les larmes des justes, qu'elle éprouve et sanctifie, parviennent à la désarmer; si, enfin, apaisée par le repentir et la pénitence des impies et des blasphémateurs qui ont outragé son saint nom, cette même miséricorde daigne nous rendre le calme, nous aurons encore, comme Jérémie, à gémir sur les tristes ruines dont nous sommes environnés; mais nous bénirions la main de Dieu qui ne nous a frappés que pour guérir les plaies profondes faites par la philosophie moderne et le débordement des moeurs; assurer le triomphe de la religion, et rendre à l'autorité royale son ancienne splendeur, son ancienne énergie.

X.

L'Emigration.

Je ne prétends point ici m'ériger en censeur amer de la conduite des augustes personnages qui ont tant de droits à nos respects et à nos hommages. Je ne le céderai jamais à personne pour leur rendre le tribut de vénération et d'amour que tous les bons Français doivent au sang de nos rois et aux

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