Page images
PDF
EPUB

"

[ocr errors]

,,Ah!

,,Mais comment

„Comment! petite sœur," ai-je repris en rougissant légèrement, „tu vas perdre ce gros morceau de pain - là ?" je sais que ce n'est pas bien, car il y a peut-être des pauvres qui seraient bien heureux de l'avoir, n'est-ce pas, Maxime?“ „Il y en a certainement, ma chère enfant." veux-tu que je fasse? les pauvres n'entrent pas ici.“ „Voyons, Hélène, confie-moi ce pain, et je le donnerai en ton nom au premier pauvre que je rencontrerai, veux-tu ?" „Je crois bien!" L'heure de la retraite a sonné: j'ai rompu le pain en deux morceaux que j'ai fait disparaître honteusement dans les poches de mon paletot. „Cher Maxime!" a repris l'enfant, „à bientôt, n'est-ce pas ? Tu me diras si tu as rencontré un pauvre, si tu lui as donné mon pain, et s'il l'a trouvé bon."

[ocr errors]

„Oui, Hélène, j'ai rencontré un pauvre, et je lui ai donné ton pain, qu'il a emporté comme une proie dans sa mansarde solitaire, et il l'a trouvé bon; mais c'était un pauvre sans courage, car il a pleuré en dévorant l'aumône de tes petites mains bien-aimées. Je te dirai tout cela, Hélène, car il est bon que tu saches qu'il y a sur la terre des souffrances plus sérieuses que tes souffrances d'enfant: je te dirai tout, excepté le nom du pauvre." O. Feuillet.

43. LE BOUQUET DE VIOLETTES.

Il était une fois une petite fille qui allait avec sa mère se promener au Luxembourg 1).

On était déjà au mois de mars; les arbres commençaient à bourgeonner, le printemps était proche.

A l'entrée du jardin se tenait une pauvre bonne femme qui vendait des bouquets de violettes. A chaque passant, elle étendait le bras, et offrait sa fraîche marchandise, en répétant:

„A cinq centimes la violette! elle embaume! elle embaume!" Quelques messieurs achetaient un bouquet pour le mettre à leur boutonnière; mais le plus grand nombre passait sans même jeter un coup d'œil sur les fleurs pourtant si jolies! et la pauvre marchande répétait en vain:

„Elle embaume! elle embaume!"

„Maman," dit la petite fille, „veux-tu m'acheter un bouquet?" „Volontiers, ma mignonne," répondit la maman.

1) Im Garten des Palais du Luxembourg. Siehe Seite 63. Rahn, Franz. Lesebuch. I.

6

Et aussitôt elle prit un sou dans sa bourse et le remit à la bonne vieille, qui, en échange, remit à la petite fille son plus joli bouquet.

Mais à peine l'enfant l'eut-elle entre les mains, qu'elle se mit à le déchiqueter, arrachant feuilles et pétales, et les éparpillant avec sa petite main, comme elle eût fait d'une marguerite des champs.

La maman allait l'arrêter; mais la marchande, plus prompte, s'écria:

„Ah! mademoiselle, que faites-vous! Pourquoi déchirez-vous ainsi mes pauvres fleurs?"

"Mais," répondit la petite fille, elles sont à moi maintenant, puisqu'on vous les a payées."

C'est vrai," reprit la pauvre vieille, vous avez payé ces fleurs avec de l'argent, et vous n'y tenez pas plus qu'aux cinq centimes que vous m'avez donnés. Mais moi, mademoiselle, je les aime, parce que Dieu n'a pas créé de fleurs plus aimables que ces simples petites fleurettes; et si vous les connaissiez comme moi, comme moi aussi vous les aimeriez, et vous ne les détruiriez pas."

"Mais je connais les violettes," dit la petite fille toute surprise; je sais que les violettes ne sont pas des roses, ni des lilas, ni aucune fleur autre que des violettes."

[ocr errors]

Oh! je comprends,“ répondit la marchande, „vous connaissez leur couleur, leur forme, leurs feuilles, et cela vous plaît . . . tout au plus; mais leurs qualités, leur caractère pour ainsi dire, vous ne les connaissez point sans doute, et voilà ce qui vous les ferait aimer."

