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Le soir, comme il jouait quelques airs devant le perron du café Tortoni1), un monsieur décoré, qui l'écoutait depuis un instant, lui fit signe d'approcher. Viens me voir demain matin," lui

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dit-il, et il lui glissa sa carte dans la main; Lucas y lut: „Kreutzer 2), violon de la chapelle du roi."

Quelle fut la surprise de l'enfant en entendant le grand artiste lui offrir de le prendre pour élève et de lui donner des leçons gratuites. En présence de ce bonheur inconcevable, il fut persuadé plus que jamais qu'une fée le protégeait. Le voilà donc allant prendre tous les jours une leçon chez Kreutzer. Une seule chose le préoccupait, c'est qu'il ne pourrait plus allier ses nouveaux travaux avec l'industrie qui, jusqu'à ce jour, lui avait procuré le pain, et qu'il serait réduit à entamer son trésor pour vivre.

Comme il était sous le poids de cette pensée pénible, il vit entrer un matin dans sa chambre le mystérieux personnage qui l'avait accompagné pour la première fois dans le logement qu'il occupait. Il déposa sur la table une bourse en disant à l'enfant: Votre protectrice, qui désire que vous profitiez du bonheur qui vous arrive, veut vous en fournir les moyens. Voici une première somme; dans trois mois, vous recevrez le même secours.“

Cela dit, il disparut sans vouloir aucun remerciement ni répondre à aucune question. Lucas ne put s'empêcher de raconter à son professeur ses deux singulières aventures; et le célèbre violoniste, n'hésita pas à tout croire, jusqu'à l'intervention d'une fée dans l'existence de son élève. Sous un aussi bon maître que le sien, le petit Savoyard fit des progrès assez rapides pour être reçu au Conservatoire. Enfin, après deux années d'étude il fut promu à une place lucrative au sein de l'orchestre de l'Opéra.

A cette époque, il reçut de sa bienfaitrice un petit billet ainsi conçu: „Vous êtes arrivé maintenant; vous ne trouverez pas mauvais que je reporte sur d'autres enfants du malheur une sollicitude dont vous n'avez plus besoin." Depuis il n'entendit plus parler d'elle.

Cependant la prospérité de l'enfant de la Savoie s'était accrue avec le talent et l'âge. Mais il savait faire un digne.

1) Ein Kaffeehaus auf dem Boulevard des Italiens. 2) Ein berühmter französischer Violinist, von deutschen Eltern in Versailles geboren.

usage de cet or, qu'une puissance mystérieuse l'avait mis à même d'acquérir largement. Aussi les faibles, les malheureux, ses compatriotes jetés pauvres et chétifs, comme il le fut jadis, dans la grande ville, trouvaient en lui bienveillance et appui. Un seul désir lui était resté, celui de découvrir la main mortelle ou surhumaine, à qui il devait son bonheur.

Après des recherches de bien des années une circonstance particulière vint tout lui révéler. Il se rendit un jour à l'église de Notre-Dame où il y avait une sorte de solennité. Vers la fin de la cérémonie une dame parcourait les rangs de cette brillante assemblée en tendant à chacun une coupe de vermeil. Arrivée devant notre artiste, il ne sait si c'est une illusion de ses yeux, mais il lui semble que bien que vingt ans se soient écoulés depuis leur première entrevue, il croit reconnaître la généreuse protectrice. Pour s'en assurer, il saisit avec empressement la précieuse bourse de sa fée qu'il avait toujours. sur lui, et la jette dans la soucoupe. A cette vue, la dame elle-même a tressailli; elle lève involontairement les yeux sur Lucas.

A peine la mystérieuse quêteuse s'est-elle éloignée, que Lucas, se retournant avec précipitation vers son voisin, lui dit d'un ton suppliant:

„De grâce, monsieur, savez-vous le nom de cette dame?" „Eh! bien, monsieur, n'avez vous donc pas lu dans les journaux que la quête serait faite aujourd'hui par la vicomtesse de Châteaubriand!“ 1)

A ces paroles, un voile tombe de dessus les yeux de notre héros. Il comprit alors que, s'il y a des fées bienfaisantes sur la terre, ce sont les âmes charitables qui se dévouent à soulager en secret les misères des malheureux.

