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sus, bras-dessous. Ce fut de ce jour-là que data le Vieux Cordelier, un sublime testament. Ce fut ce jour-là que Danton s'écria: « J'en ai assez, des hommes!» En passant sur le pont National, il crut voir un fleuve de sang.

La pluie de sang mouilla Bourbon de l'Oise. Il s'essuya le front de sa carmagnole et fut tout barbouillé.

Le lendemain, à la séance de la Convention, il s'indigna avec son éloquence en bonnet rouge: «< Pour« quoi donc, s'écria-il, quatre malheureux sont-ils «< amenés en même temps que nous sur la place de la << Révolution pour nous souiller de leur sang ! C'est un << système ourdi par les malveillants, pour faire dire << que la représentation nationale est composée de <«< cannibales! Et cependant il n'y a pas un membre <«< qui ai frémi. Ne souffrons pas qu'on puisse dire << chez l'étranger que la Convention est allée se re<< paître du supplice de quatre condamnés! Qu'allions«< nous faire là? Nous allions célébrer la mort d'un << roi, le châtiment d'un mangeur d'hommes; mais << nous ne voulions pas souiller nos regards par ce << spectacle. Il faut savoir s'il y a eu un dessein prémé<< dité? Oui, il y avait sans doute des coquins sou<< doyés pour se moquer de notre sensibilité ! »

O homme sensible! Que prouve tout ceci? C'est qu'il n'y avait qu'un pouvoir et qu'un gouvernement: la guillotine! La guillotine, ministre de la terreur, ministres de la justice, ministre des finances, puisqu'elle battait monnaie sur la place de la Révolution, comme l'a dit Barère, cet agile Barère, qui faisait un rapport éloquent sur toutes les victoires et un mot spirituel sur toutes les phases de la Révolution.

II

Ce fut là que six mois plus tard se rencontrèrent encore des montagnards célèbres, moins les dantonistes et les hébertistes: - ceux-là étaient revenus sur la place de la Révolution, mais pour donner à leur tour un grand festin aux furies de la guillotine.

Barras a souvent raconté au docteur Cabarrus et à ses autres convives de Chaillot cette curieuse rencontre des dictatoriens et des thermidoriens, le 7 thermidor, à neuf heures du soir.

Barras, Fréron, Tallien, Rovère, Ysabeau, DuboisCrancé, Javogues, les futurs thermidoriens, avaient soupé ce jour-là aux Champs-Elysées, au cabaret de Ledoyen, qui s'est renouvelé plusieurs fois, mais qui a toujours gardé son enseigne primitive.

Les thermidoriens avaient dîné sous les arbres, ne craignant pas de confier au vent leur rêve hardi.

Par une de ces coïncidences que la destinée des hommes et des nations s'amuse à créer, les deux Robespierre, David, Saint-Just, Le Bas, et quelques autres conventionnels voulant la dictature, soupaient à la même enseigne, accompagnés par aventure de Méhul.

Comme on voit, c'était de part et d'autre les premiers rôles, la fleur des pois, le dessus du panier. Aussi étaient-ils tous habillés avec style ou avec recherche. Pas une carmagnole, pas un bonnet rouge*.

* Dans les premiers jours de thermidor, les forces actives de la Convention étaient partagées entre cinq groupes, qui avaient leurs satellites dans les comités et dans les clubs:

Robespierre, Couthon, Saint-Just;

Tallien, Barras, Fréron;

Barère, Billaud-Varennes, Collot-d'Herbois;

Carnot, Chénier, Thuriot;

Siéyès, Boissy d'Anglas, Cambacérès.

2

Comme Robespierre ne confiait pas au vent l'espérance du lendemain, lui et ses amis soupaient dans un salon réservé.

Peut-être écoutaient-ils les thermidoriens par la fenêtre; mais à coup sûr ils ne laissèrent pas tomber une parole imprudente du haut du balcon rustique de ce cabaret.

Que disait-on ? Les conversations elles-mêmes avaient été transmises par Barras: je tenterai de les retrouver presque mot à mot, comme un peintre qui restitue un tableau sur les vestiges du dessin et de la couleur, comme un historien qui crée dans la vérité.

En haut, on parla beaucoup de la fète du 10 thermidor, la fête de Barra et de Viala, sans pressentir que la fête du 10 thermidor serait le spectacle de leur mort à tous, moins David et Méhul.

