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genoux et supplie Jupiter d'apaiser l'élément en courroux, les heures s'écoulent et s'il n'atteint pas la ville avant le coucher du soleil, c'en est fait de son ami. Mais les vagues augmentent de fureur, le temps passe, l'angoisse s'empare de Damon, et, avec un courage désespéré, il se jette dans les eaux bouillonnantes et atteint heureusement l'autre rive. Rempli de reconnaissance envers le dieu qui l'a délivré, il se hâte de rattraper le temps perdu, quand soudain, sortant du bois voisin et brandissant leurs massues, une troupe de brigands lui barrent le passage. Que me voulez-vous ?" s'écrie-t-il en pâlissant, „je n'ai que ma vie et elle appartient au roi." Et, arrachant la massue au plus proche, il en assomme trois de quelques coups vigoureux; les autres s'enfuient. Mais une nouvelle épreuve l'attend. Le soleil, arrivé au milieu de sa course, darde ses rayons brûlants et fait bientôt éprouver une soif ardente au voyageur fatigué de la lutte. Mais où trouver de l'eau? Il implore encore le secours du dieu qui l'a sauvé deux fois, et ô miracle! le bruit argentin d'une source frappe son oreille; il y court, s'y désaltère, et rafraîchi, continue sa route. Les ombres s'allongent déjà quand il rencontre deux voyageurs qui disent en passant: „A présent on le met en croix." Damon comprend: l'angoisse lui donne des ailes. Il aperçoit déjà les murs de Syracuse dorés par le soleil couchant, lorsqu'il voit venir à lui Philostrate, le vieux gardien de sa maison qui, du plus loin, lui crie: „Arrière! puisque tu ne peux plus sauver ton ami, sauve ta propre vie. Il t'a attendu d'heure en heure et maintenant il subit le supplice infâme."- „Qu'importe!" s'écrie Damon, „et si c'est trop tard, si je ne puis le sauver, la mort au moins nous réunira: le tyran ne pourra pas se vanter d'avoir vu des amis se manquer de foi." Le soleil se couche quand il arrive aux portes et voyant de loin la croix dressée, il se fraie un passage à travers la foule en criant: „Arrêtez, bourreaux! c'est moi, c'est pour moi qu'il répond!" Les amis tombent dans les bras l'un de l'autre; la foule est saisie d'attendrissement et la nouvelle merveilleuse arrive promptement aux oreilles du roi, qui sent enfin son cœur s'émouvoir. Il se fait amener les amis et leur dit: Vous avez réussi à vaincre mon cœur. La fidélité n'est donc pas un vain mot. Accordez-moi la faveur d'être le troisième dans votre amitié."

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10. LES ÉCUS TOMBÉS DU CIEL.

Il était une fois une petite fille dont le père et la mère étaient morts. Elle était si pauvre qu'elle n'avait ni chambre ni lit pour se coucher; elle ne possédait que les vêtements qu'elle avait sur le corps, et un petit morceau de pain qu'une âme charitable lui avait donné; mais elle était bonne et pieuse.

Comme elle était abandonnée de tout le monde, elle se mit en route vers le bois, pleine de confiance dans le bon Dieu. Alors elle rencontra un pauvre homme qui lui dit: „Hélas! j'ai si grand' faim! donne-moi un peu à manger." Elle lui présenta son morceau de pain tout entier en lui disant: „Dieu te vienne en aide!" et continua de marcher.

Plus loin elle rencontra un enfant qui pleurait, en disant: „J'ai froid à la tête; donne-moi quelque chose pour me couvrir." Elle ôta son bonnet et le lui donna. Plus loin encore elle en vit un autre qui était glacé faute de camisole, et elle lui donna la sienne; enfin un dernier lui demanda sa jupe, qu'elle lui donna aussi.

La nuit étant venue, elle arriva dans un bois, un autre enfant lui demanda une chemise. La pieuse petite fille se dit: Il est nuit noire, personne ne me verra, je peux bien donner ma chemise," et elle la donna encore.

Ainsi elle ne possédait plus rien au monde. Mais au même instant les étoiles du ciel se mirent à tomber, et par terre elles se changeaient en beaux écus reluisants; et quoiqu'elle eût ôté sa chemise, elle en avait une toute neuve, de la toile la plus fine. Elle ramassa les écus et fut riche pour toute sa vie.