D'après Wirth (livre de lecture courante).

41. LA DISTRIBUTION DES PRIX.

C'était dans une école, en un coin de Paris,
La distribution des prix!

C'étaient des prix de tout: lecture, arithmétique,
Écriture, grammaire et même gymnastique!

1) Die Vicomtesse von Châteaubriand, eine der edelsten Frauen Frankreichs, war die Gemahlin des Dichters gleichen Namens, des berühmtesten Schriftstellers zu Anfang dieses Jahrhunderts.

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Sur les fronts des vainqueurs les couronnes pleuvaient
Et les pleurs des mères coulaient!

Seul, le petit Thomas, sur son banc grave et triste,
Sans en prendre sa part, à cette fête assiste.

Il n'avait que quatre ans, et n'ayant rien appris,
Il ne pouvait avoir de prix !

Tout à coup, cependant, ô surprise! on proclame
Son nom, et l'assemblée unanime l'acclame.
Petit Thomas a remporté

Le grand premier prix . de santé!

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On le pousse en riant de son banc vers l'estrade,
Et le maître d'école au front du jeune enfant
Dépose un laurier vert, avec un baiser fade.
Mais le petit Thomas d'un air péu triomphant,
Arrache de son front le beau papier vert pomme:
„Je ne veux pas de prix, je ne mérite rien;
C'est sans le faire exprès que je me porte bien."
Il avait parlé là, ce marmot, comme un homme,
C'était un noble cœur: il avait bien compris
Qu'on ne peut, sans travail mériter aucun prix.
Et plus tard, dans la vie aussi comme à l'école,
C'est la peine, l'effort, qui nous met l'auréole.
Pour que l'on soit vainqueur, il faut qu'on ait lutté.
Pas de triomphe vrai, si le hasard le donne;

Pas de gloire qui n'ait coûté;

Pas de combat, pas de couronne!

Louis Ratisbonne.

42. SOUFFRANCES D'ENFANT.

(Maxime, welchem die nachstehende Erzählung in den Mund gelegt wird, ist der Sohn des Grafen Champcey, eines vornehmen und einst reich begüterten Mannes. Bei dem Tode seiner Eltern erfährt er, daß von dem ungeheuren Vermögen seines Vaters für ihn und seine Schwester Helene, welche in einem Klosterpensionat erzogen wird, nur einige Tausend Franks übrig bleiben. Er entschließt sich daher, seinen Adel abzulegen und bemüht sich mit Hilfe eines ehrenwerten Rechtsanwalts, welcher sein geringes Vermögen verwaltet, eine kleine Stelle zu erlangen, um so durch eigene Kraft für sich und sein Schwesterchen den Lebensunterhalt zu verdienen. Ehe es ihm gelingt, dies angestrebte Ziel zu erreichen, gerät er aber in die drückendste Not. Sein Rechtsanwalt ist auf einige Tage verreist, und da er dort kein Geld vorgeschossen erhält, so weiß er nicht, wie er Mittagessen und Abendbrot bezahlen soll. Von Hunger gequält irrt er planlos durch die Straßen von Paris.)

Je me suis dirigé vers le couvent d'Hélène. En mettant le pied dans le parloir, que j'ai trouvé plein comme une ruche,

je me suis senti plus assourdi qu'à l'ordinaire par les confidences tumultueuses des jeunes abeilles. Hélène est arrivée les cheveux en désordre, les joues enflammées, les yeux rouges et étincelants. Elle tenait à la main un morceau de pain de la longueur de son bras. Comme elle m'embrassait d'un air préoccupé: „Eh bien! fillette, qu'est-ce qu'il y a donc? Tu as pleuré ?"

„Non, non, Maxime, ce n'est rien." - Qu'est-ce qu'il y a? Voyons . . ."

Elle a baissé la voix: "Ah! je suis malheureuse, va, mon pauvre Maxime!" Vraiment? conte-moi donc cela en

mangeant ton pain."

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„Oh! je ne vais certainement pas manger mon pain; je suis trop malheureuse pour manger. Tu sais bien, Lucie, Lucie Campbell, ma meilleure amie? eh bien! nous sommes brouillées mortellement."

