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„J'ai annoncé le beau temps," dit le coq, mais comme demain dimanche on reçoit ici à dîner, la maîtresse du logis est sans pitié pour moi; elle a dit à la cuisinière qu'elle me mangerait demain en potage, et ce soir il faudra me laisser couper le cou. Aussi crié-je de toute mon haleine, pendant que je respire encore."

,Bon!" dit l'âne, „crête rouge que tu es, viens plutôt à Brême avec nous; tu trouveras partout mieux que la mort tout au moins: tu as une bonne voix, et quand nous ferons de la musique ensemble, notre concert aura une excellente façon."

Le coq trouva la proposition de son goût, et ils détalèrent tous les quatres ensemble. Ils ne pouvaient atteindre la ville de Brême le même jour; ils arrivèrent le soir dans une forêt où ils comptaient passer la nuit. L'âne et le chien s'établirent sous un grand arbre, le chat et le coq y grimpèrent, mais le coq prit son vol pour aller se percher tout en haut, où il se trouverait plus en sûreté. Avant de s'endormir, comme il promenait son regard aux quatre vents, il lui sembla qu'il voyait dans le lointain une petite lumière; il cria à ses compagnons qu'il devait y avoir une maison à peu de distance, puisqu'on apercevait une clarté. „S'il en est ainsi,“ dit l'âne, délogeons et marchons en hâte de ce côté, car cette auberge n'est nullement de mon goût." Le chien ajouta: „En effet, quelques os avec un peu de viande ne me déplairaient pas.“

Ils se dirigèrent donc vers le point d'où partait la lumière; bientôt ils la virent briller davantage et s'agrandir, jusqu'à ce qu'enfin ils arrivèrent en face d'une maison de brigands parfaitement éclairée. L'âne, comme le plus grand, s'approcha de la fenêtre et regarda en dedans du logis. Que vois-tu là, grison?" lui demanda le coq.

"Ce que je vois?" dit l'âne; une table chargée de mets et de boisson, et alentour des brigands qui s'en donnent à cœur joie."

,,Ce serait bien notre affaire," dit le coq.

"Oui, certes!" reprit l'âne; „ah! si nous étions là!"

Ils se mirent à rêver sur le moyen à prendre pour chasser les brigands; enfin ils se montrèrent. L'âne se dressa d'abord en posant ses pieds de devant sur la fenêtre, le chien monta

sur le dos de l'âne, le chat grimpa sur le chien, le coq prit son vol et se posa sur la tête du chat. Cela fait, ils commencèrent ensemble leur musique à un signal donné. L'âne se mit à braire, le chien à aboyer, le chat à miauler, le coq à chanter: puis ils se précipitèrent par la fenêtre dans la chambre en enfonçant les carreaux qui volèrent en éclats. Les voleurs, en entendant cet effroyable bruit, se levèrent en sursaut, ne doutant point qu'un revenant n'entrât dans la salle, et se sauvèrent tout épouvantés dans la forêt.

Donc les quatre instrumentistes se mirent à table et mangèrent comme s'ils n'avaient rien pris depuis quatre semaines. Quand ils eurent fini, ils éteignirent les lumières et cherchèrent un gíte pour se reposer, chacun selon sa nature et sa commodité. L'âne se coucha sur le fumier, le chien derrière la porte, le chat dans le foyer près de la cendre chaude, le coq sur une solive; et comme ils étaient fatigués de leur longue marche, ils ne tardèrent pas à s'endormir.

Après minuit, quand les voleurs aperçurent de loin qu'il n'y avait plus de clarté dans leur maison et que tout y paraissait tranquille, le capitaine dit: „Nous n'aurions pas dû pourtant nous laisser ainsi mettre en déroute;" et il ordonna à un de ses gens d'aller reconnaître ce qui se passait dans la maison. Celui qu'il envoya trouva tout en repos; il entra dans la cuisine et voulut allumer de la lumière; il prit done une allumette, et comme les yeux brillants et enflammés du chat lui paraissaient deux charbons ardents, il en approcha l'allumette pour qu'elle prît feu.

