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Au premier instant, la jeune fille eut peur, car la fée portait un habillement peu en usage dans le pays; elle était vêtue tout entière d'une peau de grenouille dont la tête lui servait de capuchon, et elle-même était si laide, si vieille et si ridée, qu'avec un million de dot elle n'eût pu trouver un épouseur. Cependant Charlotte se remit assez vite pour demander à la fée Vert-d'eau, d'une voix un peu tremblante, mais très polie, ce qu'elle pouvait faire pour son service.

C'est moi qui viens me mettre au tien,“ répliqua la vieille; j'ai entendu ta plainte, et je t'apporte de quoi sortir d'embarras."

"Ah! parlez-vous sérieusement, bonne mère ?" s'écria Charlotte, qui se familiarisa tout de suite; venez-vous pour me donner un morceau de votre baguette avec lequel je pourrai rendre tout mon travail facile?“ „Mieux que cela," répondit la mère Vert-d'eau, „je t'amène dix petits ouvriers qui exécuteront tout ce que tu voudras bien leur ordonner." Où sont-ils?" s'écria la jeune fille. Tu vas les voir."

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La vieille entr'ouvrit son manteau et en laissa sortir dix nains de grandeur inégale. Les deux premiers étaient très courts, mais larges et robustes. Ceux-ci," dit-elle, sont les plus vigoureux; ils t'aideront à tous les travaux et te donneront en force ce qui leur manque en dextérité. Ceux que tu vois et qui les suivent sont plus grands, plus adroits; ils savent traire, tirer le lin de la quenouille, et vaqueront à tous les ouvrages de la maison. Leurs frères, dont tu peux remarquer la haute taille, sont surtout habiles à manier l'aiguille, comme le prouve le petit dé de cuivre dont je les ai coiffés. En voici deux autres, moins savants, qui ont une bague pour ceinture, et qui ne pourront guère qu'aider au travail général, ainsi que les derniers, dont il faudra estimer surtout la bonne volonté. Tous les dix te paraissent, je parie, bien peu de chose; mais tu vas les voir à l'œuvre, et tu en jugeras."

A ces mots, la vieille fit un signe, et les dix nains s'élancèrent. Charlotte les vit exécuter successivement les travaux les plus rudes et les plus délicats, se plier à tout, suffire à tout, préparer tout. Emerveillée, elle poussa un grand cri de joie, et, étendant les bras vers la fée: „Ah! mère Vertd'eau," s'écria-t-elle, „prêtez-moi ces dix vaillants travailleurs, et je ne demande plus rien à celui qui a créé le monde!" „Je fais mieux,“ répliqua la fée, je te les donne; seulement,

comme tu ne pourrais les transporter partout avec toi, sans qu'on t'accusât de sorcellerie, je vais ordonner à chacun d'eux de se faire petit et de se cacher dans tes dix doigts."

Quand ceci fut accompli: „Tu sais maintenant quel trésor tu possèdes," reprit la mère Vert-d'eau; „tout va dépendre de l'usage que tu en feras. Si tu ne sais point gouverner tes petits serviteurs, si tu les laisses s'engourdir dans l'oisiveté, tu n'en tireras aucun avantage, mais donne-leur une bonne direction, de peur qu'ils ne s'endorment, ne laisse jamais les doigts en repos, et le travail dont tu étais effrayée se trouvera fait comme par enchantement."

La fée avait dit vrai, et notre grand'mère, qui suivit ses conseils, vint non seulement à bout de rétablir les affaires de la ferme, mais elle sut gagner une dot avec laquelle elle se maria heureusement, et qui l'aida à élever huit enfants dans l'aisance et l'honnêteté. Depuis, c'est une tradition parmi nous qu'elle a transmis les travailleurs de la mère Vert-d'eau à toutes les femmes de la famille, et que, pour peu que celles-ci se remuent, les petits ouvriers se mettent en action et nous font profiter grandement. Aussi avons-nous coutume de dire, parmi nous, que c'est dans le mouvement des dix doigts de la ménagère qu'est toute la prospérité, toute la joie et tout le bien-vivre de la maison."

En prononçant ces derniers mots, le bonhomme Prudence s'était retourné vers Martha. La jeune femme devint rouge, baissa les yeux et redressa sa quenouille. Guillaume et son cousin échangèrent un regard. Toute la famille silencieuse réfléchissait à l'histoire du conteur. Chacun cherchait à en pénétrer le sens tout entier et se donnait sa leçon à lui-même; mais la belle fermière avait déjà compris celle qui lui était adressée, car la gaieté était revenue sur son visage, le rouet tournait rapidement, et le lin disparaissait de la quenouille. Émile Souvestre.

29. SUR UN BANC.

Dans une des rues populeuses de Paris, un petit garçon de sept ou huit ans était assis sur un banc public. C'était un jour d'hiver, il faisait très froid. L'enfant était en haillons. Ses joues étaient pâles, ses lèvres bleues.

Il avait longtemps erré, puis s'était assis sur ce banc, et maintenant il levait sans cesse les yeux vers le ciel gris, d'un air inquiet.

Personne ne semblait prendre garde à lui. Chacun se hâtait, pressé par le froid: un enfant triste et mal vêtu n'est pas chose tellement rare dans la grande ville!

Un passant, cependant, remarqua le pauvre petit. C'était un de ces hommes trop peu nombreux, dont la sympathie est toujours en éveil, et dont le cœur généreux bat plus vite dès qu'une infortune se trouve sur leur chemin.

D'un coup d'œil, il vit ce qu'aucun autre passant n'avait vu: que l'enfant était seul quoique tout petit, qu'il avait froid, qu'il avait pleuré, qu'il devait avoir faim. Il s'approcha.

