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La poix ne s'en alla pas de son corps, et la belle dut nourrir la mère et la laide de son or qui ne s'épuisa jamais.

14. LE CHAT BOTTÉ.

Un meunier ne laissa pour tous biens, à trois enfants qu'il avait, que son moulin, son âne et son chat. L'aîné eut le moulin, le second eut l'âne, et le troisième n'eut que le chat. Ce dernier ne pouvait se consoler d'avoir un si pauvre lot. „Mes frères," disait-il, „pourront gagner leur vie honnêtement en se mettant ensemble; pour moi, lorsque j'aurai mangé mon chat et que je me serai fait un manchon de sa peau, il faudra que je meure de faim." Le chat, qui entendait ce discours, mais qui n'en fit pas semblant, lui dit d'un air posé et sérieux: „Ne vous affligez point, mon maître; vous n'avez qu'à me donner un sac et me faire faire une paire de bottes pour aller dans les broussailles, et vous verrez que vous n'êtes pas si mal partagé que vous le croyez.“

Lorsque le chat eut ce qu'il avait demandé, il se botta bravement, et, mettant son sac à son cou, il en prit les cordons avec ses deux pattes de devant, et s'en alla dans une garenne où il y avait grand nombre de lapins. Il mit du son et des lacerons dans son sac, et, s'étendant comme s'il eût été mort, il attendit que quelque jeune lapin, peu instruit encore des ruses de ce monde, vînt se fourrer dans son sac pour manger ce qu'il y avait mis. A peine se fut-il couché, qu'il eut contentement: un jeune étourdi de lapin entra dans son sac, et le maître chat, tirant aussitôt ses cordons, le prit et le tua sans miséricorde.

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Tout glorieux de sa proie, il s'en alla chez le roi, et demanda à lui parler. On le fit monter à l'appartement de Sa Majesté, où, étant entré, il fit une grande révérence au roi et lui dit: Voilà, sire, un lapin de garenne que M. le marquis de Carabas c'était le nom qu'il lui prit en gré de donner à son maître m'a chargé de vous présenter de sa part." „Dis à ton maître," répondit le roi, „que je le remercie et qu'il me fait plaisir." Une autre fois, il alla se cacher dans un blé, tenant toujours son sac ouvert, et, lorsque deux perdrix y furent entrées, il tira les cordons et les prit toutes les deux. Il alla ensuite les présenter au roi, comme il avait fait pour le

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lapin de garenne. Le roi reçut encore avec plaisir les deux perdrix, et lui fit donner un pourboire. Le chat continua ainsi pendant deux ou trois mois à porter de temps en temps au roi du gibier de la chasse de son maître. Un jour qu'il sut que le roi devait aller à la promenade sur le bord de la rivière avec sa fille, la plus belle princesse du monde, il dit à son maître: „Si vous voulez suivre mon conseil, votre fortune est faite: vous n'avez qu'à vous baigner dans la rivière à l'endroit que je vous montrerai, et ensuite me laisser faire." Le marquis de Carabas fit ce que son chat lui conseillait, sans savoir à quoi cela serait bon. Dans le temps qu'il se baignait, le roi vint à passer, et le chat se mit à crier de toute sa force: „Au secours! au secours! voilà M. le marquis de Carabas qui se noie!" A ce cri, le roi mit la tête à la portière, et reconnaissant le chat qui lui avait apporté tant de fois du gibier, il ordonna à ses gardes qu'on allât vite au secours de M. le marquis de Carabas. Pendant qu'on retirait le pauvre marquis de la rivière, le chat, s'approchant du carosse, dit au roi que, dans le temps que son maître se baignait, il était venu des voleurs qui avaient emporté ses habits, quoiqu'il eût crié: Au voleur! de toute sa force. Le drôle les avait cachés sous une grosse pierre. Le roi ordonna aussitôt aux officiers de sa garderobe d'aller quérir un de ses plus beaux habits pour M. le marquis de Carabas. Le roi lui fit mille caresses, et, comme les beaux habits qu'on venait de lui donner relevaient sa bonne mine car il était beau et bien fait de sa personne la fille du roi le trouva fort à son gré, et le marquis de Carabas ne lui eut pas plus tôt jeté deux ou trois regards fort respectueux et un peu tendres, qu'elle en devint amoureuse à la folie. Le roi voulut qu'il montât dans son carosse, et qu'il fût de la promenade. Le chat, ravi de voir que son dessein commençait à réussir, prit les devants, et, ayant rencontré des paysans qui fauchaient un pré, il leur dit: "Bonnes gens qui fauchez, si vous ne dites au roi que le pré que vous fauchez appartient à M. le marquis de Carabas, vous serez tous hachés menu comme chair à pâté.“ Le roi ne manqua pas de demander aux faucheurs, à qui était ce pré qu'ils fauchaient. „C'est à M. le marquis de Carabas," dirent-ils tous ensemble, car la menace du chat leur avait fait peur. "Vous avez là un bel héritage!" dit le roi au marquis de Carabas. Vous voyez, Sire," répondit le marquis, c'est un