Mais le chat n'entendait pas raillerie; il lui sauta au visage et l'égratigna en jurant. Saisi d'une horrible peur, l'homme courut vers la porte pour s'enfuir; mais le chien qui était couché tout auprès, s'élança sur lui et le mordit à la jambe; comme il passait dans la cour à côté du fumier, l'âne lui détacha une ruade violente avec ses pieds de derrière, tandis que le coq, réveillé par le bruit et déjà tout alerte, criait du haut de sa solive: Kikeriki!

Le voleur courut à toutes jambes vers son capitaine et dit: "Il y a dans notre maison une affreuse sorcière qui a soufflé sur moi et m'a égratigné la figure avec ses longs doigts; devant la porte est un homme armé d'un couteau, dont il m'a piqué la jambe; dans la cour se tient un monstre noir, qui m'a assommé

d'un coup de massue, et au haut du toit est posé le juge qui criait: Amenez devant moi ce pendard! Aussi me suis-je mis en devoir de m'esquiver."

Depuis lors, les brigands n'osèrent plus s'aventurer dans la maison et les quatre musiciens de Brême s'y trouvèrent si bien, qu'ils n'en voulurent plus sortir.

13. DAME HOLLE.

Baudry.

Il y avait une fois une veuve qui avait deux filles, l'une belle comme le jour, l'autre laide comme la nuit, si bien que jamais on n'eût cru qu'elles étaient sœurs. La belle de plus était laborieuse et avenante, la laide au contraire paresseuse et morose.

La mère préférait la laide à la belle qui n'était pas sa fille à elle, mais bien sa belle-fille. La laide pouvait tout se permettre, tandis que la pauvre belle était sans cesse grondée et obligée de faire la besogne la plus dure et la moins engageante.

Et quand elle l'avait achevée, il ne lui était pas permis de se reposer. Oh non, il lui fallait filer, dehors, près du puits sur la route. Et la méchante belle-mère voulait qu'elle filât si vite que les dents du rouet en devinssent ardentes et que le sang jaillit des doigts de la pauvre belle. Un jour elle était sur la margelle à filer si vite qu'on entendait son rouet à une demi-lieue de là. Ses doigts saignaient et elle remarqua que quelques gouttes étaient tombées sur la bobine. Aussitôt elle la prit pour la laver, mais la bobine s'échappa de sa main et tomba au fond du puits.

Elle rentra en pleurant et conta son malheur à sa belle mère. Celle-ci se fâcha et lui dit: „Si tu as laissé choir la bobine dans le puits, tu n'as qu'à l'y aller chercher. Ne reviens pas sans elle, ou gare!" Et la pauvrette sauta au fond du puits. Quel bruit ne fit-elle pas en tombant! En route déjà elle avait perdu connaissance. Mais l'onde se sépara et se referma sur la belle. Quand elle revint à elle, elle se vit étendue sur un pré vert; les fleurs merveilleuses étaient écloses autour d'elle et la saluaient en s'inclinant. Elle se leva et descendit le pré. Soudain elle vit un nuage de fumée qui sortait d'un four. Il était rempli de pains qui lui criaient: „Retire-nous, sans quoi nous serons consumés; nous sommes cuites depuis longtemps."

