Page images
PDF
EPUB

prenait la plume pour signer l'ordre de la rébellion, et la plume lui tombait des mains. Saint-Just, le seul homme d'action, se croisait stoïquement les bras pour obéir à son maître. Et pourtant la révolte levait la tête et criait aux armes. Les sections se demandaient partout si la patrie n'était pas plutôt dans le camp de Robespierre que dans le camp de Tallien. Une ondée diluvienne ne fut-elle pas pour quelque chose dans l'apaisement de la révolte? Combien qui, mouillés jusqu'aux os, rentrèrent dans la nuit pour ne plus sortir que le malin, quand tout était fini! Toute cette histoire du 9 thermidor est encore à faire *.

Si Saint-Just eût pris l'épée d'Hanriot, il pouvait sauver la République, mais il brisa sa volonté devant Robespierre, et tout fut perdu pour tous les deux.

Tallien veillait et donnait la fièvre à Barras; il savait bien que tant que Robespierre et Saint-Just seraient debout, tout était à craindre. On n'abat pas du premier coup de pareils ennemis. Tallien se multipliait; il était à la Convention, il était au milieu des soldats, il ne voulait pas que le soleil se levât sans que la Commune fût assaillie, sans que les rebelles fussent fusillés.

Robespierre se voyant trahi par les siens, ne voulut livrer qu'un homme mort à ses ennemis.

:

Le Bas avait déposé deux pistolets devant lui sur la table. Comme Saint-Just, Le Bas était un homme d'action plus d'une fois lui aussi avait décrété la victoire; c'était l'heure de décréter la mort. Quand Robespierre comprit, par les bruits du dehors, par les cris des vainqueurs dans l'escalier, que le moment était venu, il saisit un pistolet et l'arma contre son front; mais la balle lui fracassa la figure et ne le tua point. Robes

* Un historien viendra qui écrira ce livre en s'inspirant des belles pages de Lamartine, de Michelet, de Louis Blanc, d'Alphonse Esquiros, en s'inspirant surtout de la vérité, vivante encore par les souvenirs, par les traditions, par les journaux du temps.

bespierre n'était pas familier aux armes. Quand Barras apparut d'un air un peu théâtral, le coup venait de partir; il vit son ennemi la bouche ruisselante de sang, la tête renversée, mais le regard toujours fier. Robespierre était à moitié mort, mais il ne voulait pas s'avouer vaincu.

Quel tableau ! Comment David n'a-t-il pas tenté de peindre cette scène tragique: Robespierre blessé mortellement, soulevé par son cher Saint-Just, Couthon méditatif de l'autre côté de la table, Le Bas mourant aux pieds de Robespierre, le frère de Robespierre ouvrant une fenêtre pour s'y précipiter.

Cette page manque à l'oeuvre du peintre révolutionnaire.

On a accusé Saint-Just d'avoir voulu fuir; Barras dans ses Mémoires, Barras son ennemi, le représente donnant des soins à Robespierre. Ceux qui aiment Saint-Just seront heureux du témoignage tardif de Barras il est beau de voir Saint-Just jusqu'au dernier moment se sacrifier à ce mauvais maître qu'il avait accepté, mais qu'il dominait de toute sa grandeur.

Le gendarme Méda se vanta, on ne sait pourquoi, d'avoir tué lâchement Robespierre sans défense; mais Barras fit justice de ce mensonge. Le Moniteur, d'ailleurs, tout en consignant la déclaration de Méda, semble n'y pas croire, si j'en juge par ce paragraphe:

<< Après la chute de la commune, Robespierre fut apporté dans l'avant-chambre du Comité de salut public. Là, étendu sur une table qui avait plus d'une fois servi à recevoir les ordres qu'il dictait, ayant une boîte de sapin pour oreiller, il essuyait la salive ensanglantée qui sortait de sa bouche avec l'étui d'un pistolet sur lequel était cette adresse: Au grand monarque. C'était le titre qu'avait ambitionné ce lâche scélérat, qui pendant toute la matinée de ce jour-là même avait agité un canif sans oser s'en frapper, et qui, le soir encore, après qu'il eut été vaincu, ne put trouver le courage de ne pas se manquer. »

On était alors si bien habitué au sang, que pendant huit jours«< cette table où on avait déposé Robespierre était encore teinte de son sang, ce qui n'empêchait pas les membres du Comité de délibérer. Quelle inattention ou quelle attention inqualifiable chez ses collègues!» C'est Barras qui parle.

Robespierre teignant de son sang la table de ce comité, où lui-même, Carnot, Saint-Just, Couthon et les autres avaient signé le renouvellement du monde, n'est-ce pas un tableau qui manque à l'œuvre de celui qui avait peint Marat assassiné dans sa baignoire?