„Est-ce que les fleurs ont un caractère?" demanda la petite fille, interrogeant sa mère; „est-ce que les fleurs ont des qualités ?“

„Écoute,“ répondit la maman, „écoute ce que te dira cette bonne marchande, elle paraît connaître l'histoire des violettes." „Voulez-vous m'apprendre l'histoire des violettes?" demanda alors la petite fille.

„De tout mon cœur," répondit la bonne vieille, „car on ne se lasse jamais de parler de ce qu'on aime.

„Et d'abord, mon enfant, respirez cette bonne odeur que répandent mes petites fleurs chéries, ce doux parfum, comme on dit.

Y a-t-il en effet rien de plus doux, de plus agréable que ce parfum-là?

[ocr errors]

Eh bien, les violettes n'en sont cependant pas fières le moins du monde. Au lieu de se montrer et de se faire valoir, elles se cachent le mieux qu'elles peuvent.

„Au lieu de se mettre en vue pour se faire admirer, comme font les roses auxquelles il faut le grand soleil et la lumière, ces chères petites violettes, croissent paisiblement sous les plus épais ombrages, dans les bois touffus, les sentiers déserts.

„Elles se voilent de leurs feuilles, se tiennent mutuellement compagnie, elles vivent en famille, si l'on peut dire, et elles ne demandent rien de plus.

„La rosée du matin, un rayon de l'aurore entre les branches, voilà tout ce qu'il leur faut.

[ocr errors]

„Enfin, quand cette pauvre petite fleur est fanée, desséchée car, hélas! tout finit il lui reste encore la vertu d'adoucir nos souffrances. Si vous toussez, mon enfant, si madame votre maman a une fièvre, un mal à la gorge, prenez quelques pincées de fleurs de violettes, jetez-les dans une tasse de bon lait chaud, faites-le-lui boire, et vous verrez que ces chères petites fleurs, lorsqu'elles n'ont plus ni beauté, ni fraîcheur, ni parfum, ressemblent à ces dignes et saintes personnes qui ayant perdu l'éclat de leur jeunesse, conservent la bonté, cette éternelle beauté du cœur."

"C'est vrai! c'est vrai tout cela!" dit à son tour la petite fille, quand la bouquetière eut fini. „Je le savais; et pourtant, pourtant j'ai déchiré mon bouquet étourdiment, sans y penser"

...

Et elle restait là, immobile, pensive, regardant avec regret les débris de violettes éparpillés sur la terre.

[ocr errors]

Mon enfant," reprit la bonne marchande qui voyait son repentir, voici un autre bouquet de violettes. Acceptez-le!... Vous le conserverez, n'est-ce pas ? et surtout, mon enfant, vous ne ferez plus jamais rien sans y penser."

[ocr errors]

D'après Mme Pape-Carpantier.

44. DIX MILLE LIVRES DE RENTE.

Quand j'avais dix-huit ans (je vous parle d'une époque bien éloignée), j'allais, durant la belle saison, passer la journée du dimanche à Versailles, ville qu'habitait ma mère. Pour m'y transporter, je venais, presque toujours à pied, rejoindre sur

cette route une des petites voitures qui en faisaient alors le service. En sortant des barrières, j'étais toujours sûr de trouver un grand pauvre qui criait d'une voix glapissante: „La charité, s'il vous plaît, mon bon monsieur!" De son côté il était bien sûr d'entendre résonner dans son chapeau une grosse pièce de deux sous.

Un jour que je payais mon tribut à Antoine (c'était le nom de mon pensionnaire), il vint à passer un petit monsieur poudré, sec, vif, et à qui Antoine adressa son mémento criard: „La charité, s'il vous plaît, mon bon monsieur!" Le passant s'arrêta, et, après avoir considéré quelques moments le pauvre: „Vous me paraissez," lui dit-il, „intelligent et propre à travailler; pourquoi faites-vous un si vil métier? Je veux vous tirer de cette triste situation et vous donner dix mille livres de rente." Antoine se mit à rire et moi aussi. „Riez tant qu'il vous plaira," reprit le monsieur poudré, mais suivez mes conseils, et vous acquerrez ce que je vous promets. Je puis d'ailleurs vous prêcher d'exemple: j'ai été aussi pauvre que vous; mais, au lieu de mendier, je me suis fait une hotte, et je suis allé dans les villages et dans les villes de province demander, non pas des aumônes, mais de vieux chiffons qu'on me donnait gratis et que je revendais ensuite, à bon prix aux fabricants de papier. Au bout d'un an, je ne demandais plus pour rien les chiffons, mais je les achetais, et j'avais en outre une charrette et un âne pour faire mon petit commerce.“

