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son royal époux; souvent on les voyait assis tous les deux so`s l'ombrage des cèdres; là ils oubliaient les soins du trône et s'occupaient de botanique. Un jour, un joli enfant vint à passer près d'eux; la reine l'appela: c'était la fille d'un émigré français.

La petite fille avait rempli son tablier de fleurs champêtres qu'elle venait de cueillir sur les pelouses. La reine lui parla d'abord en anglais: l'enfant ne la comprenait pas, car sa famille ne faisait que d'arriver en Angleterre. Puis elle lui dit en français: „Vous avez là de bien jolis bouquets, pour qui sont-ils ?"

„Pour maman, qui aime bien les fleurs, mais qui ne peut plus venir voir les belles plantes qu'il y a ici parce qu'elle est malade."

"

Y a-t-il longtemps qu'elle souffre?"

Oh oui! bien longtemps! bien longtemps! . . . depuis qu'elle a appris la mort de papa, que les méchants ont tué." "Quels méchants?"

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„Pauvre enfant," dit le roi Georges, en passant sa main vénérable dans la chevelure de la petite Française, „pauvre enfant, que Dieu te conserve ta mère!"

„Je le demande au bon Dieu tous les jours, et cependant il ne la guérit pas... Je voulais rester auprès d'elle aujourd'hui, mais elle a ordonné à ma bonne de m'amener ici."

Alors Charlotte se leva, et pria l'enfant de la mener à sa bonne. La vieille gouvernante était loin de croire que c'était une reine, qui venait ainsi vers elle, si simplement mise et tenant la petite par la main.

„D'où venez-vous, mademoiselle Louise?" demanda-t-elle d'une voix sévère, „je vous avais recommandé de ne pas vous éloigner."

„Ne la grondez pas," dit la reine; „elle était à me parler de sa mère, et je viens vous prier, madame, de me conduire près d'elle."

„Ma maîtresse est très mal!"

Et en disant ces mots,

la vieille femme passa sa main sur ses yeux, et essuya des pleurs.

1) Ludwig XVI.

Charlotte ajouta: „Je pourrai peut-être diminuer ses souffrances lui être utile . . . Allons, retournons chez vous!" et elle prit la main de l'enfant. Bientôt elles arrivèrent à la maison qu'habitait l'émigrée.

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„Maman! maman! voilà une dame bien bonne qui vient vous voir . . . elle m'a promis de me donner tous les jours de belles fleurs pour vous.“

A cette voix, la malade, qui était assise près de la fenêtre à regarder le soleil couchant, essaya de se lever; mais la reine l'en empêcha, et prit une chaise auprès d'elle, en lui disant: Vous souffrez beaucoup, madame ?“

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„Je n'ai plus la force de souffrir beaucoup, mais j'ai beaucoup souffert," répondit la veuve.

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Votre charmante enfant me l'a dit, et je viens vous. proposer de changer de logement: j'ai une habitation près d'ici, celle-ci est humide et malsaine; permettez que demain je vous envoie chercher."

„Oh! j'ai si peu de temps! . . . ce n'est pas la peine madame."

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„Éloignez cette idée sombre, pensez à votre fille, et acceptez mon offre; demain je viendrai vous prendre . . mon mari et moi aimons beaucoup les émigrés français."

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Maman,

„Oh! tant mieux! tant mieux!" répétait l'enfant, je suis bien contente d'aller dans une grande maison. vous serez bien mieux qu'ici!"

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Le lendemain une voiture vint chercher la pauvre malade . . . Ce ne fut qu'en arrivant au pavillon de Kew qu'elle sut quelle était sa bienfaitrice. . ,,Qui aurait jamais dit que c'était une reine?" répétait sans cesse la vieille gouvernante; une robe d'indienne et un chapeau de paille!" Les soins les plus empressés étaient prodigués à la dame française, mais ne lui rendaient pas la santé; le chagrin avait été trop avant dans le cœur. Louise ne pouvait croire qu'un beau logement et un grand jardin ne guérissent pas sa mère; elle était si contente de jouer dans la volière de la reine et de donner à manger à ses oiseaux!

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Un jour, le roi Georges, qui venait de retomber dans un de ses sombres accès, l'entendit chanter. Il fut frappé de la douceur de sa voix, il l'appela et la prenant sur ses genoux, il lui dit: „Louise, chantez-moi ce que vous chantiez tout-à-l'heure."

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Oh! c'est bien triste," répondit l'enfant.

"C'est égal, j'aime cet air, et je serais bien aise de l'entendre encore."

Alors Louise obéit et commença cette touchante complainte sur la mort de Louis XVI:

„O mon peuple! que vous ai-je donc fait ?"

Pendant que la fille de l'émigré faisait entendre ces refrains douloureux, le vieux souverain de l'Angleterre, les yeux fixés sur elle, avait laissé couler des larmes, et puis il était resté tout le jour dans une sombre rêverie. Le soir, quand il fut seul, pendant qu'il n'y avait point encore de lumière dans sa chambre, il se mit au piano et répéta l'air, sur lequel la complainte a été composée.

Depuis ce jour, il faisait souvent venir la petite orpheline (car la mère de Louise venait de mourir), et il lui disait: Chante l'air de Louis XVI."

Quand elle commençait, le vieillard s'asseyait à son pianoorgue et l'accompagnait doucement.

C'était chose touchante à entendre et à voir que cette petite orpheline chantant les malheurs d'un roi à un autre roi accablé sous la main de Dieu.

La reine Charlotte s'attacha de plus en plus à Louise et lui tint lieu de mère. Elle l'a dotée et mariée en Angleterre, ou elle vit encore. Nous tenons cette histoire d'une de ses amies.

