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La mère avait saisi nerveusement la main de Jacques, disant tout bas comme une folle:

"Qu'est-ce que ça signifie, ça, Jacques? Il est perdu!"

Mais le père avait sur son visage rude de travailleur un sourire presque heureux, le sourire d'un condamné qui entrevoit une possibilité de liberté.

Boum-Boum! Il se rappelait bien la matinée du lundi de Pâques où il avait conduit François au cirque. Il avait' encore dans l'oreille les grands éclats de joie de l'enfant, son bon rire de gamin amusé, lorsque le clown, le beau clown, tout pailleté d'or, faisait quelque gambade à travers la piste, donnait un croc-en-jambe à un écuyer, ou se tenait immobile et raide sur le sable, la tête en bas et les pieds en l'air, ou jetait au lustre des chapeaux de feutre mou qu'il attrapait adroitement sur son crâne, où ils formaient un à un une pyramide, et à chaque tour, à chaque lazzi1), il poussait le même cri, répétait le même mot, accompagné parfois par un roulement de l'orchestre: Boum-Boum!

Boum-Boum! Et à chaque fois qu'il arrivait, Boum-Boum, le cirque éclatait en bravos, et le petit partait de son grand rire. Boum-Boum! C'était ce Boum-Boum-là, c'était le clown du cirque, c'était l'amuseur de toute une partie de la ville qu'il voulait voir, qu'il voulait avoir, le petit François, et qu'il n'aurait pas et ne verrait pas puisqu'il était là, couché, sans forces dans son lit blanc.

Le soir, Jacques Legrand apporta à l'enfant un clown articulé, tout cousu de paillons qu'il avait acheté, dans un passage, très cher. Le prix de quatre de ses journées de mécanicien! Mais il en eût donné vingt, trente, il eût donné le prix d'une année de son labeur, pour ramener un sourire aux lèvres pâles du malade...

L'enfant regarda un moment le joujou, qui étincelait sur ses draps blancs; puis, tristement: „Ce n'est pas Boum - Boum!

Boum!"

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Je veux voir Boum

Ah! si Jacques avait pu l'envelopper dans ses couvertures, l'emporter, le porter au cirque, lui montrer le clown dansant sous le lustre allumé, et lui dire: „Regarde!"

1) komische Pantomime.

Il fit mieux, Jacques. Il alla au cirque, demanda l'adresse du clown et, timide, il monta une à une les marches qui menaient à l'appartement de l'artiste. C'était bien hardi ce qu'il venait faire là, Jacques! Peut-être que le clown consentirait à venir dire bonjour à François. N'importe comment allait-on le recevoir, lui, Jacques Legrand, là, chez Boum-Boum?

Ce n'était plus Boum-Boum! C'était M. Moreno, qui reçut Jacques dans son cabinet, pareil à celui d'un médecin.

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Jacques regardait, ne reconnaissait pas le clown et tournait, retournait entre ses doigts son chapeau de feutre. L'autre attendait. Alors le père s'excusa. Un gentil petit, monsieur!" dit-il. Et si intelligent! Toujours le premier à l'école, excepté dans le calcul, qu'il ne comprend pas ... Un rêveur, ce petit, voyez-vous! Oui, un rêveur. Et la preuve... tenez ... la preuve

"

Jacques maintenant hésitait, balbutiait; puis il ramassa son courage et brusquement:

„La preuve c'est qu'il veut vous voir, qu'il ne pense qu'à vous et que vous êtes là, devant lui, comme une étoile qu'il voudrait avoir et qu'il regarde . . ."

Quand il eut fini, le père, très blême, avait sur le front de grosses gouttes. Il n'osait regarder le clown, qui, lui, restait les yeux levés sur l'ouvrier. Et qu'est-ce qu'il allait dire Boum-Boum? S'il allait le congédier, le prendre pour un fou, le mettre à la porte?

"

Vous demeurez ?" demanda Boum-Boum.

„Oh! tout près! Rue des Abbesses!"

„Allons!" dit l'autre. Il veut voir Boum-Boum, votre garçon? Eh bien, il va voir Boum-Boum!"

III.

Lorsque la porte s'ouvrit devant le clown. Jacques Legrand cria joyeusement à son fils:

„François, sois content, gamin! Tiens, le voilà Boum

Boum!"

L'enfant eut, sur le visage, un éclair de joie. Il se souleva sur le bras de sa mère et tourna la tête vers les deux hommes qui venaient, chercha un moment, à côté de son père, quel était ce monsieur en redingote, dont la bonne figure gaie lui souriait, et qu'il ne connaissait pas, et quand on lui dit: „C'est

Boum-Boum!" il laissa retomber lentement, tristement son front sur l'oreiller et resta encore, les yeux fixes, ses beaux grands yeux bleus qui regardaient au delà des murailles de la petite chambre et cherchaient, cherchaient toujours, les paillons de Boum-Boum ...

„Non," répondit l'enfant de sa voix qui n'était plus sèche, mais désolée, non, ce n'est pas Boum-Boum!"

Le clown, debout près du petit lit, laissait tomber sur ce visage du petit malade un regard profond, d'un grave et d'une douceur infinie.

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Il hocha la tête, regarda le père anxieux, la mère écrasée, dit én souriant: Il a raison, ce n'est pas Boum - Boum!"

il partit.

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„Je ne le verrai pas, je ne le verrai plus, Boum-Boum!" répétait maintenant l'enfant dont la petite voix parlait aux anges. „Boum-Boum est peut-être là-bas, là-bas où petit François ira bientôt ?"