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pré qui ne manque point de rapporter abondamment toutes les années."

Le maître chat, qui allait toujours devant, rencontra des moissonneurs et leur dit: „Bonnes gens qui moissonnez, si vous ne dites que tous ces blés appartiennent à M. le marquis de Carabas, vous serez hachés menu comme chair à pâté.“ Le roi, qui passa un moment après, voulut savoir à qui appartenaient tous les blés qu'il voyait. ,,C'est à M. le marquis de Carabas," répondirent les moissonneurs, et le roi s'en réjouit avec le marquis. Le chat, qui allait devant le carrosse, disait toujours la même chose à tous ceux qu'il rencontrait, et le roi était étonné des grands biens de M. le marquis de Carabas.

Le maître chat arriva enfin dans un beau château, dont le maître était un ogre, le plus riche qu'on ait jamais vu; car toutes les terres par où le roi avait. passé, étaient de la dépendance de ce château. Le chat eut soin de s'informer qui était cet ogre, et ce qu'il savait faire, et demanda à lui parler, disant qu'il n'avait pas voulu passer si près de son château sans avoir l'honneur de lui faire la révérence. L'ogre le reçut aussi civilement que le peut un ogre, et le fit reposer. „On m'a assuré," dit le chat, „que vous aviez le don de vous changer en toutes sortes d'animaux, et que vous pouviez par exemple, vous transformer en lion, en éléphant." "Cela est vrai," répondit l'ogre brusquement, et, pour vous le montrer, vous m'allez voir devenir lion." Le chat fut si effrayé de voir un lion devant lui, qu'il gagna aussitôt les gouttières, non sans peine et sans péril, à cause de ses bottes qui ne valaient rien pour marcher sur les tuiles. Quelque temps après, le chat, ayant vu que l'ogre avait quitté sa première forme, descendit et avoua qu'il avait eu bien peur. On m'a assuré encore," dit le chat, mais je ne saurais le croire, que vous aviez aussi le pouvoir de prendre la forme des plus petits animaux, par exemple, de vous changer en un rat, en une souris: je vous avoue que je tiens cela tout à fait impossible." „Impossible," reprit l'ogre, „vous allez le voir." Et en même temps il se changea en une souris, qui se mit à courir sur le plancher. Le chat ne l'eut pas plus tôt aperçue, qu'il se jeta dessus et la mangea. Cependant le roi, qui vit en passant le beau château de l'ogre, voulut entrer dedans. Le chat, qui entendit le bruit du carrosse qui passait sur le pont-levis, courut au-devant et dit au roi: „Votre

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Majesté soit la bienvenue dans ce château de M. le marquis de Carabas!" Comment! monsieur le marquis,“ s'écria le roi, „ce château est encore à vous? Il ne se peut rien de plus beau que cette cour, et que tous ces bâtiments qui l'environnent; voyons les dedans, s'il vous plaît." Le marquis donna la main à la jeune princesse, et, suivant le roi, qui montait le premier, ils entrèrent dans une grande salle, où ils trouvèrent une magnifique collation que l'ogre avait fait préparer pour ses amis, qui le devaient venir voir ce jour-là, mais qui n'avaient pas osé entrer, sachant que le roi y était. Le roi, charmé des bonnes qualités de M. le marquis de Carabas, de même que sa fille, qui en était folle, et voyant les grands biens qu'il possédait, lui dit, après avoir bu cinq ou six coups: Il ne tiendra qu'à vous, monsieur le marquis, que vous ne soyez mon gendre." Le marquis, faisant de grandes révérences, accepta l'honneur que lui faisait le roi, et dès le jour même il épousa la princesse. Le chat devint grand seigneur et ne courut plus après les souris que pour se divertir.

