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ville.“ Le père secoua la tête et dit: „Voilà qui est prudent, même trop prudent pour un enfant. Dieu veuille que tu ne deviennes pas marchand!" „Et toi, Edmond ?" Edmond répondit naïvement: „J'ai porté ma pêche à George, le fils de notre voisin, qui a la fièvre: il ne voulait pas la prendre; alors je l'ai posée sur son lit, et je me suis retiré.". „Eh bien!" dit le père, lequel de vous a fait le meilleur usage de sa pêche ?“ Et tous les trois s'écrièrent ensemble: „C'est notre frère Edmond." Mais Edmond garda le silence, et la mère l'embrassa, les larmes aux yeux. Krummacher.

5. RODOLPHE DE HABSBOURG.

Le comte Rodolphe de Habsbourg, depuis empereur, allait un jour à la chasse monté sur un superbe coursier, et suivi d'un écuyer. Arrivé à une prairie, le son d'une clochette frappe son oreille. C'était un prêtre aux cheveux blancs qui portait le saint sacrement et était accompagné de son sacristain. Rodolphe se découvre et s'agenouille pour rendre hommage à Celui qui sauva le monde.

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Mais en traversant la prairie, un ruisseau, devenu torrent, arrête les voyageurs. Le prêtre alors se déchausse pour traverser, pieds nus, l'eau froide et bouillonnante. Que faites-vous!" s'écrie Rodolphe. „Je vais chez un mourant qui soupire après la manne céleste, et comme le courant a emporté le pont, je veux passer à gué pour ne pas priver le malade du salut auquel il aspire." Sans hésiter, le comte force le prêtre de monter sur son cheval pour qu'il remplisse au plus vite sa sainte mission. Alors Rodolphe prenant le cheval de son écuyer, continue la chasse interrompue.

Le lendemain, le prêtre reconnaissant ramène au comte le cheval qu'il tient modestement par la bride. - „A Dieu ne plaise!" s'écrie Rodolphe avec humilité, „que je me serve encore pour la guerre ou la chasse d'un cheval qui a porté mon Créateur. Si tu n'en veux pas, qu'il reste consacré au service de ce grand Dieu à qui je dois tout." Touché de l'hommage rendu à son Dieu, le prêtre s'écrie avec enthousiasme: „Que le Tout-puissant vous comble d'honneur et de gloire! Que votre nom, déjà illustre dans toute la Suisse, devienne encore plus fameux !

„Puissent les six filles, ornements de votre maison, y réunir six couronnes, et puisse votre gloire s'étendre jusqu'aux temps les plus reculés!"

6. GUILLAUME TELL.

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Albert, empereur d'Allemagne, avait résolu d'asservir la Suisse. Il gagna les hommes les plus influents du pays, fit bâtir des forteresses dans plusieurs cantons, y envoya des gouverneurs et leur ordonna de traiter les habitants avec la dernière rigueur. L'un d'entre eux, Gessler, orgueilleux et cruel, crut qu'il pouvait traiter les paysans en esclaves. Il fit mettre son chapeau sur une pique qu'on planta au milieu de la place d'Altorf, et ordonna qu'on rendît à ce chapeau les mêmes honneurs qu'à sa personne. On obéit. Cependant Guillaume Tell, courageux jusqu'à la témérité, ne voulut pas se soumettre à cette ridicule exigence; il passa outre sans saluer. Gessler furieux, ordonne qu'on l'arrête et lui reproche avec emportement sa rébellion. Le gouverneur condamne alors le malheureux père, à abattre une pomme placée sur la tête de son fils. Les témoins de cette horrible scène frémissent. On amène l'enfant. Tell supplie Gessler de revoquer cet ordre inhumain; le tyran est inflexible, et jure que s'il n'obéit pas, il le fera périr avec son fils. Alors Tell adresse à Dieu une fervente prière, embrasse son enfant, lui recommande d'être immobile, place la pomme sur sa tête, s'écarte à la distance, voulue, bande l'arc, - la flèche part, la pomme tombe et l'enfant est sauvé! Tell, acclamé par le peuple, veut s'éloigner avec son fils, quand Gessler le rappelle. „Pour qui cette seconde flèche que je vois? réponds!" Tell hésite mais quand le gouverneur lui promet l'impunité sur sa parole de chevalier, il élève la flèche et d'un ton menaçant : „Pour toi," dit-il, „si j'avais tué mon fils, et, certes, je ne t'aurais pas manqué!" Gessler, hors de lui, ordonne de mettre aux fers l'audacieux, et de le conduire sur le bateau avec lequel il voulait s'embarquer lui-même pour retourner à son château. Mais Dieu vient encore au secours de Tell. Une violente tempête s'élève; les bateliers conjurent le gouverneur de confier le gouvernail à Tell, qui seul peut les sauver. A peine Tell est-il délié, qu'il dirige le bateau vers la rive et cherche une place favorable pour s'enfuir. Il saute sur un roc saillant et, d'un coup de pied, repousse le bateau au large.