„Oh! mon Dieu! . . . Mais sois tranquille, ma mignonne, vous vous raccommoderez, va.“

„Oh! Maxime, c'est impossible, vois - tu. Il y a eu des choses trop graves. Ce n'était rien d'abord; mais on s'échauffe et on perd la tête, tu sais. Figure-toi que nous jouions au volant, et Lucie s'est trompée en comptant les points; j'en avais six cent quatre-vingts, et elle six cent quinze seulement, et elle a prétendu en avoir six cent soixante-quinze. C'était un peu trop fort, tu m'avoueras. J'ai soutenu mon chiffre, bien entendu; elle le sien. Eh bien! mademoiselle, lui ai-je dit, consultons ces demoiselles; je m'en rapporte à elles. Non, mademoiselle, m'a-t-elle répondu, je suis sûre de mon chiffre, et vous êtes une mauvaise joueuse. - Eh bien! vous, mademoiselle, lui ai-je dit, vous êtes une menteuse! C'est bien, mademoiselle, a-t-elle dit alors, moi je vous méprise trop pour vous répondre! Ma sœur Sainte-Félix1) est arrivée à ce moment-là heureusement, car je crois que j'allais la battre Ainsi voilà ce qui s'est passé. Tu vois s'il est possible de nous raccommoder après cela. C'est impossible; ce serait une lâcheté. En attendant, je ne peux pas te dire ce que je souffre; je crois qu'il n'y a pas une personne sur la terre qui soit aussi malheureuse que moi."

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1) Die Lehrerinnen dieser Klosterpensionate sind meistens Nonnen (religieuses). Daher werden sie mit Schwester angeredet.

"

Certainement, mon enfant, il est difficile d'imaginer un malheur plus accablant que le tien; mais, pour te dire ma façon de penser, tu te l'es un peu attiré, car dans cette querelle, c'est de ta bouche qu'est sortie la parole la plus blessante. Voyons, est-elle dans le parloir, ta Lucie ?"

„Oui, la voilà là-bas dans le coin." Et elle m'a montré d'un signe de tête digne et discret une petite fille très blonde, qui avait également les joues enflammées et les yeux rouges, et qui paraissait en train de faire à une vieille dame très-attentive lé récit du drame que la sœur Sainte-Félix avait si heureusement interrompu. Tout en parlant avec un feu digne du sujet, mademoiselle Lucie lançait de temps à autre un regard furtif sur Hélène et sur moi.

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Eh bien! ma chère enfant," ai-je dit, „as-tu confiance en moi ?" "Oui, j'ai beaucoup de confiance en toi, Maxime." „En ce cas, voici ce que tu vas faire; tu vas t'en aller tout doucement te placer derrière la chaise de mademoiselle Lucie, tu vas lui prendre la tête comme ceci, en traître, tu vas l'embrasser sur les deux joues comme cela, de force, et puis tu vas voir ce qu'elle va faire à son tour."

Hélène a paru hésiter quelques secondes; puis elle est partie à grands pas, et tombée comme la foudre sur mademoiselle Campbell, et lui a causé néanmoins la plus douce surprise: les deux jeunes infortunées, réunies enfin pour jamais, ont confondu leurs larmes dans un groupe attendrissant, pendant que la vieille et respectable madame Campbell se mouchait avec un bruit de cornemuse.

Hélène est revenue me trouver, toute radieuse. "Eh bien! ma chérie,“ lui ai-je dit, „j'espère que maintenant tu vas manger ton pain?"

,,Oh! vraiment non, Maxime; j'ai été trop émue, vois-tu, et puis il faut te dire qu'il est arrivé aujourd'hui une élève, une nouvelle, qui nous a donné un régal de méringues, d'éclairs et de chocolat à la crème, de sorte que je n'ai pas faim du tout. Je suis même très embarrassée, parce que dans mon trouble j'ai oublié tout à l'heure de remettre mon pain au panier, comme on doit le faire quand on n'a pas faim au goûter, et j'ai peur d'être punie; mais, en passant dans la cour, je vais tâcher de jeter mon pain dans le soupirail de la cave sans qu'on s'en aperçoive."

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