32. NAPOLÉON IER.

1. Napoléon à Auxonne1).

Vicomte Walsh.

C'est à Auxonne que le jeune lieutenant d'artillerie qui fut plus tard Napoléon Ier, passa les plus pures et les plus heureuses années de sa vie: cette ville fut sa première et l'on peut dire, son unique garnison; et les habitants ont soigneusement recueilli tous les détails qui se rapportaient au séjour d'un tel hôte dans leurs murs. Ainsi, Bonaparte a failli s'y noyer deux fois, la première en se baignant dans la Saône, la seconde en patinant sur les fossés de la forteresse, où périrent deux de ses camarades, sur lesquels la Providence n'avait évidem

1) In der Bourgogne an der Saône.

ment de vues d'aucune espèce: au moment où la glace allait se rompre, il la quitte pour aller dîner; ses deux compagnons s'obstinent à prolonger encore quelques minutes leur exercice, en l'invitant à faire comme eux; il hésite, refuse, et au même instant les deux patineurs disparaissent sous l'eau gelée. Pourquoi cette hésitation à cette minute précise? Si Bonaparte eût partagé le sort de ses camarades, l'histoire suivait nécessairement un autre cours; mais lequel?

Le jeune lieutenant fut chargé alors de réprimer quelques troubles aux environs d'Auxonne: la plus sérieuse échauffourée fut celle de Seurre, et la tradition lui prête à cette occasion un mot curieux qui doit être vrai, car il peint bien son adroite énergie. Il avait sommé plusieurs fois l'attroupement de se disperser; mais ses efforts étaient nuls, l'attroupement ne l'écoutait pas. Alors il commande de charger les armes, fait mettre la foule en joue, puis au moment d'ordonner le feu: „Citoyens," dit-il en s'avançant, que les honnêtes gens se retirent bien vite, je n'ai ordre de tirer que sur la canaille." Sur ce mot, chaque assistant s'empresse de s'éloigner pour ne point donner de sa personne une mauvaise opinion.

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2. Junot et Bonaparte.

Un jour pendant le siège de Toulon1), Bonaparte demanda quelqu'un qui eût une belle écriture; Junot sortit des rangs et se présenta. Bonaparte le reconnut pour le sergent qui avait déjà fixé son attention. Il dit de se placer pour lui écrire sa lettre sous sa dictée. Junot se mit sur l'épaulement même de la batterie. A peine avait-il terminé sa lettre, qu'une bombe lancée par les Anglais éclate à dix pas et le couvre de terre ainsi que la lettre. „Bien," dit en riant Junot, „nous n'avions pas de sable pour sécher l'encre." Bonaparte arrêta son regard sur le jeune sergent; il était calme et n'avait pas même tressailli. Cette circonstance décida de sa fortune.

1) Toulon ein bedeutender Kriegshafen am Mittelländischen Meere. 1793 wurde die Stadt von den Engländern beseßt. Bei der Belagerung der Stadt durch die Franzosen that sich Napoleon zuerst als militärisches Genie hervor. In Toulon befindet sich auch das Bagno für die Galeerensträflinge.

3. Napoléon après la bataille d'Arcole 1).

Après la victoire d'Arcole, l'infatigable Bonaparte parcourait le camp dans la nuit. Il aperçoit une sentinelle endormie. II lui enlève doucement et sans l'éveiller, son fusil, fait la faction à sa place, attend qu'on vienne le relever. Le soldat s'éveille enfin. Quel est sor trouble quand il aperçoit son général dans cette attitude! Il fait un cri: „Bonaparte, je suis perdu!" „Rassure-toi, mon ami," lui répond le général, après tant de fatigues il est bien permis à un brave comme toi de s'endormir; mais une autre fois, choisis mieux ton temps."

4. Napoléon et le muletier.

Bonaparte gravit le Saint-Bernard 2), monté sur un mulet, revêtu de cette capote grise qu'il a toujours porté, conduit par un guide du pays. Par intervalles il interrogea le conducteur qui l'accompagnait et se fit conter sa vie, ses plaisirs, ses peines, comme un voyageur oisif qui n'a pas mieux à faire. Ce conducteur, qui était tout jeune, lui exposa naïvement les particularités de son obscure existence et surtout tout le chagrin qu'il éprouvait de ne pouvoir, faute d'un peu d'aisance, épouser l'une des filles de cette vallée. Le premier consul3), tantôt l'écoutant, tantôt questionnant les passants dont la montagne était remplie, parvint à l'hospice où les bons religieux le reçurent avec empressement. A peine descendu de sa monture, il écrivit un billet qu'il confia à son guide en lui recommandant de le remettre à l'administrateur de l'armée, resté de l'autre côté du Saint-Bernard. Le soir, le jeune homme, retourné chez lui apprit avec surprise quel puissant voyageur il avait conduit le matin, et sut que le général Bonaparte lui faisait donner un champ, une maison, les moyens de se marier enfin, et de réaliser tous les rêves de sa modeste ambition.

5. Sacre de Napoléon à l'église Notre-Dame de Paris (1804). Le dimanche 2 décembre, par une journée d'hiver froide mais sereine, cette population de Paris que nous avons vue,

1) Arkóle, Stadt in Oberitalien, in der Nähe von Verona. Hier siegte Napoleon 1796 über die Östreicher. 2) 1800 ging Napoleon, nachdem er aus Ägypten zurückgekehrt war, über den großen Sankt Bernhard und schlug die Oftreicher bei Marengo. 3) An Stelle des Direktoriums hatten 1799 drei Konfuln die Regierung Frankreichs übernommer. Der erste Konsul war Napoleon.

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