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Gessler pourtant aborde aussi; mais en passant par un chemin creux qu'il devait nécessairement prendre, il tombe mort percé par une flèche de Tell, qui n'avait vu d'autre salut pour sa famille que ce triste moyen.

Ainsi périt Gessler, et la Suisse fut délivrée.

7. L'ANNEAU DE POLYCRATE.

Polycrate, tyran de Samos, debout sur la terrasse de son palais, montrait ses possessions au roi d'Égypte en se vantant de son bonheur. Il est vrai," dit celui-ci, les dieux t'ont été propices, mais tu as encore un puissant ennemi, attendons la fin." Le roi n'avait pas achevé de parler qu'un messager, envoyé de Milet, annonce que les ennemis sont vaincus et montre au prince une tête sanglante bien connue. Le roi d'Égypte recule d'horreur. „Et pourtant," dit-il, „je t'avertis de ne point te fier au bonheur, car les vagues inconstantes qui portent tes vaisseaux peuvent encore l'anéantir.“ Des cris de joie l'interrompent: les vaisseaux de Samos, richement chargés, entrent heureusement dans le port. L'hôte royal s'étonne: „En effet, la fortune te sourit encore aujourd'hui, mais crains - en l'inconstance, les Crêtois, habiles dans l'art de la guerre, s'avancent déjà vers tes rivages." Le dernier mot n'était pas prononcé, que des milliers de voix crient:

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Victoire! nous sommes délivrés de l'ennemi, la tempête a dispersé les vaisseaux des Crêtois!" L'hôte en frémit; „en vérité," dit-il, je reconnais ton rare bonheur, mais je tremble pour ton salut: les dieux sont si jaloux! Une vie de joie sans mélange ne fut jamais le partage d'aucun mortel. Moi aussi, j'ai été favorisé par le succès dans toutes mes entreprises, mais j'ai vu mourir mon héritier et c'est ainsi que j'ai dû payer chèrement mon tribut à la fortune. Je te conseille donc de supplier les immortels de mêler la souffrance à ton bonheur constant, et s'ils n'exaucent pas cette prière, provoque toi-même le malheur et jette dans la mer le trésor que tu préfères à tout." Polycrate, effrayé, tire alors l'anneau de son doigt et le lance dans les flots en disant: „Voici mon bien suprême, puisse ce sacrifice apaiser les Euménides."

Le lendemain, dès l'aube,

un pêcheur vient faire hommage à son prince d'un poisson incomparable. Le cuisinier le prépare, mais, ô surprise! l'anneau de Polycrate se trouve

Rahn, Franz. Lesebuch. I.

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dans ses entrailles. A cette vue le roi d'Égypte se détourne en frissonnant: „Je ne puis demeurer plus longtemps ici,“ s'écrie-t-il, les dieux ont résolu ta perte; je ne veux pas y être enveloppé!"

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Il dit, et s'embarque sur-le-champ.

