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Le lendemain à midi, il revint au logis de la vieille fermière:

„Bonjour, bonne femme.“

„Bonjour, Vadoyer."

„Avez-vous bien gardé mon grain de blé ?"

„Ah! mon pauvre Vadoyer! il nous est arrivé un grand malheur: notre poule l'a mangé à son déjeuner."

„Je vais vous faire un procès, bonne femme, je vais vous faire un procès."

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„Nenni," dit-elle, ne parlez point de cela, et prenez plutôt la poule. Vous n'y perdrez rien, car c'est une bonne pondeuse." Il emporte l'oiseau de basse-cour et alla chez une autre personne:

„Bonjour, bonne femme."

„Bonjour, Vadoyer."

„Voulez-vous bien garder ma poule ?"

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Oui, laissez-la-moi, je vais la mettre à l'étable avec les miennes, et elle sera aussi bien soignée qu'elles."

Mais la vache donna un coup de pied à la poule qui fut tuée.

Quelque temps après, le maître de la poule revint:
„Bonjour, bonne femme!"

„Bonjour, Vadoyer."

„Avez-vous bien eu soin de ma poule?"

„Hélas! mon pauvre ami, ce matin notre vache l'a tuée d'un coup de pied."

„Je vous ferai un procès, je vous ferai un procès.“

„Laissez-moi tranquille, Vadoyer, et au lieu d'aller en justice, prenez plutôt la vache."

Il emmena la bête, qui était une jolie laitière blanche et noire, au poil fin et lustré, et la traînant avec une corde, arriva à la maison d'une autre femme:

„Bonjour, bonne femme!"

„Bonjour, Vadoyer."

„Voulez-vous garder ma vache ?"

„Oui, attachez-la près d'ici, et on la mettra à l'écurie parmi les nôtres."

Vers le soir, la fille de la maison prit son escabeau et son pot au lait, et entra dans l'étable pour traire les vaches, mais celle de Vadoyer ne voulut pas se laisser faire, elle se débattait,

et elle donna à la fille un coup de pied qui lui fit mal et renversa son pot à lait; alors la vachère se mit en colère et frappa la bête d'un coup d'escabeau si bien appliqué qu'elle tomba morte.

Le jour suivant, Vadoyer revient:
„Bonjour, bonne femme."

Bonjour, Vadoyer."

,,Avez-vous eu bien soin de ma vache?"

„Ah! mon pauvre Vadoyer, hier en la tirant, notre fille s'est mise en colère, et l'a tuée en la frappant avec son escabeau.

„Je vais vous faire un procès, bonne femme; sûrement je vais vous faire un procès."

„Gardez-vous-en bien, mon voisin, et prenez plutôt la fille.“ Vadoyer mit la fille dans un sac, et le portant sur son dos, alla chez une autre femme qui était justement la marraine de la fille, mais c'était une circonstance qu'il ignorait.

-,,Bonjour, bonne femme."

„Bonjour, Vadoyer.“

„Voulez-vous garder mon sac?"

,,Volontiers, mettez-le derrière la porte, et personne n'y

touchera."

Quelque temps après qu'il fut parti, la vieille dit à sa servante qu'elle croyait près d'elle:

„Jeannette, veux-tu une écuellée de soupe?"

La servante ne répondit pas, mais la jeune fille qui était dans le sac disait:

J'en mangerais bien une, moi."

Par deux fois, la vieille fit sa demande, et à chaque fois une voix sortait du sac et lui répondit. Elle regarda dans le sac et ayant reconnu sa filleule, elle l'en fit sortir et la cacha, et à sa place, elle mit un gros chien.

Quand Vadoyer revient, il dit:

Bonjour, bonne femme."

„Bonjour, Vadoyer."

„Avez-vous bien gardé mon sac?"

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Oui, le voilà; vous n'avez qu'à le prendre."

Il mit sur son dos le sac qui, à ce qu'il croyait, contenait la jeune fille. Quand il fut un peu loin, il desserra les cordons du sac, et dit:

„Jeannette, embrasse-moi par-dessus mon épaule."
„Ouaou! ouaou!" répondit le chien.

Vadoyer fut si épouvanté qu'il laissa tomber la pochée par terre et s'enfuit au plus vite. Paul Sébillot (Saures Lesebuch).

22. LE CHIEN DE BRISQUET.

Dans notre forêt de Lions 1), tout près d'un grand puits, il y avait un bonhomme, bûcheron de son état, qui s'appelait Brisquet, ou autrement le fendeur à la bonne hache," et qui vivait pauvrement du produit de ses fagots avec sa femme qui s'appelait Brisquette. Le bon Dieu leur avait donné deux jolis petits enfants, un garçon de sept ans, qui était brun, et qui s'appelait Biscotin, et une blondine de six ans, qui s'appelait Biscotine. Outre cela ils avaient un chien à poil frisé, noir par tout le corps, si ce n'est au museau, qu'il avait couleur de feu; et c'était bien le meilleur chien du pays pour son attachement à ses maîtres. On l'appelait Bichonne.

Vous souvenez-vous du temps où il vint tant de loups dans la forêt de Lions? C'était dans l'année des grandes neiges, que les pauvres gens eurent si grande peine à vivre. Ce fut une terrible désolation dans le pays. Brisquet, qui allait toujours à sa besogne et qui ne craignait pas les loups, à cause de sa bonne hache, dit un matin à Brisquette: „Femme, je vous prie de ne laisser courir ni Biscotin, ni Biscotine, tant que Monsieur le grand - louvetier 2) ne sera pas venu. Il y aurait du danger pour eux. Ils ont assez de quoi marcher entre la butte et l'étang, depuis que j'ai planté des piquets le long de l'étang, pour les préserver d'accident. Je vous prie aussi, Brisquette, de ne pas laisser sortir la Bichonne, qui ne demande qu'à trotter."

