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chez les hommes; la table, que tous les peuples ont regardée comme le temple de l'Amitié, nos hypocrites ennemis en ont voulu faire le Temple de la Discorde, et Danton appuya plusieurs fois de son coupable organe, dans la Convention, la proposition de ces banquets généraux, de ces fêtes tumultueuses dont il espérait faire une arme à la contre- évolution,

Une section a commencé à parler de repas civiques: le mot touchant de fraternité a séduit les citoyens, et des tables communes ont été dressées dans la voie publique. On y buvait à la liberté nationale; on avait toutes les formes de l'égalité naturelle, et la contagion de l'exemple a fait des progrès rapides. Plusieurs sectio s out subitement proclamé la fraternité pour le lendemain ; de proche en proche, nos places publiques se sont transformées en banquets, et la joie a paru briller à la fois dans plusieurs quartiers de Paris.

Il était vraiment délicieux, ce spectacle, auprès de ces maisons qui servent d'asile à ces bons citoyens, à ces artisans paisibles, à ces républicains sincères qui vivent de peu et qui aiment beaucoup leur patrie.

Là on voyait deux ou trois familles qui faisaient le repas commun avec cette gaieté calme d'une conscience républicaine qui rempli un devoir analogue à ce qu'il sent pour son pays. Ici, des vieillards et une tendre mère, réunis à leurs voisins, attiraient les regards des passants, apprenaient à un enfant de cinq ans une chanson patriotique, et applaudissaient à ses essais comme à l'espérance de leur maison et de la patrie. Plus loin, autour d'une table couverte de mets grossiers et peu nombreux des applaudis

UNE ÉPOUSE

Partez, vaillants époux, les combats sont vos fêtes:
Partez, modèles des guerriers ;

Nous cueillerons des fleurs pour en ceindre vos têtes;
Nos mains tresseront vos lauriers.

Et si le temple de Mémoire
S'ouvrait à vos mânes vainqueurs,
Nos voix chanteront votre gloire,
Et nos flancs portent vos vengeurs.

UNE JEUNE FILLE

Et nous, sœurs des héros, nous qui de l'hyménée
Ignorons les aimables nœuds,

Si pour s'unir un jour à notre destinée,

Les citoyens forment des vœux,

Qu'ils reviennent dans nos murailles,
Beaux de gloire et de libertė,

Et que leur sang dans les batailles,
Ait coulé pour l'égalité.

sements robustes et des cris éclatants de Vive la République ! jetaient une teinte sombre sur quelques visages, et appelaient les regards de l'observateur. Dans une table amplement garnie, et où étaient prodigués des vins délicieux, l'on entendait aussi répéter: Vive la République ! mais le cri était violent, l'expression de la voix exagérée. et la joie peu communicative. Quelques tables offraient le mélange bizarre de l'ancien régime bien cérémonieux et de la franchise républicaine avec son abandon.

Les bons esprits ne s'y sont pas trompés; les vertus douces et hospitalières d'un grand peuple ne sont pas l'effet d'un appareil pompeux ou d'une réunion fortuite et momentanée; l'amitié et la fraternité ne sont pas l'imitation servile et minutieuse de quelques repas, auxquels la bonhomie et la franchise assistent à côté de l'orgueil et de la vengeance.

L'aristocrate sait aussi à propos porter avec vivacité le toast de la République, et la République n'en est pas moins trahie.