Robespierre qui voulait masquer le trouble de son âme, peut-être la peur du lendemain, car la terreur régnait jusque sur les terroristes, ouvrit un papier public, et lut ceci de sa voix aigrement officielle :

« Le citoyen Chapelier, sculpteur, vient de mettre en évidence, au boulevard Antoine, à l'enseigne du Père La Joie, les figures de la Liberté, de la Raison, et de l'Égalité. Ces figures allégoriques ont été modelées exprès la Liberté et la Raison sont disposées pour faire pendant dans leurs proportions respectives. L'égalité a cinq pieds et demi de haut. Ces trois figures en plâtre sont représentées debout. On peut faire des demandes des départements, en écrivant à l'artiste, à l'adresse ci-dessus. »>

Après avoir lu, Robespierre s'indigna à fleur de lèvre qu'un sculpteur prît pour enseigne: Au Père La Joie, pour vendre des statues de déesses aussi solennelles. David opina comme Robespierre. « As-tu vu ces statues, David? Oui; elles sont d'un artiste. » Robespierre voulait que sa domination passât jusque sur le front des artistes. « C'est bien, dit-il, mais sont-elles

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d'un citoyen? Peut-être, dit David, ne respirentelles pas l'enthousiasme de la religion républicaine, mais elles ont la force et la gravité; elles ont aussi quelque chose du peuple. »><

Robespierre n'était jamais content : « Il faut, dit-il, se garder de toutes ces courtisaneries. Les tyrans voulaient que les déesses prissent les figures de leurs maîtresses. Les citoyens doivent surtout s'adresser à la philosophie pour trouver l'inspiration. Il est inutile de dire cela à M. Méhul *; je suis bien sûr que sa musique sera digne de la fête héroïque de Barra et Viala. Il faut que cette fête du 10 thermidor soit une grande page. Oui, dit David, le citoyen Méhul a toute l'énergie d'un cœur républicain; mais, en vérité, la poésie du citoyen Davrigny ne crée pas l'enthousiasme. Pourquoi donc Chénier n'a-t-il pas écrit ces strophes ? Parce que Chénier n'est pas toujours inspiré par la nation, dit Saint-Just. Chénier passe aux mécontents. A qui la faute si le frère de Chénier a conspiré contre la Révolution? dit Robespierre. Platon avait raison contre les poètes: il faut les bannir de la République.

Un silence glacial répondit aux paroles de Robespierre. On savait qu'André Chénier avait une heure. auparavant payé de sa tête ses vers immortels.

Saint-Just, qui voyait l'inquiétude passer sur le front de Robespierre, essaya une plaisanterie funèbre : « Platon bannissait les poètes tout en les couronnant de roses; mais Platon n'habitait que les jardins de la République. Nous qui sommes de Sparte, nous avons la vertu de la justice. Après cela, les poètes ne sont

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* On a dit que Robespierre mourant avait remercié un citoyen compatissant par ces mots : « Merci, monsieur. » Et on a supposé que Robespierre prévoyait la réaction thermidorienne qui devait supprimer le mot citoyen. On a oublié que le mot monsieur n'a jamais été banni tout à fait de la belle compagnie, et Robespierre voulut toujours être un homme de belle compagnie.

pas rares. Avec le citoyen Davrigny, nous avons les citoyens Andrieux * et Trouvé. »

*Andrieux avait envoyé à Robespierre ces strophes sur la fêt e prochaine. Tel tyran, tel poète.

LES JEUNES GARÇONS

Voyez au bord de la Durance.
Viala s'armer et marcher !
Cruels ennemis de la France,
Seul il vous défend d'approcher!
Son âme courageuse et forte,

En mourant garde sa fierté.

«Ils ne m'ont pas manqué, lcs traîtres! mais n'importe,

Je meurs pour la patrie et pour la liberté! »

Comment trouvez-vous ce n'importe? mais nous voici à PazeЛn.

LES MÈRES

Palaiseau, riante vallée,

C'est toi qui vis naître Barra!
Là, de sa vertu signalée,

Le souvenir toujours vivra.
Aimant sa mère et sa patrie,

Plein de valeur et de bonté,

Entouré d'assassins, il le brave et s'éeric:
« Je suis républicain... haine à la royauté! »

LES MÈRES

Telle une sensible bergère.
Qui voit périr en un matin
La fleur si brillante et si chère
Qu'aimait à cultiver sa main :
Elle regrette sa parure,

Hélas! et la regrette en vain!

Mais bientôt à ses vœux l'indulgente nature

Rend de nouvelles fleurs dont elle orne son sein.

O douleur éternelle des Muses! ô deuil profond de la poésie ! le jour où on coupait cette tête « où il y avait pourtant quelque chose », Andrieux, « poète civique », rimait ces vers de mirli

ton.

Les républicains, même ceux qui, comme SaintJust, avaient le sentiment de la prose forte et colorée, en étaient encore à cette poésie aux pâles couleurs,

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