Elle s'approcha, et, avec la pelle, les retira tous, l'un après l'autre. Elle poursuivit sa route, et rencontra un pommier qui pliait sous les fruits. Il lui cria: „Secoue-moi, secoue - moi. secoue-moi. Toutes mes pommes sont mûres." Elle secoua l'arbre, et les pommes se mirent à tomber comme la pluie; elle secoua jusqu'à ce qu'il n'en resta plus une seule et après les avoir mises en tas, elle s'éloigna. Elle parvint finalement à une petite maison. Une vieille femme était à la fenêtre; mais elle avait des dents si longues, que la jeune fille eut peur et voulut s'enfuir. La vieille femme la rappela. „Chère enfant, de quoi as-tu peur? Reste auprès de moi. Si tu veux t'acquitter convenablement de tous les travaux de la maison, tu t'en trouveras bien. Prends garde seulement à bien faire mon lit, et à le secouer assidûment, afin que le duvet s'envole: alors il neige sur la terre. Je suis la fée Holle." Rassurée par les bonnes paroles de la vieille, la jeune fille consentit et entra à son service. Elle prit soin de tout, secoua son lit avec force, de façon que les plumes voltigeaient comme des flocons de neige. En revanche elle avait auprès d'elle une bonne existence; pas un méchant mot, et chaque jour de la viande bouillie et rôtie. Elle était depuis quelque temps chez la fée Holle: tout à coup elle devint triste. D'abord elle ne sut pas ce qu'elle avait. Elle s'aperçut à la fin que c'était le mal du pays: bien qu'elle fût là mille fois mieux qu'à la maison, elle désirait pourtant y retourner. Elle dit enfin à la vieille: J'ai une terrible envie de revoir la maison, et je ne puis pas y rester davantage: il me faut revenir auprès des miens." - "J'ai plaisir," dit la fée Holle, ,,à te voir regretter la maison, et comme tu m'as servi si fidèlement, je vais t'y reconduire moi-même." Elle la prit par la main, et la mena devant une grande porte. La porte s'ouvrit: et quand la jeune fille y entra, une grosse pluie d'or commença à tomber: tout l'or s'attacha à elle, de sorte qu'elle en fut complètement couverte. Tout auras tout cela," dit la fée Holle, „pour avoir été laborieuse." Elle lui rendit le fuseau qui était tombé dans le puits. Là-dessus la porte se ferma, et la jeune fille se trouva de nouveau sur la terre, à peu de distance de la maison de sa mère. Quand elle entra dans la cour, le coq, perché sur le puits, se mit à crier:

„Kikeriki!

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La jeune fille d'or est revenue ici!"

Elle se rendit ensuite auprès de sa mère, et arrivant ainsi couverte d'or, elle fut bien reçue par elle et par sa sœur.

,,D'où viens-tu, fille chérie, fille cousue d'or?" dit la mère.
„Où as-tu été si longtemps, sœur dorée ?" dit la laide.
„Au fond de la terre, à des centaines de toises," dit la belle.
„Au fond de la terre?" reprit la mère.

„Et comment as-tu trouvé tout cet or?" dit la laide.

Et la belle raconta son aventure. Et la mère se dit: „Ah, si je pouvais procurer pareille richesse à ma fille bien aimée!" Aussitôt elle prescrivit à celle-ci d'aller s'asseoir sur la margelle, de filer, de se piquer à la bobine, de la laisser choir dans le puits et de s'y précipiter.

Le lendemain la laide fit comme il lui était prescrit. Mais comme elle tournait trop lentement, il n'y eut point de piqûre, il ne partit point de sang. Et il en fallait du sang! Aussi se piqua-t-elle à une épine du chemin, tacha la bobine, la lança dans le puits et l'y suivit.

En revenant à elle, elle se trouva sur le pré vert. Les pains du four l'appelèrent, mais elle ne les retira pas. „Je me salirais," dit-elle. Les pommes la hélèrent; elle ne secoua pas les branches. "L'une de vous pourrait me tomber sur la tête," s'écria-t-elle.

Puis elle arriva à la cabane et y entrant elle dit à la vieille: „Dame Holle, j'entre à votre service!"

"

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Fort bien," dit celle-ci. Ton salaire sera en tout conforme à tes services. L'essentiel est de bien secouer mes traversins.“ Le premier jour tout alla bien, mais dès le second la laide fit la paresseuse; le troisième, le lit était si mal fait que la vieille ne voulut pas s'y coucher. Le quatrième jour la servante refusa de se lever. Quand dame Holle l'appela pour la dixième fois, elle lui déclara qu'elle n'avait pas encore assez dormi. Et la vieille dit: „C'est bien, tu n'es plus à mon service." „Ah,“ pensa la laide, voici la pluie d'or qui va commencer!" La vieille l'emmena; la porte s'ouvrit et quand la laide fut dessous il lui tomba sur la tête le contenu d'une marmite de poix en fusion qui la couvrit des pieds à la tête. „Voici ton salaire,“ dit dame Holle; „voilà ce que tu as gagné à mon service." Et elle se retrouva sur la route près du puits. Et le coq chanta : ,,Kikeriki!

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La sale jeune fille est revenue ici!“

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