"

,,Cinq ans après, je possédais trente mille francs, et j'épousais la fille d'un fabricant de papier, qui m'associait à sa maison de commerce peu achalandée, il faut le dire; mais j'étais actif, je savais travailler et m'imposer des privations. A l'heure qu'il est, je possède deux maisons à Paris, et j'ai cédé ma fabrique de papier à mon fils, à qui j'ai enseigné de bonne heure le goût du travail et le besoin de la persévérance. Faites comme moi, et vous deviendrez riche comme moi."

Là-dessus le vieux monsieur s'en alla, laissant Antoine tellement préoccupé que deux dames passèrent sans entendre l'appel criard du mendiant: „La charité, s'il vous plaît.“

En 1815 j'entrai un jour chez un libraire pour y faire emplette de quelques livres. Un gros et grand monsieur se promenait dans le magasin et donnait des ordres à cinq ou six commis. Nous nous regardâmes l'un l'autre comme des gens

qui, sans pouvoir se reconnaître, se rappelaient cependant qu'ils s'étaient vu autrefois quelque part. „Monsieur," me dit à la fin le libraire, il y a vingt-cinq ans, n'alliez-vous pas souvent à Versailles le dimanche?" ,,Quoi! Antoine, c'est vous!" m'écriai-je. „Monsieur," répliqua-t-il, „vous le voyez, le vieux monsieur poudré avait raison; il m'a donné dix mille livres de rente."

45. LE BOURREAU DE VERSAILLES.

On sait qu'on appelle habitués ceux qui ont l'habitude de fréquenter régulièrement un restaurant, un café ou un autre établissement de ce genre. Ces habitués qui sont naturellement très bien vus des maîtres de ces maisons, aiment à prendre leurs repas toujours à la même table. Ainsi, un monsieur qu'on voyait tous les jours entrer à la même heure dans un grand restaurant de Paris, avait l'habitude d'aller s'asseoir à la même place. Depuis plusieurs jours, il trouvait sa place de prédilection régulièrement occupée par la même personne et cela l'ennuyait tellement, qu'il s'avisa d'un singulier moyen pour en expulser l'étranger. „Connaissez-vous la personne qui dîne là, à ma place?" demanda-t-il à la dame de comptoir.

„Non, monsieur." „Je le crois, car si vous le connaissiez, vous ne le recevriez pas." Vous me faites trembler!

[ocr errors]
[ocr errors]

quel

homme est-ce donc ?“ ,,C'est le bourreau de Versailles!" A ce nom la dame pâlit et fixe sur l'étranger un regard de curiosité et d'effroi. Le bourreau de Versailles!" murmure-t-elle. Elle appelle son mari et lui répète ce qu'elle vient d'apprendre. Après un moment d'hésitation, celui-ci se décide à aborder l'étranger. „Monsieur," lui dit-il, „je serais enchanté de vous voir plus longtemps chez moi, mais c'est malheureusement impossible." „Eh bien, dites-moi ce qui vous déplaît en moi," répliqua l'étranger en souriant. — ,,C'est que, mon ami, on sait à présent qui vous êtes; cela m'est égal, à moi, pourvu que vous payiez; mais vous avez un état contre lequel les préjugés ne sont pas encore éteints." „Ah ça, voyons, pour qui me prenez-vous? car vous commencez à m'impatienter." „Parbleu, monsieur, pour ce que vous êtes, pour le bourreau de Versailles." „Ah!

bourreau de Versailles?"

[ocr errors]

et qui vous a dit que j'étais le

C'est monsieur," dit le traiteur

en montrant du doigt l'habitué qui commençait à trembler des

« PreviousContinue »