XXV

Robespierre avait encore bien des supplices à traverser. Il gardait la dignité du silence. Quelle fut sa pensée pendant ces longues heures d'angoisse?

A la Conciergerie, car il lui fallut à lui aussi subir cette prison, -il demanda une plume. Le guichetier, qui s'inquiétait peu de savoir la pensée de Robespierre, lui demanda en raillant si c'était pour écrire à son Être Suprême. « Ce n'est pas la peine, ajouta ce bel esprit funèbre, puisque tu vas l'aller voir. » La mort de Robespierre grandit sa vie : il eut quelque chose du martyr, comme Saint-Just eut quelque chose de l'apôtre.

Hoche, qui était prisonnier, vit passer Saint-Just devant lui. C'était son ennemi, mais il le salua. Quel ennemi ne s'inclinerait devant le génie qui tombe!

On sait la fin. On sait toutes les horreurs du dernier voyage. On sait que Robespierre et ses amis ne pâlirent pas devant la mort. Saint-Just sur l'échafaud leva fièrement, pour la dernière fois, cette belle tête au profil antique, qui n'avait pâli ni devant le canon des ennemis, ni devant le spectacle de la guillotine.

Ce fut la grande figure de la Révolution, car SaintJust n'avait eu que l'amour de la République, et que l'ambition de la patrie; il mourut dans sa jeunesse, dans sa beauté, dans sa grandeur, portant déjà sur le front ce rayon d'immortalité qui illumine sa figure dans l'histoire.

XXVI

Térézia Cabarrus armant Tallien, tua la Révolution. C'est la faute de la Révolution, qui tuait le génie, qui tuait la grandeur, qui tuait la femme, qui tuait toujours.

Il est beau, quand la patrie est en danger, d'être héroïque à la frontière; mais la guillotine ne sera jamais un gouvernement. «Elle fait tout, » disait Barère ; mais madame Tallien disait : « Chaque coup de hache fait une blessure à la nation. >>

Voilà la moralité du poignard de Tallien. Voilà pourquoi le 9 thermidor fut un jour de joie.

Ce fut aussi un jour de deuil.

Le 9 termidor fut le sommet sanglant de la Révolution: elle est allée descendant et se perdant dans les sables de la plaine, comme le Rhin.

Robespierre et Saint-Just emportaient avec eux la dernière illusion de la démocratie. Ils furent sacrifiés par des républicains qui ne croyaient pas frapper la République. Robespierre et Saint-Just, citoyens stoïques, sculptés sur le modèle des anciens âges, inébranlables dans leur foi politique et dans leur probité farouche, avaient tout immolé, les joies de la vie, les joies de la jeunesse, les fêtes du cœur humain, à la Révolution qui les immola. L'antiquité eût élevé une statue à Saint-Just et eût mis dans ses mains de marbre les tablettes de marbre de la loi. Robespierre a

[ocr errors]

---

laissé au monde la figure austère des vertus républicaines. Leur tort ils l'expièrent fut d'avoir dominé par la terreur: la terreur les étouffa. Ils furent engloutis dans l'abîme qu'ils avaient creusé euxmêmes.

A Saint-Just, qui lui conseillait de marcher contre la Convention, Robespierre répondit : « Et au nom de qui? » Au nom de qui avait-on détruit les Girondins? au nom de qui avait-on immolé les dantonistes ? En proclamant la tyrannie des majorités, en faisant de cette tyrannie un moyen de gouvernement, en lui donnant le glaive pour sceptre, Robespierre et Saint-Just avaient perdu de vue la souveraineté nationale.

Avec eux finit le Terreur: je me trompe, le glaive se retourna. L'échafaud avait soif encore, il ne se désaltéra que dans le sang des terroristes.

La plupart des hommes qui ont fait le 9 thermidor se reprochèrent plus tard la part de complicité qui leur revenait dans cette sombre tragédie. Ils avaient décapité la Révolution.

Pourquoi avaient-ils laissé la Révolution décapiter la France? au lieu d'un échafaud il ne fallait qu'une Bastille.

Ils tentèrent de grouper les derniers Romains devant l'image austère ; mais Barras, appuyé sur Bonaparte, fit le lendemain du 9 thermidor: le 13 vendémiaire.

Ce jour-là, Tallien pleura la République. Ce fut sa vraie femme il ne divorça pas avec celle-là. Lui pardonnera-t-elle son coup de poignard?

Le 13 vendémiaire fut le jour de Barras et l'aurore de Bonaparte.

En protégeant la Convention contre l'émeute, Bonaparte n'avait sauvé qu'un fantôme; mais ce fantôme était la loi. C'en était assez pour absoudre sa jeune épée du sang des Parisiens.

La Convention nationale devait finir comme Romu

« PreviousContinue »