Barère aimait mieux les festins nocturnes de Clichy avec des comédiennes et des courtisanes. Il continue ainsi:

Soyons un instant à la place du voyageur étranger, assistant å ces banquets sectionnaires. Il se demandera quel peut être le

*. Voici à ce propos le récit de Villate:

Barère avait à Clichy une maison de plaisance, tout à la fois séjour des jeux de l'amour et repaire odieux où les Vadier, les Vouland, inventaient avec lui les conspirations que la guillotine devait anéantir. Ils s'y rendaient deux fois par décade. L'enjouée Bonnefoi y accompagnait Dupin, aussi fameux dans sa coterie par sa cuisine de fermier général, qu'il l'est dans la Révolution par son rapport sur les fermiers généraux. On connaît l'échange bizarre de Versailles entre le ci-devant duc de Liancourt et je ne sais quel autre courtisan. Barère avait cédé cette virtuose à Dupin, et Dupin à Barère la Demahy, courtisanne logée dans un superbe hôtel, rue de Richelieu. Ces deux belles, avec une autre plus belle et plus jeune, étaient les trois Grâces qui embellissaient de leurs attraits les charmilles délicieuses à l'ombre desquelles les premiers législateurs du monde dressaient leurs listes de proscription. Un jour, madame de Bonnefoi fixa les regards de Payan, représentant du peuple, invité parfois à ces parties. J'ai su que la sensibilité inquiète du tendre Dupin en avait été vivement alarmée. Le sieur Vadier se mêlait aussi des jeux perfides de l'amour; le laid Vulcain, dans l'Olympe, ne fut jamais davantage l'objet des sarcasmes et des railleries.

motif de tant de dépenses, et de cet amalgame instantané de sentiments et d'opinions divers dans un moment révolutionnaire. S'il est politique, il craindra le contact subit d'êtres contraires au milieu de la crise actuelle. S'il est attentif, il entendra l'aristocrate tromper le patriote sur ses sentiments, et lui inspirer une confiance funeste et une sécurité dangereuse. Est-il observateur, il verra le modéré s'écrier au milieu du repas: Nos armées sont victorieuses partout; il ne nous reste que la paix à faire, à vivre en bons amis, et à faire cesser ce gouvernement révolutionnaire, qui est terrible. » Est-il législateur, il sentira que ces repas ne sont qu'un piège adroit, une amnistie prématurée, une proclamation précoce de paix et une fusion dangereuse de sentiments purs et d'intentions perfides, d'actions républicaines et de principes contre-révolutionnaires.

Citoyens des sections, vous ne portez à ces repas que de la franchise et de la gaieté; mais tous vos convives, tous vos voisins, sont-ils francs et purs comme vous? Le vin précieux qu'ils vous portent n'est que de l'opium: ils veulent vous endormir, au lieu de fraterniser.

Le républicain doit porter son tribut d'observation: comment régénérer les mœurs avec cette confusion bizarre de citoyens, avec ce mélange inconsidéré des sexes au milieu des banquets dans les ombres de la nuit, et après des repas où le vin et la joie la plus immodérée ont présidé, quelquefois même des intentions perverses? Comment porter les citoyens à la tempérance et à l'économie, sources de toutes les vertus; l'économie, qui tend à nous rendre plus libres en diminuant nos besoins, en nous affranchissant d'une foule de dépenses; l'économie, qui assure l'existence, qui déjoue les rois coalisés, qui présente des ressources aux citoyens et des subsistances aux armées? Nous ne cesserons de le répéter aux citoyens : l'économie, la tempérance et la modestie sont les vertus inséparables du vrai républicanisme; et les banquets tumultueux chassent les vertus de la République.

Les mœurs n'y gagnent pas, car ces banquets forcent les patriotes à contraindre leurs sentiments envers les aristocrates ou les modérés, et à mêler leurs vœux sincères pour la République avec le toast hypocrite des contre-révolutionnaires.

La victoire, mise en permanence par nos armées avait ouvert tous les cœurs à une joie légitime et franche, et des fêtes civi– ques avaient mis le sceau à cette joie nationale. Ces fêtes suffisaient aux bons citoyens elles ne suffisaient pas aux jalousies aristocratiques, et leurs complots pouvaient en recevoir une activité plus grande de là des fêtes nouvelles, des fêtes plus générales, plus multipliées, plus tumultueuses. Une musique brillante, des chants guerriers, un rassemblement majestueux comine le peuple lui-même, lui donnaient une attitude trop belle et des plaisirs

trop relevés; il a fallu les empoisonner par des craintes de suspicion, et les multiplier jusqu'à satiété.