Brisquet disait tous les matins la même chose à Brisquette. Un soir il n'arriva pas à l'heure ordinaire. Brisquette venait sur le pas de la porte, rentrait, ressortait et disait, en se croisant les mains: „Mon Dieu! qu'il est attardé! . . ." Et. puis elle sortait en criant: „Eh! Brisquet!"

Et la Bichonne lui sautait jusqu'aux épaules, comme pour lui dire: N'irai-je pas?

1) Ein Wald in der Normandie. 2) Der Herr Jägermeister, d. h. der Beamte, welchem die Ausrottung der Wölfe anvertraut ist.

Rahn, Franz. Lesebuch. I.

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côte de la butte, pour savoir si ton père ne revient pas. Et toi, Biscotin, suis le chemin au long de l'étang, en prenant bien garde s'il n'y a pas de piquets qui manquent... Et crie fort: Brisquet! Brisquet! . .

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„Paix! la Bichonne !"

Les enfants allèrent, allèrent, et quand ils se furent rejoints à l'endroit où le sentier de l'étang vient couper celui de la butte: „Mordienne," dit Biscotin, je trouverai notre pauvre père, ou les loups m'y mangeront."

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„Pardienne," dit Biscotine, ils m'y mangeront bien aussi." Pendant ce temps-là, Brisquet était revenu par le chemin de Puchay, parce qu'il avait fait une hottée de cotrets à fournir chez Jean Paquier.

,,As-tu vu nos enfants?" dit Brisquette.

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„Nos enfants?" dit Brisquet, nos enfants? mon Dieu! sont-ils sortis?"

„Je les ai envoyés à ta rencontre jusqu'à la butte et à l'étang; mais tu as pris par un autre chemin."

Brisquet ne posa pas sa bonne hache. Il se mit à courir du côté de la butte.

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Si tu menais la Bichonne?" lui cria Brisquette.

La Bichonne était déjà bien loin.

Elle était si loin que Brisquet la perdit bientôt de vue et il avait beau crier: Biscotin! Biscotine!" on ne lui répondit pas.

Alors il se prit à pleurer, parce qu'il s'imagina que les enfants étaient perdus.

Après avoir couru longtemps, longtemps, il lui sembla reconnaître la voix de la Bichonne. Il marcha droit dans le tourré, à l'endroit où il l'avait entendue, et il y entra sa bonne hache levée.

La Bichonne était arrivée là au moment où Biscotin et Biscotine allaient être dévorés par un gros loup. Elle s'était jetée devant en aboyant, pour que ses abois avertissent Brisquet.

Brisquet, d'un coup de sa bonne hache, renversa le loup raide mort; mais il était trop tard pour la Bichonne. Elle ne vivait déjà plus.

Brisquet, Biscotin et Biscotine rejoignirent Brisquette.

C'était une grande joie, et cependant tout le monde pleura. Il n'y avait pas un regard qui ne cherchât la Bichonne.

Brisquet enterra la Bichonne au fond de son petit courtil, sous une grosse pierre, sur laquelle on écrivit en latin: C'est ici qu'est la Bichonne,

Le pauvre chien de Brisquet.

Et c'est depuis ce temps-là qu'on dit en commun proverbe: „Malheureux comme le chien à Brisquet, qui n'alla qu'une fois au bois et que le loup mangea.“

Nodier.

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23. TRAIT DE BIENFAISANCE DE MONTESQUIEU1).

Montesquieu, l'un de plus grands génies qu'ait produits la France, allait assez souvent à Marseille rendre visite à sa sœur. Un dimanche, ayant envie de se promener sur mer, il entra dans un canot que conduisait un jeune homme de dix-huit ans: une douce brise soufflait, le ciel était pur, la mer était calme et comme illuminée par les feux du soleil couchant. Montesquieu jouissait délicieusement des charmes de cette promenade. II communiqua ses impressions à son jeune conducteur, qui lui répondit avec esprit et avec élégance. Surpris de la distinction de son langage, Montesquieu remarqua que le jeune homme avait le teint beaucoup moins hâlé et les mains beaucoup plus blanches que ne les ont ordinairement les gens de cette profession. Il lui en témoigna son étonnement: „Je ne suis point un marin," répondit le jeune homme, je suis employé chez un négociant. J'ai fait toutes mes études au collège: le dimanche et les jours de fête je promène les étrangers dans le port, afin de gagner un peu d'argent."

A ces mots, la surprise de Montesquieu redoubla: „Votre conduite est étrange," dit-il; „il y a là-dessous quelque mystère." „Ah! Monsieur, ce mystère est bien facile à expliquer, et en même temps bien triste: mon père, honnête négociant de cette ville, s'était embarqué sur un navire avec des marchandises qui faisaient toute sa fortune; ce navire a été pris par les pirates de Maroc : ils l'ont emmené lui même comme esclave à Tétouan 2), ils exigent 6000 francs pour sa rançon. Nous n'avons rien; ma mère, ma sœur et moi, nous tâchons, par un travail continuel, d'amasser

1) Montesquieu (1689-1755) einer der bedeutendsten französischen Schriftfteller des 18. Jahrhunderts. 2) Tetuan, eine Stadt an der Nordküste von Marokko.

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