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Et, tout à coup

clown avait disparu

il n'y avait pas une demi-heure que le brusquement la porte se rouvrit, comme

tout à l'heure, et dans son maillot noir pailleté, la houppette jaune sur le crâne, le papillon d'or sur la poitrine et dans le dos, sa bonne figure enfarinée, Boum-Boum, le vrai Boum-Boum, le Boum-Boum du cirque, le Boum-Boum du quartier populaire, le Boum-Boum du petit François, Boum-Boum parut! Et sur son petit lit blanc, une joie de vie dans les yeux, riant, pleurant, heureux, sauvé, l'enfant frappa de ses maigres petites mains, cria bravo, et dit, avec sa gaieté de sept ans, qui partit tout à coup, allumée comme une fusée:

„Boum-Boum! C'est lui, c'est lui, cette fois! Voilà BoumBoum! Vive Boum-Boum! Bonjour, Boum-Boum!"

IV.

Quand le docteur revint, ce jour-là, il trouva, assis au chevet du petit François, un clown à face blême, qui faisait rire encore et toujours rire le petit, et qui lui disait, en remuant un morceau de sucre au fond d'une tasse de tisane:

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Tu sais, si tu ne bois pas, toi, petit François, Boum-Boum ne reviendra plus!"

Et l'enfant buvait.

N'est-ce pas que c'est bon?"

„Très bon! ... Merci, Boum-Boum!"

"

Docteur," dit le clown au médecin, „ne soyez pas jaloux... Il me semble pourtant que mes grimaces lui font autant de bien que vos ordonnances!"

Le père et la mère pleuraient; mais, cette fois, c'était de joie.

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Et jusqu'à ce que petit François" fût sur pied, une voiture s'arrêta tous les jours devant le logis d'ouvrier de la rue des Abbesses, à Monmartre1), et, un homme en descendit, enveloppé dans un paletot, le collet relevé, et, dessous, costumé, comme pour le cirque, avec un gai visage enfariné.

Qu'est ce que je vous dois, monsieur ?" . . . dit à la fin Jacques Legrand au maître clown, lorsque l'enfant fit sa première sortie. „Car, enfin, je vous dois quelque chose!"

Le clown tendit aux parents ses deux larges mains d'Hercule: „Une poignée de main!" dit il..

Puis, posant deux gros baisers sur les joues redevenues roses de l'enfant:

„Et," dit-il en riant, la permission de mettre sur mes cartes de visite: Boum-Boum, docteur acrobate, médecin ordinaire du petit François !" 2) " Jules Clarétie.

39. LA PRIÈRE ET L'AUMONE.

Jean et Robert allaient à la messe un dimanche, Ils avaient, tous les deux, dix sous en pièce blanche, Et s'en allaient bien fiers, bras dessus, bras dessous; Causant de ce qu'on peut acheter pour dix sous. 5 Juste au seuil de l'Église un pauvre les arrête: „La charité! j'ai faim!" Jean, détournant la tête, Lui répondit: Si je n'avais

10

Q'un sou, je vous le donnerais.

Je n'ai pas de monnaie, aujourd'hui, mon brave homme."
„Moi non plus," dit Robert, „mais j'ai toute une somme,
Prenez-la, voici de l'argent."

Et dans la main de l'indigent

Il met ses beaux dix sous, la pièce tout entière.

Il entra dans l'église, alors avec son frère,

1) Montmartre, Stadtteil im Norden von Paris. 2) Doktor Seiltänzer, Leibarzt des kleinen Franz.

Et tous les deux priaient très bien dans le saint lieu;
Mais la voix de Robert monta seule vers Dieu;
Car il ne suffit pas de prier dans un livre;

Il faut, pour plaire au ciel, aimer les malheureux,

15.

Et leur donner de l'argent, quand on n'a pas de cuivre.
Joindre les mains, c'est bien, mais les ouvrir c'est mieux! 20.
Louis Ratisbonne.

40. LUCAS, LE PETIT SAVOYARD.

Il y a près de 50 ans, par une nuit froide et pluvieuse de décembre, un pauvre enfant de la Savoie, nommé Lucas, s'était blotti avec sa marmotte au pied d'un des gros arbres qui bordent le boulevard des Capucines à Paris. La rigueur du froid l'avait empêché de s'endormir, lorsque tout à coup il aperçoit devant lui une faible lumière et une femme couverte d'une toilette éblouissante. Le petit Savoyard crut rêver; il se frotta les yeux et aperçut à côté de la dame un individu revêtu d'habits tout galonnés d'or et d'argent, portant à la main une lanterne. Le pauvre enfant crut avoir devant les yeux une des fées toutespuissantes.

Mais avant qu'il eût le temps de revenir de sa surprise, la dame dit d'une voix douce: „Pauvre enfant, seul, abandonné, sans abri contre le froid, il doit bien souffrir!" Puis, après. l'avoir considéré encore quelques moments avec une douce pitié, elle lui jeta une bourse ornée de perles d'or et d'argent et contenant quelques pièces d'or. Puis s'adressant à celui qui l'accompagnait: "Accompagnez cet enfant quelque part où il puisse trouver un gîte, car si on le rencontrait seul, à cette heure indue, dans les rues, on pourrait l'arrêter, et ce qu'on trouverait sur lui, le ferait passer pour un voleur." Et elle disparut.

Saisi d'un respect mêlé de terreur, le petit Lucas ne put proférer un mot, et il serait peut-être encore resté longtemps à la même place si l'étranger ne l'avait pris par la main en lui disant de le suivre.

Lucas ne put fermer l'œil de toute la nuit; il pensait continuellement à cette apparition, à l'or qu'il avait reçu, à la joie qu'auront ses parents en recevant cet argent.

Persuadé qu'il était protégé désormais, Lucas se leva le lendemain de bonne heure, plein de confiance dans l'avenir.

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