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nos plus mortels ennemis, seuls, égarés, si loin de tout secours humain! et puis, pour ne rien omettre de ce qui pouvait nous perdre, il fit le riche, promit à ces gens, pour la dépense et pour nos guides le lendemain, ce qu'ils voulurent. Enfin il parla de sa valise, priant fort qu'on en eût grand soin, qu'on la mît au chevet de son lit; il ne voulait point, disait-il, d'autre traversin. Ah! jeunesse, jeunesse! que votre âge est. à plaindre! Cousine, on crut que nous portions les diamants. de la couronne ... c'était les lettres de sa fiancée!

Le souper fini, on nous laisse; nos hôtes couchaient en bas; nous, dans la chambre haute où nous avions mangé; une soupente élevée de sept à huit pieds, où l'on montait par une échelle, c'était là le coucher qui nous attendait, espèce de nid, dans lequel on s'introduisait en rampant sous des solives chargées de provisions pour toute l'année. Mon camarade y grimpa seul et se coucha tout endormi, la tête sur la précieuse valise. Moi, déterminé à veiller, je fis bon feu et m'assis auprès. La nuit s'était déjà passée presque entière assez tranquillement, et je commençais à me rassurer, quand, sur l'heure où il mesemblait que le jour ne pouvait être loin, j'entendis au-dessous. de moi notre hôte et sa femme parler et disputer, et, prêtant l'oreille par la cheminée, qui communiquait avec celle d'en bas, je distinguai parfaitement ces propres mots du mari: „Eh bien! faut-il les tuer tous deux ?" A quoi la femme répondit: „Oui.“ Et je n'entendis plus rien.

Je restais respirant à peine, tout mon corps froid comme un marbre; à me voir, on n'eût su si j'étais mort ou vivant. Dieu! quand j'y pense encore! Nous deux, presque sans armes, contre eux, douze ou quinze, qui en avaient tant! Et mon camarade mort de sommeil et de fatigue! L'appeler, faire du bruit, je n'osais; m'échapper tout seul, je ne pouvais; la chambre n'était guère haute, mais en bas deux gros dogues hurlant. comme des loups. . . En quelle peine je me trouvais! Qu'on l'imagine si l'on peut. Au bout d'un quart d'heure qui fut long, j'entendis sur l'escalier quelqu'un, et par la fente de la porte, je vis le père, sa lampe dans une main, dans l'autre un de ses grands couteaux. Il montait, sa femme après lui, moi derrière la porte; il ouvrit: mais avant d'entrer il posa la lampe, que sa femme vint prendre, puis il entra pieds nus, et elle de dehors lui disait à voix basse masquant avec ses doigts le trop

de lumière de la lampe: „Doucement, va doucement."

Quand il fut à l'échelle, il monte, son couteau dans les dents, et venu à la hauteur du lit (ce pauvre jeune homme, étendu, offre sa gorge découverte), d'une main il prend son couteau, et de l'autre. . . Ah! de l'autre... il saisit un jambon qui pendait au plafond, en coupe une tranche, et se retire comme il était venu. La porte se referme, la lampe s'en va, et je reste seul à mes réflexions.

Dès que le jour parut, toute la famille, à grand bruit, vint nous éveiller, comme nous l'avions demandé. On apporte à manger, on sert un déjeuner, fort bon, fort propre, je vous

assure.

Deux poulets en faisaient partie, dont il fallait, dit notre hôtesse, emporter l'un et manger l'autre. En les voyant, je compris enfin le sens de ces terribles mots: „Faut-il les tuer tous deux ?"

P.-L. Courrier: Lettre à sa cousine.

49. UN NEZ GELÉ.

Les premiers jours où Saint-Pétersbourg eut revêtu sa robe blanche furent pour moi des jours de curieux spectacle, car tout m'était nouveau. Je ne pouvais surtout me lasser d'aller en traîneau, car il y a une volupté extrême à se sentir entraîné, sur un terrain poli comme une glace, par les chevaux que la vivacité de l'air excite, et qui, sentant à peine le poids de leur charge, semblent voler plutôt que courir. Ces premiers jours furent d'autant plus agréables pour moi, que l'hiver, avec une coquetterie inaccoutumée, ne se montra que petit à petit, de sorte que j'arrivai grâce à mes fourrures, jusqu'à vingt degrés presque sans m'en être aperçu.

J'avais tant fait courir mes malheureux chevaux, que mon cocher me déclara un matin que, si je ne leur laissais pas quarante-huit heures au moins de repos, au bout de huit jours ils seraient tout à fait hors de service. Comme le ciel était très beau, quoique l'air fût plus vif que je ne l'avais encore senti, je me décidai à faire mes courses en me promenant; je m'enveloppai d'une grande redingote d'astracan 1), je m'enfonçai un bonnet fourré sur les oreilles, je roulai autour de mon cou

1) Astrachanpelz, verkürzt für rédingote doublée (gefüttert) de fourrure d'Astracan. Astracan oder Astrachan ist der Name eines russischen Bezirkes, der an der Mündung der Wolga gelegen ist.

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une cravate de cachemire, et je m'aventurai dans la rue, n'ayant de toute ma personne que le bout du nez en l'air.