11. LE CHAPERONROUGE.

Baudry.

Il y avait une fois une douce petite créature que chacun aimait; mais plus que personne la chérissait sa grand'mère. Elle ne savait que donner à l'enfant. Elle lui fit, un jour, présent d'un petit béret de velours rouge; et comme cela lui allait si bien, et qu'elle ne voulait pas porter autre chose, on l'appela le Chaperonrouge. Un jour, sa mère lui dit: „Tiens, Chaperonrouge; voici un morceau de gâteau et une bouteille de vin, porte-les à ta grand'mère, elle est faible et malade; cela la réconfortera. Mets-toi en route avant qu'il fasse chaud;

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marche bien gentiment et ne t'écarte pas du chemin, sans quoi tu peux tomber, briser la bouteille et ta grand'mère n'aura rien. N'oublie pas de lui souhaiter le bon jour, en entrant dans la chambre, et ne te mets pas d'abord à regarder dans tous les coins.“ „Je ferai tout pour le mieux," répondit Chaperonrouge à sa mère, et elle le lui promit. La grand'mère habitait dans la forêt, à une demi-lieue du village. Chaperonrouge, en arrivant à la forêt, rencontra le loup; mais elle n'en eut pas peur. „Eh! bon jour, Chaperonrouge," lui dit-il. „Bon jour, loup." Où vas-tu de si bonne heure, Chaperonrouge?" „Chez ma grand'mère." "Que portes-tu dans ton tablier?" "Du gâteau et du vin." Chaperonrouge, où demeure ta grand'mère?" ,,A un quart d'heure d'ici, dans la forêt. La maison se trouve sous les trois grands chênes;" dit Chaperonrouge. Le loup pensa: Cette jeune et douce créature serait un friand morceau pour toi. Elle doit encore avoir meilleur goût que la vieille; il faut t'y prendre adroitement, afin de les attraper toutes les deux." Il chemina quelque temps à côté de Chaperonrouge; puis il lui dit: Chaperonrouge, vois donc les belles fleurs. Pourquoi ne regardes-tu pas autour de toi? Je crois que tu n'entends pas du tout combien les petits oiseaux chantent gentiment. Tu marches tout gravement, comme si tu allais à l'école; et pourtant tout est si gai là-bas dans la forêt." Chaperonrouge leva ses yeux, et, voyant comme tout était couvert de belles fleurs, elle pensa: „Si j'apporte à la grand❜mère un bouquet tout frais, il lui fera aussi plaisir. Il est encore de si bonne heure que j'arriverai bien à temps." Elle quitta le chemin, et courut dans la forêt, cherchant des fleurs. Et quand elle en avait cueilli une, elle se figurait qu'un peu plus loin s'en trouvait une autre plus jolie; elle y courait et s'enfonçait de plus en plus dans la forêt. Le loup, de son côté, se rendit en droite ligne à la maison de la grand'mère, et frappa à la porte. Qui est-là ?" ?“ ,,Chaperonrouge, qui t'apporte du gâteau et du vin; ouvre seulement." „Tu n'as qu'à presser le loquet," cria la grand'mère; „je suis trop faible pour me lever." Le loup pressa le loquet: la porte s'ouvrit. Sans dire mot, il alla droit au lit de la grand'mère, et la dévora. Ensuite il en prit les vêtements, et, plaçant son bonnet sur la tête il se coucha dans le lit, dont il tira les rideaux. Chaperonrouge, sur ces entrefaites, avait cherché des fleurs; et quand elle en

