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d'aider l'Etat, trop obéré, à se libérer d'une partie de sa dette effrayante. Ce nouveau décret révéloit le vrai but de celui du 2 novembre précédent. En déclarant alors la nation propriétaire, on ne l'avoit pas encore constituée spoliatrice de fait; cette retenue réfléchie avoit fait illusion à un grand nombre de députés qu'on n'auroit pas entraînés, s'ils avoient connu les intentions des motionnaires. On présenta ce nouveau décret, avec la plus perfide adresse, sous la forme séduisante d'un secours indispensable qui soulageoit le peuple en libérant l'Etat. La faction spoliatrice s'applaudissoit de sa ruse; elle espéroit que le clergé alloit se lever en masse pour s'opposer à ce décret et à son exécution; que par-là on auroit occasion de le rendre odieux au peuple en le peignant comme un corps insensible aux maux de l'Etat, qui préféroit nager dans l'opulence à l'inestimable avantage de sacrifier une partie de ses immenses richesses au bonheur d'une foule de citoyens contribuables qui, sans ce secours, seroient nécessairement écrasés sous la masse énorme de la dette nationale. C'est ainsi que manoeuvroient les factieux; ils usoient de tous les moyens que leur suggéroit leur haine contre la religion, pour déchaîner l'animadversion publique contre ses ministres, lors même qu'ils les dé

pouilloient et qu'ils cherchoient à les avilir. Les forts du clergé virent le piége qui étoit tendu: sûrs du suffrage et du concours de toutes les parties intéressées au sacrifice des quatre cents millions qu'on exigeoit, ils se hâtèrent de les proposer en numéraire, et payables comptant à un terme donné, comme un don gratuit du clergé pour la libération des dettes de l'Etat, montrant, par un si généreux sacrifice, que les ecclésiastiques, dont on cherchoit à décrier le ministère et les personnes, savoient être citoyens quand de grandes occasions invoquoient de grandes privations. Le clergé de France, en se dépouillant lui-même d'une somme aussi considérable, demandoit, à juste titre, que l'intégrité de ses possessions fût conservée sous la régie de ses titulaires et de ses préposés, pour servir de gage et de responsabilité à l'emprunt des quatre cents millions offerts.

Ces offres inattendues déconcertèrent un moment les ennemis du clergé ; ils craignirent qu'une sensation trop générale ne ramenât l'opinion du plus grand nombre en faveur d'une proposition si avantageuse, et que le clergé, par ce noble dévouement, ne reprît son ancien ascendant, et ne déjouât les batteries dirigées avec tant de succès contre son existence et sa considération. Ils ne s'étoient pas trompés; le projet de

spoliation alloit probablement échouer, lorsque tous les moyens de corruption furent mis en oeuvre. La faction dominante usa de ses manoeuvres toujours victorieuses, l'or et la terreur, pour accaparer les suffrages, et pour grossir la troupe des bandits soudoyés qui commandoient les opinions en menaçant du haut des galeries. Le protestant Necker, ministre des finances, fit jouer, dans cette circonstance, tous les ressorts que sa place lui mettoit en main pour faire triompher la motion: il se flattoit que ce décret alloit le rendre maître d'une masse de biens capable de combler le déficit, et d'éteindre, sans de nouveaux impôts, une grande partie de la dette nationale.

Le combat provoqué par ces motions contradictoires, également intéressantes pour les deux partis, étoit, pour ainsi dire, un combat à mort : les athlètes, de part et d'autre, y développèrent toutes les forces puisées dans la grandeur du péril et dans les inévitables suites d'une défaite aussi désastreuse. On ne conçoit pas comment, dans la détresse où se trouvoient les finances, on pouvoit motiver le refus d'un don gratuit de quatre cents millions en argent comptant. Le moment étoit arrivé où les ténèbres de l'animosité et de l'aveuglement devoient l'emporter sur les rayons de la

lumière la plus vive et la plus pénétrante. Sans se donner le tourment de repousser les traits directs des athlètes du clergé, les factieux leur présentèrent la tête effrayante de Méduse, c'est-à-dire que les uns furent pétrifiés par la terreur, et le grand nombre séduit par l'appât de l'or : c'est ainsi qu'ils arrêtèrent ceux qui inclinoient pour la justice. « Comment, s'écria Mirabeau d'une voix de tonnerre, comment le clergé peutil offrir pour gage ce qui n'est plus à lui ? La nation, déclarée par une loi solennelle, propriétaire des biens de l'Eglise de France, peut et doit seule en disposer. » Thouret, au nom du comité ecclésiastique, composé des ennemis du clergé, prenant la parole après Mirabeau, s'écria du haut de la tribune : « Le clergé de France, débouté de ses droits anciens par le décret du 2 novembre, est dans le cas de la fin de non recevoir.» Les galeries couvrirent d'applaudissemens les oracles de ces deux conjurés; et, au milieu d'un tumulte qui ne permettoit plus de distinguer les voix de ceux qui vouloient réclamer, l'assemblée décréta le refus des quatre cents millions, et prononça la vente des biens de l'Eglise, déclarés biens nationaux.

Ce premier attentat n'étoit que le prélude de ceux que les factieux avoient préparés contre la religion. La spoliation violente

qui venoit d'être décrétée, étoit un véritable crime; cependant les évêques et les ecclésiastiques qui faisoient profession des bons principes, ne s'opiniâtrèrent point sur une jouissance dont le sacrifice les assimiloit aux apôtres et aux pontifes de la primitive Eglise. Mais dans la crainte légitime que des atteintes successives ne violassent le dépôt de la foi et n'altérassent sa pureté, on les vit se réunir, avec toute l'énergie du zèle évangélique, pour assurer ce dépôt au milieu des débris de leurs propriétés envahies. La catholicité étoit, depuis plus de quatorze siècles, la religion de l'Etat ; son flambeau avoit constamment éclairé l'Eglise gallicane, malgré les violentes secousses du calvinisme et les nuages du jansénisme : mais l'assemblée nationale étoit composée d'un grand nombre de députés, ou athées, ou incrédules, ou impies, ou protestans; il falloit donc se hâter d'opposer une digue impénétrable au débordement de leurs motions anti-chrétiennes ; il falloit empêcher que les droits de l'homme et du citoyen, qui avoient proclamé la liberté des cultes et des opinions religieuses, ne confondissent la religion catholique avec les sectes qui en profanoient la sainteté : en conséquence, il fut unanimement convenu entre les bien pensans, d'après les sages insinuations de M. de La Fare, évêque de Nanci, qu'on

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