D'abord tout alla à merveille; je m'étonnais même du peu d'impression que me causait le froid, et je riais tout bas de tous les contes que j'en avais entendu faire; j'étais, au reste, enchanté que le hasard m'eût donné cette occasion de m'acclimater. Cependant, après quelque temps, je crus remarquer que les personnes que je croisais, me regardaient avec une certaine inquiétude, mais cependant sans me rien dire. Bientôt un monsieur, plus causeur à ce qu'il paraît, que les autres, me dit en passant: „Noss!" Comme je ne savais pas un mot de russe, je crus que ce n'était pas la peine de m'arrêter pour un monosyllabe, et je continuai mon chemin. Au coin de la rue des Pois, je rencontrai un cocher qui passait ventre à terre en conduisant son traîneau; mais, si rapide que fût sa course, il se crut obligé de me parler à son tour, et me cria: „Noss, noss!“ Enfin, en arrivant sur la place de l'Amirauté, je me trouvai en face d'un homme du peuple, qui ne me cria rien du tout, mais qui, ramassant une poignée de neige, se jeta sur moi, et avant que j'eusse pu me débarrasser de tout mon attirail, se mit à me débarbouiller la figure et à me frotter particulièrement le nez de toute sa force. Je trouvai la plaisanterie assez médiocre, surtout par le temps qu'il faisait, et, tirant un de mes bras d'une de mes poches, je lui allongeai un coup de poing qui l'envoya rouler à dix pas. Malheureusement ou heureusement pour moi, deux paysans passaient en ce moment, qui, après. m'avoir regardé un instant, se jetèrent sur moi, et, malgré ma. défense, me maintinrent les bras, tandis que cet enragé, auquel je venais de donner un coup si violent, ramassait une autre poignée de neige et se précipitait de nouveau sur moi. Cette fois, profitant de l'impossibilité où j'étais de me défendre, il se mit à recommencer ses frictions. Mais, si j'avais les bras pris, j'avais la langue libre; croyant que j'étais la victime de quelque méprise ou de quelque guet-apens, j'appelai de toute ma force au secours. Un officier accourut et me demanda en français à qui j'en avais.

„Comment! monsieur," m'écriai-je, en faisant un dernier effort et en me débarrassant de mes trois hommes, qui, de la manière la plus tranquille du monde, se remirent à continuer leur chemin; „vous ne voyez donc pas ce que ces drôles me

,,Que vous faisaient-ils done?"

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faisaient?" Mais il me frottaient la figure avec de la neige. Est-ce que vous trouveriez cela une plaisanterie de bon goût, par hasard, avec le temps qu'il fait?" - "Mais, monsieur, ils vous rendaient un énorme service," me répondit l'officier. Comment cela?" ,,Sans doute, vous aviez le nez gelé." Miséricorde!" m'écriai-je, en portant la main à la partie menacée.

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„Monsieur," dit un passant en s'adressant à l'officier, „je vous préviens que votre nez gèle." „Merci, monsieur," dit l'officier comme si on l'eût prévenu de la chose la plus naturelle du monde, et, se baissant, il ramassa une poignée de neige, et se rendit à lui-même le service que m'avait rendu le pauvre homme que j'avais si brutalement récompensé de son obligeance. C'est-à-dire alors, monsieur, que sans cet homme..."

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,,Vous

n'auriez plus de nez," continua l'officier, en se frottant le sien. „Alors, monsieur, permettez ..."

Et je me mis à courir après mon homme, qui, croyant que je voulais achever de l'assommer, se mit à courir de son côté, de sorte que, comme la crainte est naturellement plus agile que la reconnaissance, je ne l'eusse probablement jamais rattrapé, si quelques personnes, en le voyant fuir et en me voyant le poursuivre, ne l'eussent pris pour un voleur, et ne lui eussent barré le chemin. Lorsque j'arrivai, je le trouvai parlant avec une grande volubilité, afin de faire comprendre qu'il n'était coupable que de trop de philanthropie; dix roubles que je lui donnai expliquèrent la chose. Le pauvre diable me baisa les mains, et un des assistants, qui parlait français, m'invita à faire désormais plus d'attention à mon nez. L'invitation était inutile; pendant tout le reste de ma course je ne le perdis pas de vue.

Alexander Dumas.

!

II. Abschnitt.

Aus Frankreichs Geschichte.

1. CLOVIS.

Au cinquième siècle après Jésus-Christ, les Francs partis des bords de l'Escaut et de la Meuse, de la Moselle et du Rhin, s'avancèrent jusqu'à la Somme1). Conduits par leur chef Mérovée 2) ils avaient pris une grande part à la défaite d'Attila 3).

Un jeune prince Clovis, petit-fils de Mérovée, poussa hardiment les Francs à la conquête de la Gaule entière. Après la bataille de Soissons 4), en 486, où il avait défait ce qui restait encore des armées romaines, il épousa une princesse chrétienne, Clotilde, nièce d'un roi des Burgondes.

Clotilde obtint de Clovis que leur premier enfant fût baptisé au nom du Christ; l'enfant mourut. Clovis prétendit que, si l'enfant avait été consacré au nom de ses dieux, il ne serait point mort.

Il laissa cependant baptiser encore son second fils, qui, lui aussi, tomba malade. Le roi dit: Il ne peut lui arriver autre chose que ce qui est arrivé à son frère, c'est-à-dire qu'il meure après avoir été baptisé au nom du Christ." Mais l'enfant fut guéri.

Après quelque temps, un grand danger menaça les Francs. Un autre peuple germain, les Alamans venaient leur disputer la Gaule. Clovis marcha contre eux, et la bataille s'engagea près de Tolbiac 5). Les Francs pliaient. Clovis alors

1) Ein Küstenfluß in Nordfrankreich, welcher die Pikardie durchströmt und sich in den Kanal ergießt. 2) Meroväus, Großvater Chlodwigs, Stammvater der Merovinger. 3) Attila wurde 451 in der Schlacht bei Chalons an der Marne von den Römern und Westgoten besiegt. 4) Nordöstlich von Paris. 5) Zülpich, deutsche Stadt in der Rheinprovinz.

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