A une fête simple et décente on a voulu substituer des orgies, aux effets délicieux et moraux d'un art sublime, à la poésie et à la musique, on a fait succéder l'intempérance et la prodigalité. Est-ce donc au moment où le gouvernement veille nuit et jour pour l'approvisionnement de quatorze armées et de six cents districts, que nous devons gaspiller les matières de premier besoin, et consommer en un jour les subsistances d'une décade?

Ce fut là toujours le prélude de toutes les conspirations, lorsque des époques révolutionnaires accompagnaient les grandes démonstrations de joie publique; et la Saint-Birthélémy, cette orgie royale, fut méditée et couverte par des fêtes et des spectacles multipliés, dans le même palais où je porte aujourd'hui la parole.

Le Palais-Égalité, couvert un instant de tables fraternelles et rempli d'acclamations passagères pour la République, ne présentera-t-il plus désormais lusure du négoce et l'aridité des profits? Ne sera-t-il plus la forêt des contre-révolutionnaires, des aristocrates, des émigrés, la caverne des joueurs et le repaire du vice? Les ennemis de l'égalité l'aimeront-ils mieux parce qu'ils auront diné les pieds dans la boue,et le cœur à Londres, à Viennė ou à Coblentz?

Vous voyez que les républicains avaient peur même de la fraternité.

IV

Allons au théâtre. Le vrai théâtre est à la barrière du Trône, c'est Samson qui le vers le coucher du soleil. Mais sont toujours en faveur. Il y a Sparte.

donne tous les jours l'Opéra et la Comédie encore des Athéniens à

La Révolution avait entraîné, fasciné, enivré tout le monde, j'usqu'aux esprits les moins révolutionnaires. M. de la Harpe, qui croyait à toutes les monarchies de l'esprit humain, qui n'aurait pas même voulu se dire citoyen de la République des lettres, était devenu

le citoyen La Harpe, et se présentait devant l'Assemblée nationale avec une pétition où il demandait la liberté des spectacles. Le premier, il donnait son coup de cognée à ce trône impérissable de la Comédie française où il avait eu, les lendemains de Molière, sa part de royauté.

La clôture de 1791 fut le signal du démembrement et de la ruine du Théâtre-Français. Talma, Grandmesnil, Dugazon, allèrent tenter la fortune au théâtre Dorfeuil, où Monvel régnait, où bientôt mesdemoiselles Vestris et Desgarcins, deux étoiles incomparables, les suivirent de près. Il y eut donc deux Théâtres-Français; heureusement que pour le théâtre of iciel Fleury et mademoiselle Contat y gardèrent le masque de la haute comédie.

Ce fut la révolution et le carnaval des théâtres. La Montausier elle-même voulut se mettre au diapason du grand art. Que dis-je? elle osa tenter les périls de la tragédie; elle eut la bonne fortune d'engager les deux Sainval, ces deux princesses adorables de Racine, dont le marbre a consacré la beauté. Le pompeux Damas y jouait les premiers rôle et l'odieux Grammont y rugissait les tyrans.

Il y eut d'autres tentatives. Fleury lui-même abandonna la maison de Molière et de Corneille pour tente la fortune d'un nouveau théâtre dans la salle de la rue de Louvois avec mademoiselle Raucourt et Larive, mais le public avait assez de théâtres sérieux; c'était déjà trop alors du théâtre de la Nation et du théâtre de la République. On y jouait d'ailleurs des pièces qui n'étaient ni des tragédies, ni des comédies, ni des drames, on y jouait des à-propos révolutionnaires, les saturnales de l'esprit et de la bêtise, comme le Père Jacobin, Mirabeau aux Champs-Elysées, le Jugement. dernier des rois.

Quoiqu'on criât alors la liberté sur toutes les gammes, il y avait une censure même à l'Opéra, où l'on refit la moitié des vers de Castor et Pollux, car il

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