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LIVRE I

I

OF THE

UNIVERSITY

CALIFORNI

LA REVOLUTION ET LES RÉVOLUTIONNAIRES

La monarchie n'était plus qu'un nom, la noblesse n'était plus qu'un souvenir, l'Assemblée constituante elle-même ne fut bientôt.plus qu'une ombre.

Il ne restait en France que cette reine dont parle Pascal, l'Opinion.

C'était à l'Opinion de gouverner le mouvement. Mais les morts vont vite! Naguère c'était le régime féodal qui avait vécu et dont la nuit du 4 août avait signé le testament; le 21 juin, c'était la royauté qui se suicidait par la fuite; le 17 juillet, c'était l'Assemblée qui prononçait moralement sa déchéance dans sa victoire du Champ de Mars. A partir de ce jour, ellc se prolonge, elle ne vit plus. Un instant, elle veut enrayer le mouvement, soumettre la Révolution qu'elle a déchaînée, mettre des fers à l'Océan. O Xerxès, tu ris, toi qui faisais fouetter la mer, coupable d'avoir englouti tes vaisseaux ! Et toi, Mirabeau, où es-tu, pour fouetter la Révolution?

<< Mirabeau se meurt! Mirabeau est mort! » Ce cri traversa la France comme un sanglot. La parole de la Révolution venait de s'éteindre. L'armoire de fer a parlé ses révélations posthumes ont traduit cette grande ombre au tribunal de l'histoire. Seulement l'his

toire hésite entre les services rendus par ce terrible génie à la Révolution et les services qu'il voulait rendre à la Résistance.

J'aime mieux voir ce grand orateur par le côté rayonnant de sa vie. Ainsi considéré, Mirabeau est sublime: fils du privilège, il écrase sous son talon de géant une société qui le méconnaissait. Si ce fut une vengeance, elle était digne des dieux. Ses vices complètent la physionomie effrayante de ce Titan de la tribune.

Les révolutions abondent en traits heurtés; il leur faut des représentants à leur image. Mirabeau sortit ducerveau de la Révolution française, comme la Sagesse antique du front martelé de Jupiter : seulement c'était la Sagesse terrible, monstrueuse, effarée, qui venait dire à l'ancien monde : Tu as menti!

Après avoir tué la royauté il est mort aux gages de la royauté. Mais les orages portent les nuées fécondes sans avoir le sentiment de leur mission.

Il mourut, ne regrettant qu'une chose: ne point laisser son génie sur la terre. En cela il se trompait : Mirabeau mort survécut à Mirabeau. L'œuvre n'y perdit rien. Cette perte attrista, elle ne découragea point les agitateurs du progrès. Tout le monde sentait que la pensée de l'avenir n'était point descendue avec lui dans le tombeau. « Le Roi est mort: Vive le Roi! >> disaient sous l'ancien régime ceux qui croyaient à la continuité de la prérogative souveraine. Cette fois les peuples s'écrièrent: «Un révolutionnaire est mort : vive la Révolution! >>

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A la voix de la tribune répond le mugissement des clubs. La force de la Révolution est désormais une force souterraine. Non-seulement l'Assemblée nationnal sent fuir sous ses pieds la popularité; mais elle

doute du lendemain. Son œuvre est terminée; ses pouvoirs expirent; elle expire avec eux. Dévouement ou impuissance, elle se déclare elle-même incapable de se survivre ses membres ne seront point rééligibles. On a blâmé cette mesure, mais pour la juger il faut se placer au point de vue des évènements. Tous les fondements de l'Etat étaient ébranlés; toutes les réputa tions étaient atteintes par l'impitoyable critique d'une presse exercée à la discussion. Disparaître à temps, c'est le secret des hommes d'Etat. Presque tous sentaient le besoin de se retremper dans le silence, dans la retraite, dans une obscurité nécessaire à leurs dessins.

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Quand on l'examine à distance, l'œuvre de la Constituante paraît colossale. Plus de distinctions d'ordres ; ni jurandes, ni corporations, ni professions, ni arts et métiers; tous les citoyens admissibles aux places et aux emplois; l'égalité de la justice; les mêmes délits punis des mêmes peines; le royaume déclaré un et indivisible; le territoire distribué en quatrevingt-trois départements; l'ordre religieux séparé de l'ordre civil; le pouvoir législatif dévolu à une assemblée unique; toute l'ancienne France avait disparu en trois années, la France nouvelle était sortie du nuage entremêlé d'éclairs qui voilait encore le front sévère de la Révolution.

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L'Assemblée constituante reste et restera dans l'histoire moderne comme le symbole de la régénération politique d'un grand peuple. Le génie, la vertu, la parole, tous ces rayons immortels de la Divinité qui traversent le cerveau humain, éclairent cette tribune auguste.

Là, pour la première fois, on vit la raison triompher de l'ignorance.

Elle se couvrit de la liberté contre la liberté même. Elle adoucit les lois, elle connut la pitié, elle jeta dans le monde ce cri de la conscience humaine. Elle eut ses orages, mais il en sortit toujours la lumière. Ses bien

faits ne coûtèrent point une larme à l'humanité. Grande elle-même, elle honora les grands hommes. Elle se souvint des aïeux, du génie, des penseurs qui avaient souffert pour le triomphe de la cause sainte. Aux mânes de Voltaire et de Jean-Jacques Rousseau, elle ouvrit le Panthéon. Elle intéressa le cœur humain au progrès de l'intelligence. Son nom réveille plus qu'un souvenir: il prolonge d'écho en écho le frémissement du droit.

Elle fut le concile des idées. Les bornes de la France étaient trop étroites pour ses sentiments infinis; elle effaça les limites morales des nations; elle embrassa toute l'humanité dans sa charité envahissante. Ses erreurs, et elle en eut, lui seront pardonnées devant l'histoire, car elle a beaucoup aimé.

III.

L'Assemblée législative fut une transition. Etranglée entre la Constituante et la Convention, ces deux géantes, elle ne développa sa force que sur un champ limité. Et pourtant l'éloquence, l'audace, le cliquetis des opinions extrêmes, rien ne lui manqua. Son mandat était circonscrit; les évènements agrandirent le cercle. de ce mandat arbitraire. Elle devait interpréter la Constitution, et ce fut elle qui l'abolit, au bruit du canon, le 10 août.

La royauté était encore malade de sa fuite. L'Assemblée législative l'attaqua par deux décrets. Le premier, celui contre les émigrés, rencontra les affections secrètes de Louis XVI; le second, celui contre les prêtres réfractaires, rencontra sa conscience. Il résista. Une arme restait à ce pouvoir affaibli, le veto. Le roi opposa cette arme négative à la Révolution envahissante. Il était trop tard.

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