8. LES GRUES D'IBYCUS.

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Le temps des jeux de Corinthe est arrivé. Ibycus, le favori d'Apollon, est en chemin pour y cueillir de nouveaux lauriers. Appuyé sur son bâton il marche lestement; mais, en entrant dans le bois sacré de Neptune, les ombres du feuillage, le silence complet qui règne autour de lui, le font frissonner, et c'est avec joie qu'il acclame une troupe de grues qui passent au-dessus de la cime des arbres. Je vous salue, oiseaux voyageurs! votre présence ici m'est de bon augure, car, comme vous, je suis en passage. Puisse un toit hospitalier nous offrir à tous, abri et sûreté!" Réjoui par cette vue, il accélérait ses pas, quand au milieu d'un fourré deux brigands lui barrent le sentier et le forcent à se défendre. Mais hélas! le poète sait mieux manier la lyre que l'épée, il tombe sous les coups des misérables! Ses yeux sont déjà éteints, mais il entend encore le cri des grues, et le bruit qu'elles font en passant audessus de lui. „Je vous prends à témoins,“ s'écrie-t-il, „c'est vous que je charge de me venger! Dénoncez mes assassins!" Puis il expire. L'hôte de Corinthe, qui l'attend avec impatience, se met à sa recherche et ne trouve qu'un cadavre nu et défiguré. Ses lamentations se répandent au loin et sont répétées, non seulement par tous ceux qui étaient accourus à la fête, mais encore dans toute la Grèce. On crie vengeance, mais comment trouver le meurtrier? Est-ce un brigand? est-ce un rival jaloux? Le soleil qui répand partout sa lumière, seul le sait.

Les jeux scéniques commencent; les spectateurs, aux rangs pressés, écoutent avec terreur le lugubre refrain du chœur des Furies qui, à pas lents et mesurés, font le tour du cercle. Leur taille gigantesque est drapée d'un manteau noir; leurs joues sont blêmes; leurs mains décharnées brandissent un flambeau à lueur rougâtre et leur tête est entourée de serpents qui sifflent. Elles se mettent à danser une ronde infernale, en chantant un air lugubre qui porte l'effroi dans les âmes criminelles. Heureuses, bien heureuses sont les âmes pures,

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toutes les voies de la vie leur sont ouvertes! Mais, malheur, malheur à celles qui, en secret, se sont entachées de sang! Nous nous attachons à leurs pas; nous les poursuivons sans relâche, le repentir même ne peut nous émouvoir, elles sont à nous encore dans l'enfer!!" Elles disparaissent lentement, laissant les spectateurs oppressés et pleins d'appréhensions.

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Tout à coup une voix venant du gradin le plus élevé s'écrie: Timothée, regarde, les grues d'Ibycus!" Le ciel s'assombrit: une nuée de grues passent au-dessus de l'amphithéâtre. — „Les grues, les grues d'Ibycus ?" répète la foule; „d'Ibycus que nous pleurons! que veut dire cet homme? quel rapport y a-t-il entre les grues et le poète ?"

Le murmure grandit; on s'empare de l'homme qui a parlé et qui maudit son imprudence. Trop tard! Leur pâleur les trahit tous deux; la scène devient un tribunal, où les malfaiteurs, dénoncés par les grues, périssent sous le fer vengeur.

Les Euménides ont accompli leur mission.

9. LA CAUTION.

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Damon, un poignard sous le vêtement, se glissa dans l'appartement de Denys le tyran, où il fut surpris. „Que voulais-tu faire de ce poignard," lui demande-t-on. „Délivrer la ville de son tyran." Tu t'en repentiras sur la croix," répliqua le furieux d'un air sombre. - „Je suis prêt à mourir,“ dit Damon, mais si tu veux me faire une grâce, laisse-moi trois jours, le temps d'unir ma sœur à son fiancé. Je te laisse mon ami pour otage, et si je ne tiens pas ma parole, fais-le mourir à ma place." Le tyran sourit avec méchanceté et répond: „Je te laisse ces trois jours, mais sache! ce temps passé, l'otage périra à ta place, toi, tu seras acquitté." - Damon va chez Pythias, son ami, et lui dit: „Le roi condamne à expier sur la croix ma coupable tentative, mais il me donne trois jours pour assister à la noce de ma sœur; sois ma caution jusqu'à mon retour." Pythias accepte; les amis s'embrassent et Damon se hâte de partir. Il marie sa sœur et la quitte à l'instant. Mais il est bientôt arrêté: la pluie tombe à torrents, les sources des montagnes se précipitent et entraînent tout sur leur passage; le pont même a disparu avec un fracas effroyable. Damon désolé erre le long des bords, cherchant vainement quelque barque qui pût le transporter à l'autre rive. Enfin il tombe à

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