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eut assez, elle se rappela sa grand'mère, et prit le chemin qui conduisait chez elle. Elle s'étonna de trouver la porte ouverte, et, en entrant dans la chambre, tout lui sembla si étrange qu'elle se dit: „Mon dieu, pourquoi ai-je si peur aujourd'hui; d'ordinaire j'aime tant à être auprès de ma grand'mère." Elle s'avança vers le lit, et en ouvrit les rideaux. La grand'mère était couchée, et avait rabattu son bonnet sur son visage; elle avait un air extraordinaire. "Ah! grand'mère, quelles longues oreilles tu as!" - "C'est pour mieux t'entendre, mon enfant." „Ah! grand'mère, comme tu as de grands yeux!" - C'est pour mieux te voir, mon enfant." „Ah! grand'mère, comme tu as de grandes mains!" "C'est pour mieux t'embrasser." - "Ah! grand'mère, quelle effroyable bouche tu as!" C'est pour mieux te dévorer." - Le loup avait à peine dit cela, qu'il sauta du lit et dévora le pauvre Chaperonrouge. Quand le loup eut satisfait sa voracité, il se recoucha, s'endormit et ronfla à toutes forces. Un chasseur passa près de la maison et se dit: Comme cette vieille femme ronfle! Il faut pourtant voir ce qu'elle a." Il entra, et en s'approchant du lit, il vit que le loup y était couché. „Je te trouve enfin, vieux pécheur,“ s'écria-t-il. „Il y a longtemps que je te cherche." Il voulait se servir de son fusil, mais l'idée lui vint que le loup aurait peutêtre dévoré la grand'mère et qu'on pourrait la sauver. Il ne fit pas feu; mais prenant des ciseaux, il se mit à ouvrir le ventre du loup endormi. Après quelques coups de ciseaux il vit briller le béret rouge et, après quelques coups de plus, la jeune fille s'échappa, en criant: „Oh! comme j'avais peur et qu'il fait noir dans le ventre du loup!" Alors la grand'mère vint à son tour, encore vivante, mais respirant à peine. Chaperonrouge alla chercher en toute hâte de grandes pierres. Ils en remplirent le loup; et quand il s'éveilla, il voulut s'enfuir. Mais les pierres étaient si lourdes qu'il tomba et se tua. Ils furent contents tous les trois. Le chasseur dépouilla le loup de sa peau et l'emporta. La grand'mère mangea le gâteau et but le vin que Chaperonrouge avait apportés, et elle se rétablit. Quant à Chaperonrouge, elle se dit: "Il ne t'arrivera plus de ta vie de t'écarter du chemin pour aller courir dans la forêt quand ta mère te l'a défendu.“.

12. LES MUSICIENS DE LA VILLE DE BRÊME.

Un homme avait un âne qui l'avait servi fidèlement pendant de longues années, mais dont les forces étaient à bout. Le maître songeait à le dépouiller de sa peau; mais l'âne, s'en apercevant, s'échappa et prit la route de Brême. "Là," pensait-il, „je pourrai devenir musicien de la ville."

Comme il avait marché quelque temps, il rencontra sur le chemin un chien de chasse qui jappait comme un animal fatigué d'une longue course. Qu'as-tu donc à japper de la sorte, camarade?" lui dit-il.

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"Ah!" répondit le chien,

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parce que je suis vieux, que je m'affaiblis tous les jours et que je ne peux plus aller à la chasse, mon maître a voulu m'assommer; alors j'ai pris la clef des champs; mais comment ferai-je pour gagner mon pain?"

„Eh bien!" dit l'âne, je vais à Brême pour m'y faire musicien de la ville, viens avec moi et fais-toi aussi recevoir dans la musique. Je jouerai du luth et toi, tu sonneras les timbales."

Le chien accepta et ils poursuivirent leur route ensemble. A peu de distance, ils trouvèrent un chat couché sur le chemin et faisant une figure triste comme une pluie de trois jours. "Qu'est-ce done qui te chagrine, vieux frise-moustache?" lui dit l'âne.

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On n'est pas de bonne humeur quand on craint pour sa tête," répondit le chat; parce que j'avance en âge, que mes dents sont usées et que j'aime mieux rester couché derrière le poêle que de courir après les souris, ma maîtresse a voulu me noyer; je me suis sauvé à temps: mais maintenant que faire, et où aller?"

Viens avec nous à Brême; tu t'entends fort bien à la musique nocturne, tu te feras comme nous musicien de la ville."

Le chat goûta l'avis et partit avec eux.

Nos vagabonds passèrent bientôt devant une cour, sur la porte de laquelle était perché un coq qui criait du haut de sa tête. „Tu nous perces la moelle des os," dit l'âne; qu'as-tu donc à crier de la sorte?"

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