„Que fais-tu là, petit?" dit-il. „Attends-tu quelqu'un ?" „Oui," répondit l'enfant. „J'attends que Dieu vienne me chercher."

"

"Que veux-tu dire?" 1)

„Il a déjà envoyé chercher, l'an dernier, mon père et mon petit frère, pour les avoir dans sa maison du ciel; et hier, à l'hôpital, ma mère m'a dit qu'elle allait aussi partir, mais que Dieu ne m'abandonnerait pas pour sûr. Maintenant, continua le pauvre petit, dont les yeux étaient pleins de grosses larmes, je n'ai personne pour m'aimer et pour me donner à manger, et voilà longtemps que je regarde là-haut si Dieu vient, comme ma mère a dit; mais je ne vois rien du tout. Pourtant Dieu viendra tout de même, si je l'attends encore un peu, n'est-ce pas, monsieur ?"

„Oui, mon garçon," dit le passant ému. „Personne n'attend jamais Dieu en vain. Il m'a envoyé pour prendre soin de toi. Viens avec moi, je ne te laisserai manquer de rien."

Les yeux de l'enfant brillèrent, et il eut comme un éclair de triomphe sur son visage: „Je savais bien que Dieu viendrait ou enverrait quelqu'un,“ dit-il, „car ma mère ne fait jamais de mensonge. Mais comme vous avez été longtemps en route!" Henri Quayzin (Premières lectures).

30. LA LETTRE AU BON DIEU.

1. Une petite fille à l'air doux voulait mettre
Une lettre à la poste et n'y parvenait pas,
Car l'étroite ouverture où doit passer la lettre
Était trop haute pour son bras.

1) Füge im Deutschen „damit" hinzu.

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2. Une dame approchait; avec un frais sourire
L'enfant lui dit: „Daignez me soulever un peu."

La dame en l'embrassant prend la lettre et peut lire
Ces mots sur l'adresse: Au bon Dieu.

3. „Eh quoi! vous écrivez au bon Dieu ?" „Notre mère Nous dit qu'à ce Dieu juste il faut toujours penser; Et que si la douleur nous fait la vie amère,

C'est à lui qu'il faut s'adresser.

4. Et depuis bien longtemps mon père est sans ouvrage;
Ma mère pleure, et moi qui ne puis rien pour eux,
Je m'adresse au bon Dieu, puisqu'il rend le courage
Et l'espérance au malheureux.

5. Je lui dis de finir notre peine; de mettre

Des jours meilleurs auprès des mauvais jours;

Eh, puisqu'il est partout, il est sûr que ma lettre
A ce Dieu bon ira toujours."

6. C'est très bien," dit la dame, et la missive blanche

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Disparaît dans la boîte entr'ouverte; l'enfant

Revient chez elle avec le bonheur qui s'épanche
Dans son petit cœur triomphant.

25 7. Le lendemain, la mère était encore en larmes;
Nul rayon n'éclairait le logis triste et nu;
Toujours la même peine et les mêmes alarmes;
Car du ciel rien n'était venu.

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35

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8. Soudain une voiture arrivée à la porte
S'arrête; on se regarde, et sur le pauvre seuil
Une dame élégante apparaît; elle apporte

La joie à tous ces cœurs en deuil.

9. Voici du linge blanc, de l'argent, puis des langes
Pour tenir chaudement votre beau nouveau-né .
Venez done m'embrasser, ô mes chers petits anges!
Le logis s'est illuminé."

10. La mère dit alors: „Par vous je suis sauvée!“
Mais elle, s'inclinant sur l'enfant à l'œil bleu:

„A son adresse hier la lettre est arrivée;
C'est la réponse du bon Dieu."

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Adolphe Carcassonne (Henri Quayzin: Premières Lectures).

31. A MADAME LA REINE.

C'était en 1838, M. Girard, chef d'institution, travaillait dans son cabinet. Son domestique lui apporte la carte d'un monsieur qui désire lui parler.

„Faites entrer," dit-il avec empressement. Que peut donc

vouloir le secrétaire des commandements1) de la reine?"

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Monsieur, vous avez dans votre institution un enfant nommé Maurice Grenier?"

,,Oui, monsieur."

„Agé de dix ans?"

„Oui, monsieur.“

Qui vient d'entrer en cinquième ?“

Oui, monsieur."

„Oserais-je vous demander quel enfant il est ?"

„Bon petit sujet, qui ne ressemble pas aux autres enfants." „Et ses parents?"

„Peu riches qui s'imposent de grands sacrifices pour l'éducation de leur fils . . . Mais, à mon tour, oserais-je vous demander, monsieur, quel intérêt vous prenez à cet enfant?“ Cet enfant a écrit à la reine."

„A la reine!"

„Et c'est elle qui m'envoie vers vous et vers lui pour lui apporter sa réponse."

„Maurice a écrit à la reine! pourquoi? qu'a-t-il osé lui dire?"

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Comme on dit que vous êtes la maman de tous les Français, je vous écris pour vous dire que j'ai très envie d'avoir un Robinson suisse. Papa m'en avait bien promis un pour le jour où j'aurais dix ans, mais voilà que j'ai dix ans et deux mois et que je n'ai toujours pas mon Robinson; cela m'ennuie, parce qu'on dit que c'est très amusant, et que j'avais dit à mes camarades que je l'aurais. Alors j'ai eu l'idée de vous le demander, parce qu'on dit que vous êtes très bonne. D'ailleurs, je connais votre fils, le petit qui est encore en sixième, car j'ai

1) Der Geheim- oder Kabinettssekretär.

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