15. LA PRINCESSE SUR UN POIS.

Il y avait une fois un prince qui voulait épouser une princesse, mais une princesse véritable. Il fit donc le tour du monde pour en trouver une, et, à la vérité, les princesses ne manquaient pas; mais il ne pouvait jamais s'assurer, si c'étaient de véritables princesses; toujours quelque chose en elles lui paraissait suspect. En conséquence, il revint bien affligé de n'avoir pas trouvé ce qu'il désirait.

Un soir, il faisait un temps horrible, les éclairs se croisaient, le tonnerre grondait, la pluie tombait à torrent; c'était épouvantable! Quelqu'un frappa à la porte du château, et le vieux roi s'empressa d'ouvrir.

C'était une princesse. Mais grand Dieu comme la pluie et l'orage l'avaient arrangée! L'eau ruisselait de ses cheveux et de ses vêtements, entrait par le nez dans ses souliers, et sortait par le talon. Néanmoins, elle se donna pour une véritable princesse.

C'est ce que nous saurons bientôt," pensa la vieille reine. Puis, sans rien dire, elle entra dans la chambre à coucher, ôta toute la literie, et mit un pois au fond du lit. Ensuite elle Rahn, Franz. Lesebuch. I.

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prit vingt matelas, qu'elle étendit sur le pois, et encore vingt édredons qu'elle entassa par-dessus les matelas.

C'était la couche destinée à la princesse; le lendemain matin, on lui demanda comment elle avait passé la nuit.

„Bien mal!" répondit-elle; „Dieu sait, ce qu'il y avait dans le lit; c'était quelque chose de dur qui m'a rendu la peau toute violette. Quel supplice?" A cette réponse, on reconnut que c'était une véritable princesse, puisqu'elle avait senti un pois à travers vingt matelas et vingt édredons. Quelle femme, sinon une princesse, pouvait avoir la peau aussi délicate?

Le prince, bien convaincu que c'était une véritable princesse, la prit pour femme, et le pois fut placé dans le musée où il doit se trouver encore, à moins qu'un amateur ne l'ait enlevé. Andersen. (D. Soldi.)

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16. L'ANGE.

Chaque fois qu'un bon enfant meurt, un ange de Dieu descend sur la terre, prend l'enfant mort dans ses bras, ouvre ses larges ailes, parcourt tous les lieux que l'enfant a aimés, et cueille une poignée de fleurs. Tous deux portent ces fleurs au bon Dieu pour qu'il les fasse refleurir là-haut plus belles que sur la terre. Le bon Dieu presse les fleurs sur son cœur, et il presse un baiser sur celle qu'il préfère. Ce baiser lui donne une voix et la fait se mêler aux choeurs des bienheureux.“

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Voilà ce que racontait un ange de Dieu en emportant un enfant mort au ciel, et l'enfant l'écoutait comme en rêve. Et ils volaient au-dessus des lieux où le petit avait joué, sur des jardins parsemés de fleurs admirables. Lesquelles emporteronsnous pour les planter au ciel?" demanda l'ange. Près d'eux se trouvait un rosier magnifique, mais une méchante main en avait brisé la tige, de sorte que les branches chargées de boutons à peine éclos pendaient et se desséchaient de tous côtés.

„Pauvre arbre," dit l'enfant; „prends-le pour qu'il refleurisse là-haut près de Dieu."

Et l'ange prit le rosier. Il embrassa l'enfant; le petit ouvrit ses yeux à moitié. Ils cueillirent partout de riches fleurs, sans mépriser la dent-de-lion si souvent dédaignée, ni

la pensée sauvage.

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